mercredi 28 juin 2017

Le kiosque à musique.





J’attends le crépuscule assis sur un vieux banc
Près d’un kiosque à musique où courent les enfants;
Le soleil fait flamber au travers des pétales
D’étonnantes couleurs sur le fond d’ocre pâle
De quelque allée ombreuse où le soir à son pas
Accompagne mon rêve et ne se presse pas.
J’ai, d’un trait de crayon, biffé la vaine esquisse
Qui ne me convient pas et l’obscurité glisse
Au pied des troncs puissants et sous les frondaisons
Où s’éteint la lumière en l’or de la saison;
Je regarde là-bas le passant qui chemine,
Et la feuille à mes pieds où l’hiver se dessine.

                               ***

La plume-rouet.





La plume-rouet qui dévide
Le trop maigre écheveau du temps
Court plus vite qu’au vent ne ride
La surface du proche étang.

Comment alentir l’intrépide
Et brève course de l’instant ?
Aux chevaux on met une bride,
Aux bateaux, ancre et cabestan.

Pour le freiner – qu’on s’y décide –
Que mettre au rouage inquiétant :
La plume-rouet qui dévide
Le trop maigre écheveau du temps ?

La poussière d’un cœur content,
Le buvard d’un printemps languide,
La tâche d’un rêve inconstant,
Tout le mieux auquel on prétend,
La promesse des chrysalides,
L’espérance au vol hésitant,
Tout le sable des Pyramides,
Les pavés du Paris d’antan ?
Dites-moi quel joug intimide
Ce mécanisme impénitent :
La plume-rouet qui dévide
Le trop maigre écheveau du temps ?


                               ***

lundi 26 juin 2017

Transposition de la "Chanson" CXXXXVI (146) du "Canzoniere" de Pétrarque (1304-1374).



(Chapiteau, musée du palais des Doges - Venise.)

Que la foudre, Avignon, vienne te consumer,
Toi, qui jouis de te montrer si malfaisante
Et d’appauvrir le monde et de vivre méchante,
Toi qui prends tout, laissant les autres affamés !

Le mal couve en tes murs et tu es le foyer
De mille trahisons, un nid de sycophantes[1],
D’ivrognes patentés, de goinfres, de bacchantes[2]
Où les excès de la luxure sont choyés.

Tes filles vont danser au bras de tes vieillards
Où Belzébuth se tient, amenant pour sa part
Les miroirs vaniteux, les soufflets et la flamme.

Puisses-tu, n’ayant plus bientôt ni feu, ni lieu,
Vivre dans les buissons, déchaussée, nue, infâme
Pour que ta puanteur monte enfin jusqu’à Dieu !

                               ***                                                                     

Transposition réalisée à partir de la canzone 146 du Canzoniere de François Pétrarque, NRF -Collection Poésie/Gallimard.  1983. P. 130.

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[1] Sycophante : délateur professionnel dans la Grèce antique.
[2] Bacchante : à l’origine, une femme qui célèbre les mystères de Dionysos-Bacchus, le dieu du vin, cérémonies empreintes d’une certaine licence, par extension femme dévergondée.

dimanche 25 juin 2017

Berceuse.



Et maintenant une berceuse,
Tout juste un murmure très doux,
Une mélodie, insoucieuse,
Quelques mots un peu fourre-tout
Qu’outrepasse un demi-sourire,
Un refrain en forme d’envoi
Où la nuit sereine se mire,
Un apaisement à mi-voix
Dont les syllabes se chuchotent
Pendant que les heures s’en vont
Qu’au loin une horloge tricote.
Une berceuse seulement
En lentes notes qui s’égrènent
Et si douces obscurément,
Reprises sans cesse et sereines,
Une berceuse maintenant.

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Derniers Moments...

(St-Malo.)


Vient un moment où ce qui fuyait ralentit,
Le temps d’abord, annonçant l’heure qui termine,
Le temps surtout auquel on n’a pas consenti
Dont le proche néant aisément se devine,
Et l’amour qu’on avait qui s’arrête avec vous,
En mesurant soudain sa parfaite impuissance,
Combien dans un instant il sera loin de tout,
Frappé de souvenir, une ombre en déshérence
Et combien ce qu’il est ne peut déjà plus rien…
Raison et déraison, toutes les deux coupables,
Inutiles de même et qui le savent bien,
Et toutes ces erreurs, foule si lamentable,
Obscurément offerte à ce dernier regard ;
Ne connaissez-vous donc aucun mot qui console ?
Si vous pouviez savoir ce que c’est que « trop tard »
Et combien le silence est la pire parole !

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