mardi 6 juin 2017

PEUT-ÊTRE. (Feuillets de poésie "moderne".)



Peut-être.

Sur la rive un soleil double d’aube et de fleuve,
Un peu de nuit aux basses branches des forêts ;
Une dernière hésitation ? Qu’en ferons-nous ?
Et quand bien-même, y pourrions-nous quoi que ce soit ?
Lequel emmène l’autre et pour lui montrer quoi ?

Voulez-vous y penser ? Trois pas au bord de l’eau
Pourtant jamais la même et non plus sans défaut,
Le soleil, son reflet avec le fleuve et l’ombre,
Ce qui n’est plus, ce qui sera et vous et moi :
L’eau clair-fuyant outrepassant la rive sombre.

Peut-être…

                               ***

Miroir, mon beau miroir.

Dis-moi, miroir,
Miroir de la beauté, miroir du monde,
Dis-moi ce que je veux entendre.
Dis-moi, dis-moi, mon beau reflet,
Dis-moi l’éclat de ma jeunesse,
L’éclat brillant de mon regard
Et l’étendue de mon pouvoir,
L’incarnat de mes lèvres,
Le galbe de mes seins
Et le nom de tous ceux qui rêvent
Et rêveront de moi en vain.
Dis-moi, miroir, mon beau miroir,
Mon élégance et mon savoir
Et dis-le-moi matin et soir.
Dis-moi que j’aurai la puissance,
La nacre et l’or, l’ambre et l’argent,
Miroir, mon beau miroir,
Dis-moi que j’ai un nom et plus qu’un nom, la gloire.
Dis-moi…

                               Et les jours ont passé
De reflet en reflet et d’image en image,
Etincelants moments sur le même rivage.
Miroir, mon beau miroir,
Je ne puis me lasser,
Encore un soir et encore un matin !
Mais devant moi dans la calme surface
Et l’argent de son tain
La Mort qui souriait m’a dit :
« Je suis venu rompre la glace. »

                               ***

Galamment.

C’est une rime, une rime sévère,
Sévère et puis douce à la fois
Qui se répète et forme le refrain,
Fil d’Ariane et cheval de Troie
D’un long poème au jour le jour.

Sévère à borner tout espoir,
Douce d’y revenir sans cesse,
Vous savez à quel point diffère
L’adieu de l’au-revoir
Que l’on reprend strophe après strophe.

Mais combien faudra-t-il d’odes et d’épigrammes,
De poèmes au jour le jour,
Pour terminer par un épithalame ?

                               ***

Fabliau.

L’un savait ce qu’il faut et ne faisait que vivre,
L’autre avait de grands yeux, l’autre rêvait.
Et je crois qu’il rêvait bien au-delà des vagues,
Bien au-delà aussi des cimes des forêts,
Il rêvait aussi loin que le font les nuages :
Eux qui savent rêver ont des rêves sans âge.

L’un, qui ne rêvait pas, ne lisait pas de livres,
L’autre, on l’a deviné, les écrivait ;
Pour celui qui sait vivre, écrire paraît vain
Et celui qui rêvait en regardant le monde
De son regard lointain, n’en faisait rien,
Quand l’un, faisant au même temps, accumulait des biens.

Vingt vers n’ont jamais fait un seul verre de vin,
Un accord ne vaut pas une miche de pain ;
Chacun peut deviner ce qu’il advint
Autant de l’autre que de l’un.

                        ***

Apparences.

Dans l’ancien port il y a des péniches
Mais qui ne bougent plus, qui ne sont qu’un décor,
Pas encore un musée, un autrefois,
Une apparence où tout le reste est mort.

Et lui aussi, cet homme, un livre en main,
Sur ce marché d’ouvrages en bouquins,
Tout de même, il n’est plus qu’une apparence,
Un argument pour une mise en scène
De ce qui fut, l’occasion d’un poème,

Un sablier ouvert à tous les vents,
Pour lui, l’être n’est déjà plus le temps,
Savant imaginaire aux mille ouvrages
Et qui se rêve de page en page, à l’infini.

                        ***

Départ.

Quand elle a pris le train, elle était seule,
Nous étions deux sur un quai de minuit,
L’un des deux c’était moi, l’autre c’était l’amour ;
Il faisait froid.

J’étais venu en solitaire
Pour ne dire qu’un au-revoir,
Je n’étais qu’un ami du déjà-hier ;
Elle fuyait.

Je l’accompagnais à sa place,
C’est le moins que l’on fait quand on est éduqué,
Elle m’offrit ce long baiser ;
Le premier et dernier.

Et puis le train partit, elle était seule,
Nous étions deux sur un quai de minuit,
L’un des deux c’était moi, l’autre c’était l’amour ;
Comme il fait froid !

                        ***

Ressemblance.

On n’est pas le fils de personne :
En pour ou contre c’est ainsi ;
Lorsque l’on prend, lorsque l’on abandonne,
Lorsque l’on aime ou lorsque l’on déteste,
On n’est pas le fils de personne…
Mais alors – se demandait-il –
Quelle est la part qui me revient ?
Porte-parole d’un défunt ?
Non ! Ce qui fut est au tombeau
Je ne suis pas le double de quelqu’un !
Voici mes amours et ma vie,
Voici mes amis différents
Et voici mes essais
Et mes succès qui le renient.
Voici toutes ces pages
Et mon visage
Qui ne peuvent le faire aussi.

                        ***


Uniformité.

Ils se ressemblent tous, sous le mot liberté,
La mode au goût du jour, l’école de l’instant,
A moins que ce ne soit simplement l’intérêt,
Ce vieil instinct qui fait tourner le monde…
Bref l’uniformité !

Les mêmes mots appris à l’université
Ou dans les partis politiques
Dont tous les contraires se valent
Et de l’humain pas la moindre pratique ;
Bref l’uniformité !

Heureux enfants, mieux vaut regarder l’eau couler,
Remous, écailles, reflets irisés,
Sous le soleil où la grisaille
Elle a, paresseuse ou pressée,
Bien plus de variété !

                        ***

Les Billes.

Dans cette longue rue il avançait
Ni mieux, ni plus mal qu’un autre à son âge,
Soudain, l’espace d’une hésitation, il est tombé ;
Je m’en souviens, sa main était glacée,
Son regard savait l’effort inutile
Et tout autour de lui ses jours éparpillés,
Et si nombreux, roulant comme des billes,
Qui s’enfuyaient sur le trottoir…
Pauvres billes de terres ou bien agates,
Si vaste qu’il parût, un trésor dérisoire
Que son sourire dispersait.

                        ***


Incompréhension.

Lorsque le temps n’est plus le temps
Il doit te manquer quelque chose
Car l’indistinct est inquiétant
Et l’indécision menaçante…

J’entends, mais je ne comprends pas :
Dans ce discours où l’avenir s’irise
Tous les mots sont pareils aux fleurs coupées
N’ayant plus racines en terre.

Et toi, cependant, tu souris,
Tu me parles du mois de Mai,
De gens aigris et d’hivers dépassés,
Tu souris, je t’écoute, mais

L’ombre évoque la nuit.

                        ***

Mauvais genre.

Le poète a ses droits, le poème a ses lois,
L’inverse est vrai aussi,
On n’écrit pas n’importe quoi
En Poésie,
Ainsi :

On n’écrit pas de vers avec des mots d’argot,
Des mots patauds, des mots triviaux :
Cela sonnerait faux.
Imaginez « Nanard », imaginez « bibine »,
Imaginez « plumard », imaginez « Titine » ;
Pourtant à eux tous seuls ces quatre là
Vous font déjà une scène de genre !

                        ***

Définition.

Ceci n’est pas un poème.
Les autres n’en étaient pas non plus ;
Qu’importe qu’il plaise ou qu’il ait déplu…

Ce n’est pas non plus un théorème,
Ce n’est pas plus un paradigme,
Ce n’est surement rien de sérieux.

Ce n’est pas même littéraire
Et ce n’est pas non plus harmonieux,
Pas du tout nécessaire ou bien avantageux.

En fait c’est un bruit de fond
Pareil à celui des grandes villes,
Familier, banal, presque ton sur ton.

                        ***

Une Heure.

Il est une heure du matin
Et tous les carrefours se taisent,
L’œil orange et rond de leurs feux
Jette à la nuit un regard clignotant.
Il est une heure du matin
Et l’on sent que déjà demain prétend
Profiter de son existence
Et que quelque chose se clôt
En se repliant sur l’absence,
Qu’il quitte ce fragment de ville et votre vie.
Il est une heure du matin
Avec une odeur d’horizons
Au-delà de tout horizon
Et ce grand silence qui nie
La pierre des portails et l’ardoise des toits
Et vous qui n’êtes rien, vous êtes tout ;
Il est une heure du matin.

                        ***

Concepts.

Un tramway c’est un train prisonnier des faubourgs
Et, semblablement, un menteur
C’est un poète prisonnier du quotidien…
Je vous en prie, n’ayez pas peur,
Les mots sont là pour qu’on les interroge
De bonne ou de mauvaise foi,
Cela ressemble à du ping-pong ;
Vous êtes aux premières loges,
Tachez de reprendre la balle au bond !

                        ***

La Parole.

C’est un immeuble « comme il faut »,
Carré, petit, moderne et blanc
Mais avant lui se trouvait là
Un terrain vague appelé « le jardin sauvage »,
Touffu de ronces, de sureau,
De lierre grimpant sur les murs
D’on ne savait vraiment quoi ;
Un vague sentier y serpente encore
Au travers des orties, dans ma mémoire.
Et nos explorations craintives,
Tout à coup si loin de la ville,
Nous étions deux ou trois
S’encourageant à pénétrer ce monde étrange.
Maintenant… Autrefois…
Même les pierres changent ;
Ces choses ne sont plus qu’à travers des paroles
Mais n’est-ce pas ainsi seulement que nous sommes
Et vous et moi ?

                        ***

L’Averse.

Sur la place où les pavés brillent
On voit passer des parapluies,
Par deux ou trois, ils dansent la polka
Ils dansent le quadrille
Dans le reflet tremblé des flaques grises.
Les vieux frontons aux filigranes d’or terni,
Epaule contre épaule, en spectateurs blasés
Et perruqués d’ardoise où l’averse s’irise,
Vagues autant que le sont leurs reflets,
Sur le pavé de la place qui brille,
Regardent danser ce ballet.
Puis l’ombre vient sonner au clocher d’une église
Six fois l’accord mélancolique et grave
D’une averse glacée et d’un soir de printemps
Que la nuit veut noyer dans la pluie qui l’aggrave.

                        ***

 Un et Deux.

Le vieil homme et le petit garçon
Sur fond de grands arbres et de tulipes,
Main dans la main, s’en vont.
Ils marchent lentement, paisibles,
Et leurs pas sont bien accordés
A l’âge du premier et aux petites jambes du second.
C’est un jour de printemps ensoleillé
Et tous les deux ils donnent l’impression
D’on ne sait quelle connivence heureuse,
Plus que grand-père et petit-fils,
Familiers l’un à l’autre et au décor,
Oui, voilà ce qu’ils sont.
A bien les regarder on le voit mieux :
Le même au même endroit, et jeune et vieux.

                        ***

Le Regard.

Non le toucher insaisissable,
Innombrable et multiple à bout de doigts,
Ce glissement intime
Dont les courbes dessinent
Une émotion croissante,

Et pas non plus l’attente
Tendue aux bords extrêmes du désir
Vers une flamboyante et brève éternité,

Non ce que l’on approche
Ni ce qui se possède,
Les rives du torrent,
Le poudroiement de l’eau et l’éclair de la roche,

Non, rien de tout cela
Où l’instant seul s’égare :
Le mot, le soupir ou le cri
Mais beaucoup plus profond et toujours au-delà :
Le regard.

                        ***

Marine.

Que de départs lointains avortés en naufrages !
Sur la grève du ciel où s’échouent les nuages,
La barque de Cythère ou la nef Espérance
Vermoulues et rouillées font bon ménage.
Comment nommerons-nous ce vaisseau de nos rêves
Dont nous sommes à deux tout l’équipage,
Un équipage inquiet et maladroit ?
Nos larmes et lamer ont la même amertume,
De tropiques en soleil froid,
De tempêtes en calme plat,
L’amour du moins n’y est pas à l’étroit.
Te souviens-tu du nom
Qu’écrivit le jusant au lointain de la plage
Et de celui de l’île au chemin des étoiles,
De celui des brisants et des chenaux du havre ?
Il est temps maintenant que le vent nous baptise
Et que nous choisissions le nom de ce bateau
Mais tu m’interrompis :
-Pour courir le destin, aller à l’aventure,
Des océans perdus à la terre promise,
Il sera : « Beau Murmure » -.

                        ***

Certificat.

Elle a vu clairement s’approcher d’elle
Cet instant qui trahit, ce moment qui sépare,
Je le sais, j’en suis sûr car son visage a pris
Cette nuance d’ombre et d’outre-temps
Où vivre se désole et ne se résout pas
A n’être plus qu’un nom.
Et moi, près de son lit, je le voyais aussi ;
Il eut fallu l’aider, d’un mot, d’un geste ou d’un regard ;
Je l’écoutais, je ne savais rien faire
Puis l’instant a passé. Dessus un formulaire,
Moi, j’ai porté le lieu, la date et l’heure
En dessous de son nom
Et j’ai signé.

                        ***

Ton Nom.

Au pied du clocher millénaire,
Guipure de pierre sacrée d’où la flèche s’élance,
J’exalterai ton nom.

Sous la croisée d’ogive au blason de prières,
A travers le vitrail où la lumière danse
Pour s’aller prosterner aux dalles de la nef,
J’exalterai ton nom.

Dans l’ombre et le silence
Des bas côtés déserts
Où les vieux bancs de bois patinés de piété
S’alignent dans l’absence,
J’exalterai ton nom.

Et je me souviendrai que je ne suis au fond
Auprès de la pierre angulaire
Que ce grain de poussière
Pour exalter ton nom.

                        ***

Existence.

La pierre du chemin n’est qu’un mot de la route,
Tes pieds, qui la parcourent,
Une syllabe d’horizon
Mais la feuille est bien l’arbre et la fleur, le printemps.
Ton nom, qui n’est que l’instant de l’instant,
Comment t’apprendrait-il détours ou raccourcis ?
Ecoute s’il se peut ! Ta parole est folie
Car le plus grand amour est un vaste silence
Mais l’idée est promesse et la graine est moisson.
Toute écriture est jeu et quelquefois mensonge
Et tout conteur est dieu jusqu’au bas de sa page
Mais la beauté du monde en ses mille facettes
Et l’aube de l’homme ont l’espérance en partage.

                        ***




Aucun commentaire: