jeudi 19 septembre 2013

Trois Fois Rien.


FRAGMENTS D’ENVELOPPES.

Possédant.

Chanceux êtes-vous les rêveurs
Qui là où tant n’ont que la terre
Possédez plus qu’un univers.
Chanceux de connaître des joies
Qui ne sont qu’à vous-mêmes
Et bien plus qu’une peur
Et d’ignorer la loi
Du temps sur vos routes lointaines.
Chanceux êtes-vous, fervents des mots
Et serviteurs,
Vous qui dites : « bientôt »
Où tant d’autres savent : « jamais ».

  ***                                                      

Instantané.

Svelte inconnue au pas pressé,
La grisaille annonce le soir
Et peut-être bien que vouloir
N’est pas assez.

Vous n’êtes qu’un fragment d’éphémère,
Parce que vous désirez et que l’on vous désire
Vous pensez avoir un destin
Mais vous n’avez qu’à peine
Un commencement et une fin
Et quand bien même
Vous vous accrocheriez à vos chimères,
Il n’en serait ni mieux, ni pire :
Vous ne feriez quand même que passer.
Vague moment d’une mémoire infime
Qui n’avez pas même un présent,
Au coin d’une rue de la ville,
Vous n’appartiendrez guère au temps
Qu’autant
Que ma rime futile
En préservera les fragments.

***
Place Publique.
Froide après-midi de février
Entrepavée de mégots
Et de petits bouts de papiers
Sur le rectangle d’une place
De gris manteaux et de bonnets.
Mon regard chasse mes désirs désuets
Aux silhouettes fluctuantes
Engaînées de fantasmes
Qu’excitent le vent aigrelet,
Contrepoint en un lit douillet
Des amours rassasiées.
Mais la ville est toujours la ville
Etrangère à hauteur de toit
Que nul ne regarde ou ne voit.
Couverture à même le sol
Et caressant son chien,
La jeunesse n’est rien,
Celle du mendiant me désole
Et sa maigreur aussi.
N’ai-je pas, moi-même, si froid ?
J’ai fait si peu,
Je n’ai rien dit
Et je suis reparti
Le nez au vent.
***       
Destins.
Tu ne connais pas ta profondeur
Ni les racines immensément lointaines
Qui sont les tiennes…
Le temps y meurt
Et notre amour y naît.
Celui qui nous unit,
L’a fait
Il y a si longtemps,
Que rien de ce qui fut
Que rien de ce qui vient
Ou qui sera conçu
Ne s’en souvient.
Ce fut de toute éternité
Et du premier regard,
Un décret arrêté
Sans le moindre hasard
Et pour mille détours
Pas une seule erreur,
Pas une heure incertaine.
Il n’y a rien à dire d’autre :
Ne sais-tu pas la profondeur,
Les racines immensément lointaines
Qui sont les nôtres ?

 ***     


Sans Retour.

Je suis un enfant
Que l’on n’a pas laissé jouer
Et maintenant,
Adieu mémoire,
Adieu présent,
Je me raconte des histoires.
Je n’ai rien oublié
Et je me souris à moi-même
En parcourant un univers
Que j’aime.
J’y vais si loin, si loin,
Que je m’y perds
Mais sans regrets, sans autre soin,
Sans autre loi
Que celle-ci :
Pas un seul regard en arrière,
Plus jamais autrefois.

      ***                                                      

Tableau d’une Ville en Hiver.

La rue déserte
Où l’ombre de l’Hiver feuillète
Les cheminées,
Où la nuit marche à pas pressés,
Mains blanches, lèvres bleuies,
D’une démarche sèche
Où frissonne un désir enfoui
Sous le seuil clos des portes.
Et puis, là-bas, au carrefour
L’obscur espace d’un mystère
Que bordent les trottoirs de pierre
Et ce silence sans défaut,
Si lourd d’attente et de rumeurs,
De clameurs
Et d’échos.
Tableau d’une ville en hiver,
Sommeil d’ardoise
Et de portes cochères,
De caniveaux et de pavés,
De frontons barbelés,
D’arches sévères
Et de clochers
Que garde une fenêtre
Où je me vois.

  ***                                                      

Saisons du Monde.

Glace et midi, neige et poussière,
La route blanche de l’hiver,
La route bleue de nos étés,
Ensemble pour me raconter
L’éclat d’étain de la mare gelée,
Le chant nocturne des fontaines,
La rose d’octobre entêtée,
Le givre des forêts lointaines
Et le goût de la liberté,
Pour me dire l’ombre volage,
Le vent qui court, le soir qui vient
Et l’écume au lit de la plage,
La nuit, les aboiements d’un chien
Qui doit veiller sur la campagne
Et que nos pas entrelacés réveillent,
Sinueuse béatitude
Des échos ajournés,
Miroirs trompeurs, glaces sans tain,
Mots fallacieux, mots éventés,
Souffle muet,
Ombre de l’amplitude,
Telle est le murmure du monde,
Telle est sa vérité.

  ***      
                                                
Pâques.

Et l’air sent Pâqu(es) et le Printemps
Qui sont tout un :
Un mélange de feuilles à venir
Et de douceur au bord du vent
Et d’horizon plus vaste
Et d’espace plus grand.
Une promesse à retenir
En ses mots opportuns :
Comme un rideau de pluie
Effrangeant les nuages,
Un ciel gris de passage
Sur un ruisseau qui luit.
Au miroir de l’ornière,
Un reflet de l’azur
Découpant sa lumière
Sur la route où l’Hiver
Avait dresse des murs,
Des obstacles de pierre
Comme ses jours, …défunts.

  ***                                                      

La Tasse de Thé.

Dans une tasse d’ambre clair,
Une simple tasse de thé,
Minuit s’imagine et se perd
Dans cette pièce où la clarté
D’une lampe unique s’oppresse
De tant et tant d’obscurité.
Pourtant cette ombre est sans tristesse,
Riche surtout d’aménité,
De calme et de douceur oisive.
Les mots ont l’existence lasse,
Déjà, d’un désir exaucé,
Tous mes livres sont à leurs places
Comme ils l’étaient dans le passé.
Mots anciens dont je suis la trace,
Je me réjouis des bons côtés
Du temps qui fuit et qui s’amasse
Discrètement en aparté.

En votre honneur minuit s’efface
Et je lève ma tasse
De thé…

               ***                                                     

La Lutte et le Printemps.

Ce n’est qu’un seul jour de lumière
Dans l’ombre encore de l’hiver,
Pas de quoi se persuader
Que le printemps est arrivé.
Premier contact, brève visite
Et même les bourgeons hésitent
A prendre au sérieux la douceur
D’un soleil de neuf heures.

Un peu de vent venu d’Ouest,
L’attente et l’espoir font le reste
Mais le bonheur reste prudent.
Même à deux, assis sur un banc,
Le doute et l’espérance luttent,
On comprend bien que tout débute,
Que tout est possible et pourtant,
Que tout dépend du temps…

              ***       

Compagnon de Voyage.

« C’est une triste route que celle qu’on fait en solitaire »
Se disait un gourdin.
« L’homme n’est pas un compagnon, c’est un gamin,
Pour moi qu’on a taillé dans un chêne tricentenaire.
De quoi parlerions-nous ?
Dessus, dessous,
Nous n’avons aucun point commun.
Je veux bien soutenir sa main
Et guider son voyage
Mais rien, non, rien ne nous unit
Et rien ne nous rapproche.
Moi seul connais le bon usage,
Du gué, du sentier, du passage.
A la moindre ronce il s’accroche,
A la moindre pierre il trébuche
Quand je connais la moindre roche,
La moindre ornière et toutes les embûches,
Tous les climats et tous les paysages.
De quoi parlerions-nous
Quand je suis sage
Et qu’il est fou ?

  ***                                                      

 Au Troisième.

Voici mon troisième et dernier printemps
Et ma nouvelle et très profonde mue,
Le vent frissonne au bord d’un monde à nouveau nu
Où mon cœur naît rêveur, si loin de ce qu’il fut :
L’aube et le jour sont lents.

Riez bosquets légers aux rameaux murmurants,
Les papillons amoureux de l’instant,
Volent joyeux de corolle en branchage
Et la feuille a souri aux gouttes de passage
D’un sourire sans âge.

Sous la croix des hivers, mon existence est brève,
Car si le grain ne meurt, nulle moisson ne lève,
Sous le vieux tronc noirci, coule encore la sève
Qui gonflera dans la moiteur des nuits
L’orbe féconde de mes fruits.

        ***