vendredi 12 juin 2015

Muets.





Les pentes que la nuit ravinent
Cachent la croix d’un cimetière
Où dorment des ombres divines
Et des courtisanes altières.
Dans l’air du soir si doux encor
Où tremblent nacres et draps d’or,
Surtout restez muets, craignez l’écho
D’un carillon qui sonne faux
Aux contrevents de pierre grise
Gravés de lichens et de mousse
Du clocher lointain d’une église
Où l’horizon s’use et s’émousse.
Là-bas sommeillent les taillis
Et les sillons et les sentiers
Et la patience d’un pays
Où nul soupir n’est oublié.
Là-bas où je vous vis en robe
D’ombre, d’aube ou de crépuscule
Aux heures autrefois si probes…
Combien l’amour est ridicule
Quand on le compare au destin.
De la cloche du soir à celle du matin
Dorment les vierges de satin
Et les saintes et les catins !

                *** 


lundi 8 juin 2015

Une Ville du Sud.







Pierrailles et pavés qui sinuent rapprochés
Séparent ces ilots que le soleil éclaire,
Humbles couverts de pierre, allègres, sans misère
Dessous le bleu d’un ciel aussi haut accroché.

Muraille contre murs, comme un camp retranché,
Dans ce très peu d’espace où les toits se resserrent,
Les créneaux d’une tour jaillissant de la terre
Plongent un long regard au-delà du rocher.

Et la ruelle tourne et sous la porte altière
Serpente et se déroule ainsi qu’une rivière,
Unissant l’ombre fraîche au midi plein d’éclat

Puis se faisant chemin sur la crête inégale,
Se perd sous l’olivier au milieu du fracas
Grésillant et heureux de milliers de cigales.

                                ***


 

Aux Murs des Citadelles.







Vastes éclairs dessous un dôme obscur
Où le vent noir émèche les nuages,
Presque ininterrompu, de mur en mur,
Aux lointains de la nuit gronde l’orage,

Géant sinistre, imprévisible sur
Les toits aigus, dentelés de feuillages,
De nos sommeils urbains, inquiets, bien sûr,
De leur destin au plus haut de sa rage.

Dans le chaos des façades remparts,
Je veille seul et quoique il soit trop tard,
Guettant la foudre au balcon sentinelle,
J’espère encore aux pitiés du Hasard
Car mon rôle est d’être le mis-à-part,
Dernier vivant aux murs des citadelles.

                      ***

mercredi 20 mai 2015

L'Apparition.






Que revenez-vous faire ici,
Dans ce pâle jardin d’Automne
Où la brume rend imprécis
Jusqu’aux souvenirs ? Je m’étonne
De vous voir arpenter ainsi
La vaine longueur des allées
Qui savent tout de nos soucis
Et de nos amours en-allées.

Regrettez-vous notre Printemps
Aux délices exacerbées
En ce retour que nul n’attend
Parmi ces heures dérobées ?
Quand toutes fleurs ont disparu,
A la saison des feuilles mortes,
De tout ce que nous avons cru,
Dites, quels regrets vous escortent ?

                   ***



mardi 19 mai 2015

Portraits III. Le Vieillard.



Musée del'Oeuvre Notre-Dame. Strasbourg.


C’est une très vieille photo
Où je me vois avec mon père
Plus d’un demi-siècle plus tôt,
Et les couleurs et la lumière
Ont quelque chose d’irréel ;
Aujourd’hui de ce paysage
Il ne reste plus que le ciel,
Notre décor est de passage
Finalement tout comme nous,
Parfois même il  passe plus vite :
Il a changé du tout au tout
Avant que nos parents nous quittent.
Et moi sur ce cliché d’alors,
Ce moi qu’on voit dans son enfance,
Ce moi n’est-il pas déjà mort
Et son successeur en partance ?

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