mardi 5 septembre 2017

Promenade en pays de Cocagne.



(Environs de Magrin - Tarn.)

Les collines rousses et vertes
Qui s’étagent au loin à perte
De vue, savent-elles encor
Chanter de leurs voix alternées
Cet ancien chant de fin’amor[1]
Dont la trame en leur sein est née ?

Doux chant et de mémoire insigne,
Chemins d’oliviers et de vignes
Les fredonnez-vous comme avant ?
« Amour de loin [2]» que rien n’épuise
Se peut-il qu’un jour dans le vent
Un si tendre écho s’amenuise ?

Ma Belle, aux autres non pareille,
Puisse un jour ta bouche vermeille
Tout bas redire avec émoi
En voyant que dans la campagne
L’été s’est enfui comme moi,
Ces vers du pays de Cocagne[3].

                               ***


[1] Fin’amor : l’amour courtois théorisé et chanté par les troubadours du XIIe et XIIIe siècle.
[2] Amour de loin : amour lointain, référence à l’amour que le troubadour Jaufré Rudel, XIIe siècle, conçut pour la lointaine princesse de Tripoli qu’il chercha  vainement à rejoindre.
[3] Le pays de Cocagne désigne la région, proche de Toulouse, où l’on cultivait autrefois le pastel, plante à l’origine d’une belle couleur bleu.

dimanche 3 septembre 2017

À la tombée de la nuit.



Ce sont les derniers moments de lumière,

La nuit… Oui, nous avons beaucoup marché

A travers bois, à travers prés fauchés,

Champs de sillons et chemins plein d’ornières.

 

Un grand soleil brasillait sur les pierres,

Ce soir le courage s’est relâché,

Ce sont les derniers moments de lumière,

La nuit… Oui, nous avons beaucoup marché.

 

Quel piètre lit qu’un talus de bruyère…

Peut-être pourrions- nous faire un marché :

Hébergez-nous, nous tenons, bien caché,

De quoi payer une nuit de chaumière ;

Ce sont les derniers moments de lumière,

La nuit… Oui, nous avons beaucoup marché.

 

  ***

jeudi 31 août 2017

Quatre Mouettes.





Quatre mouettes sur un quai
Perchées dessus une rambarde,
Ce matin l’automne est bien frais,
Je ne crois pas que l’Hiver tarde.

L’eau du bassin est d’un gris noir,
Vient à passer une péniche,
Herbe sèche et terrain en friche,
Il fera nuit plus tôt ce soir.

Quatre mouettes toutes blanches,
Bois vermoulus et fer rouillé,
Et puis deux ombres qui se penchent
Sur des reflets éparpillés.

Les feuilles mortes des platanes
Qu’on entend bruire sous ses pieds,
Vague chant en guise d’arcane
Que l’Automne vient psalmodier

Et que du haut du ciel ponctue
Le répons plaintif d’un oiseau,
L’aile largement étendue,
Comme l’Hiver planant sur l’eau,

Disent les heures désolées
Sur le pavé d’un quai désert,
Quatre mouettes envolées
Et quelque chose qui se perd.

Comme le monde semble vide
Mais tu le sais, toi que j’attends,
Brume froide et pavés humides,
Automne, Hiver, Eté, Printemps.

Combien s’en moquent les mouettes,
Comme s’en moquent, je le sais,
Les gouttières, les girouettes
Et peut-être toi qui te tais.

Que ce flot coule où bon lui semble,
Mes rêves vont où je m’en vais,
J’ai vu dans ce miroir qui tremble
Quatre mouettes sur un quai.


                               ***

mardi 29 août 2017

Chanson de la fin août.






Aux trottoirs poussiéreux, aux platanes ternis,
Chaude, la nuit s’englue en l’été qui finit.

Le troupeau des maisons à fenêtres ouvertes
En espérant le vent quémande en pure perte,
La ville en sommeillant a l’air d’un animal
Que son rêve agité poursuit et qui dort mal.

Aux trottoirs poussiéreux, aux platanes ternis,
Chaude, la nuit s’englue en l’été qui finit.

Les voitures, là-bas, le long de l’avenue,
Forment toujours une chenille mal venue
Qui ronge le silence alentour de la nuit
Et qu’on ne sait trop quoi avidement conduit.

Aux trottoirs poussiéreux, aux platanes ternis,
Chaude, la nuit s’englue en l’été qui finit.

Et tous les promeneurs ont la parole haute
Et le pas languissant ; les heures côte à côte,
Tissent à l’unisson l’ombre avec la chaleur
Où des phares vont mettre une étrange pâleur.

Aux trottoirs poussiéreux, aux platanes ternis,
Chaude, la nuit s’englue en l’été qui finit.

Les toits s’endorment las en conjuguant leurs masses
Aux grands arbres des parcs où nul soupir ne passe
Qui ferait espérer en prenant les devants
Un souffle de fraîcheur apporté par le vent.

Aux trottoirs poussiéreux, aux platanes ternis,
Chaude, la nuit s’englue en l’été qui finit.

Minuit est en chemin et les tramways s’espacent,
La lente et lourde nuit s’allonge et se prélasse,
On ne voit plus personne ou peut-être très loin
Un pinceau lumineux qui se perd au rond-point.

La flèche cathédrale en douze coups unis
A rendu son verdict, le mois d’août est fini.

                                ***

dimanche 27 août 2017

Le poète loqueteux - In memoriam.




C’est un vieux poète fané,
Loin de Nerval ou de Verlaine,
Que ses médiocrités entraînent
En fantôme à peine étonné
A se faufiler dans la ville
Pour y balbutier ses versets.
Il chantonne à voix de fausset
De tristes strophes volubiles
Le long des quais brumeux et gris
Au lever des aubes désertes,
Et les soirs venteux il disserte
Le long des trottoirs assombris.
Ses vers sans valeur et sans âge
Ne disent rien ou bien si peu,
Il est le rimeur loqueteux
D’un vague refrain de passage.

                               ***       

samedi 26 août 2017

"Histoire comme chat."





Un chat très noir s’en va tout seul
A pas feutrés dans la nuit tiède ;
Avec l’ombre qui le précède
Et les nuages pour linceul,
Le jour s’enterre sans façon
Et le chat noir part à la chasse.
Monté sur de longues échasses
Pour aller loin, les polissons,
Des projets tournent dans ma tête ;
Le chat marche avec précaution
Vers on ne sait quelle passion
Et les lampadaires projettent
Une pitoyable clarté
Aux reflets de mauvais augure
Sur les toits rangés des voitures
Dans la chaleur d’un soir d’été.
Le chat noir prudemment se glisse
De pare-choc en pare-choc ;
Pourrions-nous faire un peu de troc ?
Échanger un instant nos vices ?
Moi j’irais chasser le mulot
Ou la souris, saine entreprise,
- La nuit elles sont toutes grises –
Et versifier serait son lot.
Hélas, le chat n’est pas poète
Et le poète n’est pas chat,
Ma plume rêve d’entrechats
Et le chat peut-être de couette.

                               ***