samedi 4 juillet 2015

Fêtes Anciennes.





Ils sont toujours au bord de la rivière,
Un soir doré de l’été finissant
Et l’ombre est bleue où meurt cette lumière
Dont l’éclat va toujours s’affadissant.

Et c’est, langoureux badinage,
Sous le rire étouffé de deux amants,
Marquise et comte, exquisément,
Le même jeu dans ce jardin sans âge.

L’or du couchant, l’Abbé, te rend bien noir,
Chloé ton rire est d’une tourterelle,
Madame, enfin, m’aimerez-vous ce soir ?
La nuit s’en vient replier les ombrelles…

Serments légers, vagues protestations,
Dans le bosquet où les ombres s’allongent,
Ils s’en vont deux par deux sans émotion,
Pour suivre en vain toujours le même songe.

                           ***

La Chanson des Grandes Routes.






Allons mes mots, mes très chers mots,
Nous voici seuls sur cette route
Comme autrefois, par monts, par vaux ;
Allons mes mots, mes très chers mots.

Les jours se suivent sans repos,
Il faut chanter quoiqu’il en coûte,
Allons mes mots, mes très chers mots,
Nous voici seuls sur cette route.

Et vous, païens ou bien dévots,
Que chacun de vous nous écoute,
Comme autrefois, par monts, par vaux,
Comme autrefois mes très chers mots,
Autrefois et demain sans doute.

Ecoutez-nous, sages ou sots,
Nous allons vous la conter toute,
Nous les sans-scènes, sans tréteaux,
Cette chanson des grandes routes
Qui va de clochers en coteaux ;

Il faut chanter quoiqu’il en coûte.

                  ***
 

VERLAINE. Le Dernier Novateur. (Essai.)





Ci-dessous deux extraits d’un essai en cours de publication sur Verlaine. Certaines des opinions qui y sont développées vont à contre-courant de la pensée « classique » en la matière. Dans cet ouvrage figure également un développement sur une preuve jusqu’ici passée inaperçue concernant l’homosexualité précocement assumée du poète.
Toute remarque, tout commentaire seraient les très bienvenus.

ÉTUDE SUR LES « FÊTES GALANTES ».

Les « Fêtes Galantes » second recueil de Paul VERLAINE sont éditées, à compte d’auteur, chez Alphonse LEMERRE en 1869. Ce petit ouvrage de Verlaine, qui ne compte que 22 poèmes, n’eut pas plus de succès[1] que le précédent (« Poèmes Saturniens ») quoi qu’il soit l’une de ses plus merveilleuses réussites au point de faire écrire à Claude CUÉNOT : « en tout cas, c’est de beaucoup le recueil le plus parfait, je dirais le plus exquis de Verlaine[2]. »

Nous étudierons chacune des 22 pièces de ce volume l’une après l’autre.

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Est composé de trois quatrains, de décasyllabes à coupe « classique » de type 4/6 disposés selon la formule : A B A B.

Commenter le génie est-il possible ?

Notons le parti pris de « répétition » de mots, de sonorités ou d’images :
« masques » et « bergamasques »
« jouant… et dansant et quasi… »
« Tout en chantant… et leur chanson… »
« Se mêle au clair de lune/Au calme clair de lune… »
« qui fait rêver… et sangloter… »
« les jets d’eau,/Les grands jets d’eau… »

Dans les quatrains, les sonorités creuses de rimes féminines, particulièrement choisies, contrastent avec l’extrême simplicité des masculines :
choisi/quasi contre bergamasques/fantasques dans le premier quatrain,
mineur/bonheur contre opportune/lune (moins complexe mais beaucoup plus aigue) dans le second,
beau/eau contre arbre et marbre particulièrement vibrantes et basses par rapport à cette  «eau » fermé.

Tous les quatrains sont bâtis sur les oppositions des atmosphères ou les sentiments qu’ils décrivent :
premier quatrain « charmant,… jouant,… dansant » et « quasi triste » puis, à nouveau, « fantasques »
deuxième quatrain. « Chantant… amour vainqueur… vie opportune » et « ils n’ont pas l’air de croire » puis à nouveau « bonheur/Et leur chanson… »
troisième quatrain : « Au calme clair de lune » et « triste » puis « beau », « Qui fait rêver… » et « sangloter » puis, « extase ».

Comment qualifier cet harmonieux mélange de tristesse vague, un peu indifférente, –faut-il écrire blasée ?–, et de légèreté encore presque joyeuse et peut-être déjà convenue qui fait l’essence de ce poème ?
L’énnéasyllabe allègre, eût été trop joyeusement sautillant, l’hendécasyllabe trop facilement boiteux, l’octosyllabe trop simplement harmonieux et l’alexandrin trop régulièrement beau. Le décasyllabe et son balancement régulier mais asymétrique était la mesure idoine, l’outil parfait pour exprimer ce que le poète voulait exprimer. La limitation de la longueur du poème à trois strophes sert également le même dessin.

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PETITE COMPARAISON VERLAINE–RIMBAUD.

Dans un ouvrage[3] acheté dans une vente de charité je découvre, se suivant immédiatement, des textes d’abord de Rimbaud puis de Verlaine et de cette proximité il naît évidemment une comparaison que je trouve très instructive.
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(Les textes étudiés font suite à ce paragraphe et le chapitre se termine par cette conclusion.)

Rimbaud est un excellent poète, servi par une oreille parfaite et un grand sens de la composition mais sa seule originalité, c’est d’avoir osé la « couleur pure » en poésie, de l’y avoir développée  à l’aide de ses vastes théories d’images, de ses successions de qualificatifs en des associations souvent et volontairement paradoxales. Pour tout le reste Rimbaud fait très « classique » et se montre très peu novateur.
Pour intéressant que soit le procédé, pour remarquable que soit l’application qui en est faite nous somme bien loin de la virtuosité complexe de Verlaine qui associe variétés des mètres, audace dans les coupes, les enjambements, les rejets, invention d’une véritable concaténation inter strophes, variété des langages, et réintroduction de l’assonance au profit d’un rythme, d’une musique, d’un sens qui bousculent toutes les règles. Sans doute l’outil est-il des plus complexes, allant jusqu’à user du « décalage » ou de l’approximation en matière de vocabulaire pour obtenir cette imprécision volontaire qui n’a rien de vague que l’impression qu’elle produit  et qui s’apparente plutôt à cette technique qu’en peinture  on appelle  le « sfumato ».

Verlaine, qui achève ce mouvement de libération du vers, commencé malgré tout timidement par les romantiques, et lui redonne, au service de l’expression poétique, la souplesse qu’il avait du temps de la Pléiade, est d’une autre trempe que Rimbaud. Cette souplesse au travers d’un usage raisonné de la licence en matière de versification et de l’infinie variété des combinaisons dont il use, Verlaine ne la met en œuvre que pour contribuer à soutenir par la musique qu’il crée ainsi ce que le vers exprime .  Elle est le fruit d’une part de son style et de ses préférences personnelles en matière de versification, d’autre part des procédés nouveaux qu’il emploie notamment dans le domaine de l’enjambement et des coupes.

Comment ne pas citer ici, à l’appui de ce que j’affirme, ce que disait déjà Charles Morice, poète également mais de l’école symboliste, de 16 ans plus jeune (1860-1919) que Verlaine que son admiration pour lui conduisit à écrire, du vivant du Maître et avec ses conseils, sa première biographie ?

Voici ce qu’il y écrivait[4] et que Georges Zayed relevait dès l’introduction de son ouvrage : « Lettres inédites de Verlaine à Charles Morice »[5] :

« Pour Verlaine le vers demeure le vers, l’être intangible et frémissant dont il avait appris des maîtres forgerons, Leconte de Lisle et Banville, et Baudelaire lui-même à forger l’armure et quelques-uns des plus célèbres alexandrins qu’on citera dans vingt ans seront de Sagesse. Mais bien plus hardiment que Sainte-Beuve, dans le même but et avec un plus grand sens de modernité, il l’assouplit, le détaille, ce vers, quand il faut selon les nuances de sentiment à rendre et selon de logiques lois nouvelles, - chez lui seuls logiques. L’enjambement devient nécessaire et très harmonieux, - secondaire toutefois, - avec les multiples déplacements de la césure, les allitérations notant et scandant le nombre, les assonances troublant délicieusement le vers de mineurs échos où l’éclat majeur, l’éclat de cor de la rime perd de sa brutale importance, avec aussi l’emploi de ces rythmes boiteux dont la symétrique absence de symétrie est une harmonie de plus dans tout ce très artistique désordre. – De tels moyens mis en œuvre avec le tact infaillible d’un Maître permirent à Verlaine d’accomplir qui tentait Sainte-Beuve, mais à laquelle, faute de ces moyens ou faute de ce tact, il renonça de bonne heure, poète mort jeune. »

Achevons cette citation de Charles Morice par ces quelques lignes prophétiques qui débutaient sa réflexion sur Verlaine dans l’introduction de sa biographie[6] :

« Mais cette beauté ne se communique point aux inattentifs ; elle n’est point « plaisante » puisqu’elle est « neuve », puisqu’elle n’est pas encore – dût-elle jamais l’être ! – une familière idole de la foule ; puisque, pour la comprendre cette révélation, il faut d’abord écarter toute préférence d’habitude ou d’éducation. »




Et le poème en prose - me direz-vous -, ce poème en prose qui, si j’en crois mes lectures,  donne ensuite naissance à toutes les formes contemporaines de la poésie, ce poème en prose dont Rimbaud serait le créateur dans sa forme « moderne » ?

 La prose supposée (et parfois réellement) poétique, et même le poème incohérent ou incompréhensible, appelé autrefois « fatrasie »[7] précèdent largement Rimbaud et les « modernes » quant au parti pris de destruction de toutes les règles, érigé en règle unique et point d’aboutissement, pour certains,  de la modernité rimbaldienne,  il ne saurait être raisonnablement considéré comme une innovation.

Voilà pourquoi je crois qu’il est  juste d’affirmer que Verlaine constitue le dernier novateur de la poésie française.

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[1] Dans « Verlaine, sa vie, son œuvre »–Le Mercure de France–1907, Edmond Lepelletier écrit en effet : « Il fit imprimer à ses frais tous ses premiers volumes,… ses droits d'auteur furent nuls. »
[2] « Poèmes Saturniens suivi de Fêtes galantes »–Le Livre De Poche Classique–1976. Notes de Claude Cuénot.
[3] Cent Poèmes pour la Liberté. Le Cherche Midi éditeur pour Amnesty International. 1985, p. 62-70.
[4] Paul Verlaine. Léon Vanier éditeur. 1888. P. 53-54.
[5] Lettres Inédites de Verlaine à Charles Morice. Georges Zayed. Nizet. 1969. Introduction, p. LXXIX – LXXX.
[6] Paul Verlaine. Léon Vanier éditeur. 1888. Introduction, p. 7.
[7] Voir à ce sujet la recension par Agathe Sultan de l’ouvrage de Martin Rus (et l’ouvrage lui-même) dans : Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes. http://cm.revues.org/1010

vendredi 3 juillet 2015

La Crue.






A la fin de sa crue et d’un débordement
Le fleuve quelquefois ne reprend pas sa place,
Il creuse un nouveau lit et s’écoule autrement ;
De sa fureur éteinte il demeure une trace.

Que voyez-vous au loin, prophète de malheur ?
La vie à tout moment est encore la vie,
La clairvoyance non, mais l’espoir et l’envie :
De l’aube la plus grise il naît mille couleurs.

La grêle hache le champ, fort bien, c’est une friche ;
De la moisson perdue et du champ dévasté
Il naîtra, l’an prochain, une moisson plus riche :
Le repos de l’hiver pour un plus bel été.

Si le fleuve a changé, sur sa rive nouvelle
C’est la même lumière et dans l’épi de blé
C’est la même promesse et qui peut la troubler ?
La joie est souveraine et l’amour est fidèle.

                              ***

jeudi 2 juillet 2015

Soliloque.





Courtes paroles d'un moment,
La nuit dans les ruelles noires
Où l'on ne peut faire autrement;
Courtes paroles d'un moment.

L'heure s'allonge immensément,
Courez, frivoles, méritoires,
Courtes paroles d'un moment,
La nuit dans les ruelles noires.

                    ***