(Château de Chantilly.)
Mes yeux,
mes pauvres yeux qui rêviez tant de femmes,
Je vous ai
bien usés – n’est-ce pas là mon drame ? –
Au vieux
papier bruni de ces pages de vers
Sans cesse
parcourues de l’avers au revers,
De vieux
tome en vieux tome, et parfois, il en fut,
De poète
anonyme en poète inconnu.
Vous rêviez
de regards, de longues chevelures,
En somme, de l’amour, dont moi je n’avais cure
Sinon dans
quelque stance au milieu d’autres mots
Dont j’aimais
la tournure ou jugeais le défaut.
Mes yeux,
mes pauvres yeux, que les femmes sont belles !
Vous le
saviez, hélas, je ne les voyais telles
Qu’au
travers des rondeaux, qu’au travers des sonnets
Et des
chants d’autrefois. Ce que j’en retenais
C’était une
musique et parfois une image
Et plus
souvent les noms des auteurs de ces pages,
Tout ce que
j’y trouvais c’était, à travers eux,
Une grâce fanée,
un amour poussiéreux.
Maintenant
que pour moi dans le cours de la vie
Toute
espérance est vaine, toute ardeur refroidie,
Combien je
suis chagrin, mes yeux, mes pauvres yeux,
De n’avoir
jamais rien su vous offrir de mieux.
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