mercredi 22 avril 2015

Deux Poèmes Obscurs.







Je rêve ce que j’aime,
Ce que je veux me manque,
Tous les jours sont les mêmes ;
Je rêve ce que j’aime.

Mais ce que le vent sème
Paye les saltimbanques ;
Je rêve ce que j’aime,
Ce que je veux me manque.

                                ***






Je parle sans mesure et j’éclate de rire
Et toute ombre m’ennuie où le néant s’inspire
Car moi je suis la Vie et ce monde est cafard,
Vaniteux, hypocrite et médiocre et blafard ;
Pourquoi mêler ma joie aux parures légères
A ses gueuses de fonte, à ses gangues de pierre
Et traîner dans la boue et ramper dans l’ornière
Et partager sa peine à jamais étrangère ?
Non ! Moi je suis la Vie et je danse l’été
Et je danse l’hiver aux froides nudités
Des champs de neige vierge et je chante l’aurore
Qui s’efface toujours et qui revient encore.

                            ***

dimanche 19 avril 2015

Déluge.







Il pleut sur le mois d’août et l’été décati,
Sur l’asphalte luisant, sur le toit rouge ou gris,
Sur la pierre de taille et sur le mur de briques
Et sur le carrefour et sur les trois boutiques
Qu’on peut apercevoir du haut de mon balcon.
Il bruine un chagrin froid, obtus et terne et long,
Un chagrin innommé, sans terme et sans remède,
Auquel tout participe ou se joint ou bien cède.
Il pleut sur le mois d’août et sur l’été maudit
Et sur ce que l’on pense et sur ce que l’on dit,
Il pleut sur nos regards et sur notre inconscience,
Il pleut sur nos désirs et sur notre impatience.
Il pleut à vous ôter le goût de vivre un peu,
A vous priver de rire, à oublier vos jeux,
A ne plus rien vouloir, à n’avoir plus envie,
A ne plus pouvoir croire aux beautés de la vie.

                              ***

Canzoniere de Pétrarque. Tansposition du Madrigal CVI.







Une beauté aussi nouvelle qu’angélique
S’est envolé du ciel jusqu’au rivage ombreux
Où m’avait amené ce destin qui s’applique
A vous tracer des jours heureux ou malheureux
Et comme j’allais seul et sans escorte,
Elle tendit dans l’herbe au travers du chemin
Ce rets tissé de soie et si fine et si forte
Dans lequel je fus pris plus qu’en un tournemain.
Mais plaindrai-je mon sort ? Si douce est la lumière,
Les cieux m’en sont témoins, qui jaillit de ses yeux
Que je n’ai ni regrets, ni nouvelle prière
Et que je ne pouvais non plus désirer mieux.

                         ***

mercredi 8 avril 2015

Canzoniere de Pétrarque. Transposition du sonnet II.






Sonnet II :Comment il fût victime des embûches de l’Amour. »[1]

Comme il voulait punir d’un seul  trait mille offenses,
L’Amour, en se cachant, ourdit ce guet-apens ;
Sans bruit il prit son arc et choisit son moment
Avant que de lancer le fer de sa vengeance.

Dans mon cœur et mes yeux, confiante en leurs défenses,
Ma vertu se croyait à l’abri du tourment
Mais la flèche frappa –et  quel étonnement –
Où toutes s’émoussant, montraient leur impuissance,

Et voyant sa vigueur surprise en un instant,
Troublée à cet assaut, elle n’eut pas le temps
Aussi bien d’esquiver que de prendre les armes,

Pas plus que de chercher par un retrait prudent
Sur quelque cime altière à parer aux alarmes
Qu’elle veut mais ne peut plus guérir maintenant.



[1] Dans : Canzoniere – Pétrarque, nrf, Poésie/Gallimard. 1983.