Mon ami Pierrot...

(Venise - Le Grand Canal vu du Rialto.)

Pierrot songeant à Colombine

Au clair de la lune d’un soir,

Se parlait d’amour sans espoir

Et faisait un peu grise mine…

« Curieuse chose que ma vie,

Pleine de ce rêve amoureux

Mais solitaire et désunie ;

Curieuse chose que ma vie.

C’est de vent que je l’ai remplie

Comme font tous les songes creux ;

Curieuse chose que ma vie,

Pleine de ce rêve amoureux. »

La lune un petit peu mutine

Répondit : « Mon ami Pierrot,

Dans ce que le sort nous destine

On peut passer de moins à trop… »

                               ***

Pierrot.

I.

Au noir le plus profond des nuits

Pierrot allume une chandelle

Et son bougeoir de cuivre luit

Au noir le plus profond des nuits.

Pierrot reprend sa plume et puis

Ecrit un chant qui parle d’elle

Au noir le plus profond des nuits,

A la clarté de sa chandelle…

II.

La lune manque et c’est tant pis,

Colombine est toujours plus belle,

Fantôme en son ombre tapi ;

La lune manque et c’est tant pis.

L’amour sait jouer du dépit,

C’est en vain que Pierrot l’appelle,

La lune manque et c’est tant pis,

Colombine est toujours plus belle.

                               ***

Colombine et Pierrot.

(Château de Chambord.)

Amateur de recoins discrets

Et de pénombre écrivassière

Mon vers vagabonde distrait

A distance de vos lumières.

C’est un promeneur attardé

Que ses vieilles nippes contentent,

Désuet à le regarder

Comme à l’entendre, dilettante.

L’allure d’un épouvantail

Autant que d’un polichinelle,

Amateur d’infimes détails,

De vent d’aube et de coccinelles,

Collectionneur d’instants furtifs

Qui ne font pas un personnage,

Jardinier des échos plaintifs

Dont le temps marque son passage…

Comme un souvenir de Pierrot

Dont se moqueraient Matamore,

Les fous, les sages, les marauds

Mais que Colombine aime encore.

                               ***