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mercredi 21 mars 2018

Que répondre ?



(Albi - Tarn.)
Je ne sais pas ce que le vent raconte
Soulevant la poussière du chemin,
Le feuillage s’agite et parle en vain,
Je ne le comprends pas et j’en ai honte,
Moi, qui depuis cinquante ans chante, bois,
Monts, lacs, routes, ruisseaux rivières,
La course d’un nuage ou la lumière
Et l’éternelle succession des mois…

Je crois parfois surprendre une parole,
La suivante à l’instant me fait défaut
Et la troisième, à peu près aussitôt,
Se perd, s’assourdit ou s’envole.
Je reste là, triste et penaud,
L’horizon semble attendre une réponse
Que je ne puis, en cette langue absconse,
Lui faire aussi bien qu’un moineau !

                     ***

dimanche 11 février 2018

L'Avenir.




Ils furent dix mille et puis mille,
A la campagne comme en ville,
Ensuite plus que cent et combien donc demain ?
Demain, ils seront un.

Un pour lire et aimer, le même pour écrire,
Voire pour critiquer et l’écho pour en rire.
Après ? Plus rien. Ni peine pour vous assaillir,
Ni souvenir.

Ils furent dix mille et puis mille,
A la campagne comme en ville,
Ensuite plus que cent et combien donc demain ?
Demain, ils seront un.

Chacun ses propres mots et chacun son langage
Dont nul autre que lui ne pourra faire usage.
Bientôt l’esprit en berne et l’art -est-ce étonnant ?-
A l’avenant.

Ils furent dix mille et puis mille,
A la campagne comme en ville,
Ensuite plus que cent et combien donc demain ?
Demain, ils seront un.

Mais je m’en moque bien lorsque j’écris ces lignes,
Le temps que j’ai passé par ici me désigne
Pour laisser les soucis et voyager bientôt
L’âme en repos.

Ils furent dix mille et puis mille,
A la campagne comme en ville,
Ensuite plus que cent et combien donc demain ?
Demain, ils seront un.

En attendant, mot après mot, j’use et j’abuse,
Je trouve et je reprends, j’invente et je m’amuse.
Les bien-pensants en conçoivent-ils du dépit ?
Eh bien tant pis !

Ils furent dix mille et puis mille,
A la campagne comme en ville,
Ensuite plus que cent et combien donc demain ?
Demain, ils seront un.

                               ***                                                        

Note : la forme choisie pour ce texte est celle d’une chanson de Jean Antoine de Baïf (1532-1589) : « A la fraîcheur je voudrais or’… » que l’on peut lire dans : Chansons Françaises de la Renaissance. Édition de Georges Dottin – NRF – Poésie/Gallimard – 1991. P. 32-33.

mercredi 5 avril 2017

A celui qui craint pour la langue française.





Ce que vous exposez comment s’en défâcher[1] ?
Votre peine est la mienne et pourtant ce partage
Bien loin de l’alléger, la grandit d’avantage,
Voici pourquoi, Monsieur, j’ose vous aboucher[2].

Si le français se meurt de ces mots étrangers
Dont on voit augmenter sans fin le pourcentage,
N’est-il pas nécessaire aux fins d’un sauvetage
De chercher le moyen de l’en bien absterger[3] ?

Et ne prendrons-nous pas, malgré ce qu’il en coûte,
Les mesures qu’il faut pour nous frayer la route
Vers la riche forêt de « Pas Encore Dit » ?

Allons cueillir ces mots qui feront nos délices,
Ragoûtons[4] notre oreille et moins abalourdis[5]
Bâillonnons songe-creux comme songe-malice[6] !

                               ***


[1] Défâcher : s’apaiser, perdre sa colère.
[2] Aboucher : aborder quelqu’un.
[3] Absterger : purger, nettoyer une plaie.
[4] Ragoûter : renouveler l’appétit.
[5] Abalourdir : abrutir, rendre stupide.
[6] Songe-malice : malin qui s’applique à faire quelque mauvais tour.

Toutes ces définitions sont tirées du dictionnaire de Furetière (XVIIe siècle).