dimanche 28 octobre 2018

Jeux poétiques: un manuel.



Trouvailles et Retrouvailles.





Le poème est un peu comme la vie, le début en est presque toujours aisé car il dépend fort peu de vous, toute la difficulté est dans la fin.





Introduction : 



J’ai appelé ce livre  « Trouvailles et Retrouvailles».
« Retrouvailles » parce qu’on y exhume quelques formes anciennes et délaissées qu’il est amusant, je trouve, de réemployer, « Trouvailles » parce que « Inventions » aurait été terriblement excessif.

Maintenant fallait-il vraiment écrire cet ouvrage ?

Il ne s'agit là en effet que du fruit de réflexions sur la versification, des réflexions, dont certaines durent depuis fort longtemps, et qui ont abouti, ici ou là, à ce qu'on ne peut qualifier, au mieux, que de variations sur des formes déjà existantes depuis des siècles et des siècles.
Ces différentes « trouvailles » n'épuisent pas, et de loin, le sujet,  aussi, je souhaiterais que l'on considère ce livre, comme une sorte de jeu, et de ce jeu la meilleure justification, serait qu’il soit capable de donner envie de le jouer à d'autres que moi.

Ceci mérite sans doute un développement.

Le bon sens et un reste d’humilité me gardent de vouloir mettre mes pas dans ceux du très orgueilleux et très dogmatique auteur d’un certain « Manifeste » et de vouloir remplacer ses claironnantes affirmations par d’autres qui en prendraient l’exact contrepied.

Il me faut cependant reconnaître que j’ai moi-aussi quelques « certitudes » et que celles-ci ne sont pas étrangères à la rédaction de ces pages.
Je suis de ceux qui croient que la poésie est un art et qu’un art ne se décrète pas mais qu’il s’élabore. Qu’il s’élabore à l’aide d’outils qui dépendent beaucoup de l’artisan qui les utilise et pour une part également de l’époque où l’on s’en sert mais que ce qui constitue l’art en lui-même, que ce qui le distingue des autres arts comme des autres activités humaines peut se définir indépendamment de l’écoulement du temps.

Ainsi n'y a-t-il pas de « lois » en poésie ; ce que beaucoup considèrent, à tort, comme tel– je veux parler des règles de la métrique et de la versification –, ne constitue en fait qu'une batterie d'outils utiles à la réalisation du but que se propose le poète : écrire de la poésie…

C’est assez dire, par conséquent, que chaque auteur peut les adapter à sa tâche : à chaque tempérament le soin de choisir parmi ces outils, ceux qui lui conviennent plus exactement, ceux avec lesquels il s'exprime le plus facilement. Chacun a la licence de les modifier, de telle sorte qu'ils remplissent au mieux le rôle qu'il leur assigne. Chacun doit cependant conserver à l'esprit que prose et poésie n'ont rien de réellement commun entre elles (sinon une part, au moins, de la langue dans laquelle toutes deux s’expriment). S'il existe réellement une prose poétique, il n’a jamais existé, il n'existe pas et il n'existera jamais de poésie en prose pour la simple raison que la prose n’est qu’un moyen de communiquer des informations, des données et quelquefois d’expliciter des sentiments quand la poésie, dont une partie seulement des moyens vient de la prose,  n’a pour seule finalité que le partage d’une émotion (de quelque nature qu’elle soit) au travers d’un art, c’est-à-dire de l’objet le plus inutile au fonctionnement d’une société et le plus indispensable à l’homme.

                                                                               ***



Réflexions.



Voici deux textes poétiques :



Qui pourrais-je chanter
Parmi les jouvencelles ?
Nulle si ce n'est elle :
La Dame de Beauté.

Quoi qu'on ait pu conter,
Aussi sage que belle ;
Qui pourrais-je chanter
Parmi les jouvencelles ?

Heureuse la cité
Qui la connût pucelle,
Il n'y en eut de telle
Ailleurs en chrétienté ;
Qui pourrais-je chanter ?

Non quelque péronnelle
Pleine de vanité
Ou bien sa sœur jumelle
En la méchanceté,
Non, mais seulement celle
Qu'on dit avoir été,
En mille ritournelles,
La Dame de Beauté.

Ce texte s'intitule : Agnès Sorel – La Dame de Beauté.






Second texte poétique :

Il est curieux de voir le bavard encensé,
Apprécié le vantard et loué l'hypocrite,
Il est curieux de voir aimé le sybarite,
Adulé le menteur et flatté l'insensé.

Il est curieux de voir le bon sens abaissé,
Mépriser l'honnête homme et l'escroc tenu quitte,
Il est curieux de voir dans ce qu'on nous récite
La faiblesse promue et le droit délaissé.

Il est curieux de voir qu'à Paris, en province,
C'est le plus raisonnable avant tout qu'on évince,
Afin d'être à la mode, au profit du plus fou,

Au profit du moins grand, au profit du plus bête,
Et que le plus violent écarte le plus doux ;
On s’étonne qu’un peuple ait aussi peu de tête.

Ce texte se nomme : Sonnet à la manière de Joachim du Bellay (1522-1560).

(Ce second texte poétique, écrit en alexandrins, prend en effet la forme du sonnet. )





Ces deux poèmes marquent deux styles de poésie très différents, le premier, représenté par ce que j'appellerai une forme « à retour », dérivée du rondeau, où l'on voit se répéter l'un des vers ou l'une des parties d'un vers, associée à une scansion parfaitement perceptible, représente un mode plus archaïque, où l’attention se trouve retenue essentiellement par la production du rythme et d'une impression plus générale que détaillée.

Dans le cas du sonnet, nous avons au contraire affaire à une forme poétique où chaque ligne, chaque vers comporte un sens, qui lui est propre, au service d'un ensemble, véritable prise de position ou affirmation d'un sentiment auquel chacun des vers concourt individuellement par ce qu’il exprime.

Ces deux modes ne s'opposent pas l'un à l'autre, mais supposent des instruments et des buts différents, scansion, refrain et impression contre élaboration d'un « manifeste » par la succession de propositions détaillées individuellement significatives et auxquelles la forme métrique apporte une cohérence supplémentaire.

Tout ceci pour simplement essayer de vous faire toucher du doigt l’intérêt qu’il peut y avoir à créer ou à peaufiner l’outil poétique que l’on choisit d’utiliser pour rendre telle ou telle impression.

Et si d’aventure ce que je viens d’écrire ne suffisait pas à bien faire comprendre ce que je veux dire voici deux nouveaux exemples. Je les crois assez démonstratifs pour se passer de commentaire.





Attention : pour le texte ci-dessous, il est particulièrement important de prononcer les e muets qui restent (ceux qui sont imprimés pour être clair) !




Les mots d’alors – I.

C’était l’bon temps,
Eul’ temps qu’les mots avaient un sens,
Qu’on pouvait même entre poteaux[1]
S’comprendre à demi-mots.

D’nos jours c’est ben plus compliqué,
C’te foutue langue est détraquée ;
N’importe quoi veut dire aut’chose :
T’es jamais sûr d’comprendr’ leur prose…

De quoi qu’tu voudrais discuter
Et à quoiqu’ça sert de chanter
Avec c’t’engeance de marioles
Eud’boursouflés et de guignols ?

Arrêt’ d’jacter, tu perds ton temps,
Ça n’sert de rien personn’ comprend,
T’es comm’eul pingouin dans l’désert
Qui parl’tout seul. – Qu’est-ce qu’i peut faire ?

                               ***






Les mots d’alors – II.


Je regrette beaucoup de n’être plus à l’âge
Où l’on usait d’un seul et unique langage.
Les mots avaient un sens, ce que l’on avançait
Parlait à la raison et c’était en français.

Le tout premier venu, sans lui faire un dessin,
Savait qu’un meurtrier n’est pas un assassin,
Qu’un déni de justice au lieu d’être « terrible »
Est d’abord inquiétant et puis inadmissible.

L’écolier le plus bête avait quand même appris,
En pensant par lui-même, à faire un peu le tri
Entre ce que l’on sait et ce que l’on raconte
Et, sincère, associait l’ignorance à la honte.

Si cet âge comptant autant de prétentieux,
De bavards, qu’aujourd’hui, nous les moquions bien mieux,
Pour la « faiblesse » aucun n’aurait dit « tolérance »
Et il faisait vraiment assez bon vivre en France.

                                               ***

 

Forme X + Vers.




Mon premier essai donna naissance à ce texte :



Rêver du retour.

A la date du vingt et un on dit que le printemps revient,
Question de fleurs, c’est du moins ce que j’en retiens
Et question de bourgeons : on dit que le printemps revient.
J’entends aussi les merles chanter, pourquoi pas après tout ?                                     (1)
Et les jours se sont faits plus longs mais quant à dire qu’il fait plus doux…             (2)
Le vent qui souffle froid, lui, s’amuse comme un fou !                                                     (3)
Dans n’importe quel jardin, il pousse mille petits riens
Dont j’ignore les noms, rêver sans doute fait du bien,
Rêver, oui, rêver de lumière : on dit que le printemps revient.

                               ***                       


                                              

Note : la description exacte de cette technique est plutôt X+rime mais on pourrait tout à fait en développer la variante X+vers complet (chaque fin de phrase se composant d’un vers de même nombre de pieds).  On obtient alors :                                                                                        

(1)    J’entends aussi les merles chanter, pourquoi pas chanter après tout ?
(2)    Et les jours se sont faits plus longs, quant à dire qu’il fait plus doux…
(3)    Le vent qui souffle froid, lui, le vent s’amuse comme un fou !

qui suffisent à faire de ce texte une forme en X+vers, ce qui est préférable ne serait-ce que pour ne pas copier le « verset » de Claudel, un auteur que, je le répéterai encore, j’apprécie peu.

                               ***




Autre exemple : Tardif.

Il se fait tard, voici minuit, je me souviens de mes amours,
Le calme règne autour de moi, chacun défile tour à tour,
Certaines oubliées, au fil du temps, au fil des jours,
Qui ne m’ont rien laissé, sauf un prénom et un visage,
Pas un regret, il fallait bien tourner la page ;
Pourtant je crois que c’était un bel âge…
Dans le silence et dans la nuit où ce qui fut est sans recours
Je me souviens de mes amours.

                                ***      



Le texte  suivant est un exemple de construction mixte, le quatrain d’entrée et le quatrain de sortie sont de construction « classique », la strophe centrale est écrite en « X-vers ». 


Le solitaire.

A l’aurore, à minuit, ailleurs, ici,
Le soir aussi bien qu’à midi,
Quand je parle à ma solitude
Je lui redis ma gratitude.

En effet qui d’autre voudrait m’écouter car souvent je rabâche,
Répète, radote et ressasse et demeurer patient c’est une rude tâche.
Qui donc me sourirait malgré l’aigreur de mon propos, répété de surcroît,
Des familiers ? Des proches ? Des amis ? Non, personne je crois.
A ce point de mon soliloque, il faut que je sourie ;
Complétez donc ma liste, ajoutez un conjoint et pourquoi pas ? Quelle plaisanterie !

A l’aurore, à minuit, ailleurs, ici,
Le soir aussi bien qu’à midi,
Auprès de moi, vieux refrain monotone,
On ne trouve jamais personne !

                               ***


                                                       

La Reprise.




Pièce de même style que les rondels et autres rondeaux.

Dix vers + un demi (le classique « rentrement ») en deux quatrains et un distique (4/4/2), octo ou décasyllabes sur deux rimes selon la forme :

A1B1B2A1

A2B3B4A3+1/2 B1 (rentrement)

B5A1  (conclusion).



Le premier essai aboutit à un montage inexact mais si proche que je l’ai cependant conservé comme premier exemple:

La 1ère strophe est en A1B1B2A2, la 2nde en A3B3B4A4 ½ A1, la conclusion est en B5A5.

L’inventeur.

J’invente ici, sans trop oser,
Car il se pourrait qu’on en rie,
Des strophes que ma confrérie
Devrait, j’espère, avaliser.

D’autres feront des mots croisés,
Des enfants, de la broderie
Ou bien mille autres mômeries
Et ils seront bien avisés
Sans trop oser.

Aux fous toute folâtrerie
Ils n’en seront jamais blasés.

                               ***                       



Un Moment.

Ce ne fut pas plus qu’un moment,                          
Une passade ou un orage,
Un peu de soleil de passage ;
Ce ne fut pas plus qu’un moment,

Mais nous ne découvrons vraiment
Qu’après avoir tourné la page
Si c’était un mot seulement,
Un souffle léger de passage
Ou un orage.

Quoique il en soit, et c’est dommage,
Ce ne fut pas plus qu’un moment.

                               ***       
                                                             

Autres « Reprise » :


Un mauvais choix.                                                                        

Tabellions et vous poétaille,
Levez la plume, écoutez-moi :
Êtes-vous sûrs de votre choix,
Tabellions et vous poétaille ?

Que peiner sur les mots le vaille
Est-ce un credo pour votre foi ?
Ne craignez-vous pas quelques fois
Que votre temps en vain s’en aille ?
Écoutez-moi.

C’est en tout cas ce que je crois,
Tabellions et vous poétaille !

                               ***
                                                                            


Promenade matinale.

Je m’en allais, mon chien en laisse,
Dans la chaleur d’un beau matin,
Lui le pas vif, moi, l’œil éteint ;
Je m’en allais mon chien en laisse.

Je sais bien quel besoin le presse,
Qu’il soulage dès qu’il atteint
Un arbre et je songe à demain.
Ô jours identiques sans cesse,
Mon chien en laisse ;

Rêvant d’un repos trop lointain
Je m’en allais, mon chien en laisse.

                               ***                                                                      



Le Muzain.





J’ai découvert cette forme en lisant  les textes d’un contemporain de Malherbe : Abraham de Vermeil (1555-1620) dans l’ouvrage Anthologie de la poésie française du XVIIe siècle, Poésie/Gallimard – 2009 – P. 479-480.

Ce petit poème se compose d’un quatrain suivi d’un quintil, écrits (au moins chez Abraham de Vermeil) en alexandrins selon le schéma suivant :

Quatrain à rimes embrassées ABBA + quintil CDCCD.


Le Passant.

A ce balcon là-bas où j’aperçois un homme,
Vous auriez pu me voir bien souvent autrefois
Profitant de l’été mais ce n’est plus chez moi ;
C’est en « passant » que je l’observe, ou c’est tout comme.

Quelle belle lumière éclairait le salon
Quand la chaleur du jour dorait le crépuscule,
C’était là mon foyer, je n’en dis pas plus long ;
Déjà la nuit s’en vient et les mots sont de plomb,
Un « passant » qui s’attarde est vite ridicule.

                               ***                                                                      




Un bel été.

Plutôt que de s’enfuir, l’après-midi s’effrite,
Pénombre de poussière où dorment des reflets,
Silence de l’été derrière les volets
Où depuis quelques jours votre loisir s’abrite.

Il n’y a rien à faire et qui voudrait penser
Dans pareille chaleur ? Imaginez-vous pire ?
Partout, où que l’on soit, on s’éveille lassé,
On ne parle qu’à peine et l’on doit confesser
Se sentir épuisé du seul fait qu’on respire.

                               ***                                                                      



Prudence !

Ne mangez pas ceci, ne buvez pas cela,
Courez tous les matins et malheur aux obèses !
Vous appréciez la viande ? Horreur ! A Dieu ne plaise
Qu’on assassine un veau pour vous en faire un plat.

Lorsque vous voyagez, interdit d’aller vite,
Reposez-vous d’abord, reposez-vous pendant
Et ne me dites pas que cela vous irrite,
Tout est pour votre bien ; votre Etat vous invite
A le remercier et gare aux dissidents !


                               ***       
                                                              


Et voici ce que donne un Musain en octosyllabes :




Eté torride.

L’après-midi brûle au soleil
Les lointains bleus des paysages
Et leur poussière de villages,
De blancheur d’ocre et de vermeil.

Pas un souffle, pas une brise,
Au point que l’heure de midi
Hésite à passer, indécise,
Tant se mouvoir est peu de mise
Quand l’été flambe à l’infini.

                               ***                                                                      



Le tercet Coué.




Le tercet coué, cher à Rutebeuf (1230-1285), est composé de deux octosyllabes suivis d’un quadrisyllabe, au point de vue de la rime les tercets se succèdent selon le schéma suivant :

AAB / BBC / CCD / ….


Le pays de Cocagne.

Plus noirs que la nuit n’est obscure
Il est des arbres qui murmurent
Au vent du soir.

Murmure, chant, qui peut savoir ?
Un amant entend « au-revoir »
L’autre « peut-être »…

Un souffle ténu le fait naître
Il cesse et le silence est maître
De nos destins.

Nécessité que rien n’atteint
Qu’au moins les notes du refrain
Nous accompagnent

A l’heure où le sommeil nous gagne
Rêvant d’un pays de Cocagne
Qu’on cherche en vain.

                               ***                                                                      



Censure.

Vous ne saviez pas qu’aujourd’hui,
Bien plus que hier, trop parler nuit ?
Qui dit « censure » ?

Certains voudraient, leur âme est pure,
Qu’on surveille jusqu’aux murmures
En société.

On n’y doit surtout pas traiter
De ce qui viendrait objecter
Au goût du jour.

Que ce soit en art, en amour,
Dans la politique ou l’humour
Et même en sciences,

Gare à qui heurte la conscience
Des nouveaux bigots sans patience,
Des nouveaux dieux

Ignorants, veules et odieux
D’un monde qui vit sous les cieux
Sans clairvoyance.

                               ***                                                                      



Primesautier.


Soyons un peu primesautier,
Ne faut-il pas tout essayer
En l’art d’écrire ?

Octobre est là ce qui veut dire
Le froid. Tant pis, il y a pire :
Sourions-en.

Novembre arrive déplaisant,
Sombre, neigeux, peu séduisant
Mais si tranquille…

Décembre au loin, triste et sénile,
Qu’attend-il ? Rien, mais nous, fébriles,
Quelques banquets.

Janvier de glace à mes couplets,
Janvier où le monde se tait,
Tout se repose.

Février… Non ! Assez de gloses !
Aucune joie avant les roses,
Chacun le sait.

                               ***



Les difficultés de la vie.

Il vous faut quitter la maison
Sans regarder à la saison,
L’exil l’ignore.

Il est des règles pour la flore
Mais pour le besoin pas encore,
Et vous partez.

Vous allez, qu’importe le temps,
Où le salaire vous attend ;
Les soirs sont tristes.

L’aube vous voyait utopiste
Mais vos midis sont réalistes :
Il faut manger.

Vous ne cessez de voyager,
Ici, là, toujours étranger ;
Les jours défilent.

Récriminer est inutile,
La plainte restera stérile :
Il faut manger…

                ***




Le Rondet de Carole.




J’ai trouvé trace de cette forme du premier tiers du XIII è siècle dans le Roman de la Rose ou Roman de Guillaume de Dole de Jean RENART. Edité par Félix Lecoy – Les Classiques Français du Moyen-Âge – Paris – Honoré Champion – 1979 – P. XXVI, Note 2.

La définition qui s’en trouve donnée dans cet ouvrage est un peu imprécise et les exemples de cette pièce que le texte fournit montre une certaine variabilité de forme.
Il m’a paru possible de tirer de l’ensemble de ces éléments la description ci-dessous.

Composée de sizains hétérométriques de trois heptasyllabes suivis d’un pentasyllabe puis d’un nouvel heptasyllabe et enfin d’un pentasyllabe. Elle comporte un refrain répété de strophe en strophe qui  se construit comme suit : le second heptasyllabe de la première strophe et en fin de strophe, à nouveau cet heptasyllabe que suit le deuxième et dernier pentasyllabe de la première strophe.

Chaque strophe répond par conséquent au schéma suivant :

a1 A2 a3 b1 A2 B2
7   7    7   5   7    5     pieds  


Oubliez.

Laissez ce souci pesant,
Oubliez le temps présent,
Il est des jours amusants
D’innombrables sortes ;
Oubliez le temps présent
Que l’instant emporte.

L’amour n’est-il pas grisant ?
Oubliez le temps présent
Parmi les songes plaisants
Que ce dieu apporte.
Oubliez le temps présent
Que l’instant emporte.

Princes comme paysans,
Oubliez le temps présent,
On ne craint qu’en s’abusant,
S’amuser conforte.
Oubliez le temps présent
Que l’instant emporte.

***                                                                      





Pareille aux amants.

La mer inlassablement,
Ainsi que font les amants, 
Se fâchant puis se calmant,
Promet et désole
Dont les mots s’envolent.

Et puis après, s’endormant,
Ainsi que font les amants,
Son murmure tendrement
Apaise et console,
Ainsi que font les amants
Dont les mots s’envolent.

                               ***



Et avec une entorse à la fin du second sizain :


Les figues.

De la nuit avons-nous cure ?
Voyez, les figues sont mûres,
Des noix la récolte est sûre,
On va vendanger ;
Voyez les figues sont mûres,
Il faut les manger.

L’aurore n’est qu’une épure,
Voyez les figues sont mûres,
La brume en est la parure,
Le temps va changer ;
Voyez les figues sont mûres,
Comment s’affliger ?

                               ***                                                      




La Rime « Goret[2] » .  




C’est par ce terme très discourtois que, dans son Art Poétique François – 1548, Thomas Sébillet[3] (1512-1589) désigne l’assonance[4] (homophonie des seules voyelles accentuées, finales des vers) qu’il qualifie également de « rime de village ».

Il ne s’agit pas là d’une « trouvaille » ni,  à proprement parler, d’une « retrouvaille », l’usage de l’assonance étant redevenu une pratique courante en poésie dès le début du XXe siècle. Seule compte peut-être ici le fait de n’utiliser que, ou quasiment que, l’assonance pour composer le poème.

Ce faisant on affaiblit un des éléments constitutifs du poème mais on pourrait imaginer pallier cet affaiblissement par un renforcement ailleurs, par exemple une accentuation du rythme à l’aide de mots bien choisis, comme on le fait quand on fait appel au procédé  de l’harmonie imitative ( rappelez-vous les fameux : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes[5]  de Jean Racine, 1639-1699, ou bien : Quand les grondans tambours sont battants entendus[6] d’Agrippa d’Aubigné, 1552-1630).




Un été blanc.

Blanc,

Le soleil à midi sonnant
Les mois des étés de fournaise
Dont la flamme court sur le faîte
Des toits bancals et zig-zaguant
Sur l’ombreux lacis des ruelles
Et des arrière-cours muettes.

Blanc,

Le sable ès chemins cheminants
Dans la campagne grise et sèche
Qui rêve d’averses nouvelles
Tombant à grand renfort de vent
Sous un ciel doublé de nuages
Lourds de leurs promesses maussades.

Blancs,

Les murs où juillet ondulant
De chaleur consume la pierre
Dans les flammes caniculaires
De son brasier indifférent ;
La vasque est vide et fissurée
Et les grilles de fer chauffées

A blanc.

                               ***                                                                      



Débat.

Voulant que ses lecteurs débattent,
Ici (plus bas) l’auteur s’engage :

Souventes fois n’a-t-on pas dit
Que la règle à la rime nuit
Que la beauté naît informelle
(Voir Vénus Anadyomène…)
Et qu’un chef-d’œuvre spontané
Mérite seul d’être admiré.
Pauvre Ronsard, pauvre Malherbe,
Pauvre Villon, pauvre Hugo, certes
Pauvre de moi mais pour le coup,
Pauvres en tout, pauvres de vous !

                               ***



Le Pseudo-Rondeau.



C’est un pur exercice de style qui n’apporte à une famille déjà très diversifiée que la facilité de composition de ses strophes en rimes plates ainsi que l’amusante présence d’un refrain en début de strophe deux.

Il se compose ainsi de 16 octosyllabes sur 4 rimes et 3 strophes selon le schéma :

A1A2B1B2C1C2
A1A3B3B4
C3C4D1D2A2A1


Avant.

Je voudrais bien quitter ces lieux
Avant que d’être un peu trop vieux
Pour profiter de l’avantage
Et des agréments du voyage ;
Pourtant je suis claquemuré,
Et ne puis rien sauf demeurer.

Je voudrais bien quitter ces lieux,
Libre, vaguer sous d’autres cieux ;
Je comprends l’animal en cage,
Tant sa tristesse que sa rage.

Il me faudrait d’un trait barrer,
Car je les sens par trop dorés,
Les souvenirs de ma jeunesse.
Qu’on me pardonne ma tristesse,
Avant que d’être un peu trop vieux
Je voudrais bien quitter ces lieux.

                               ***


Sentence.

Ce qui me reste est limité.
Qui de six florins en fait seize ?
Ce tour me mettrait à mon aise !
Et plus encore avec le temps
D’en savoir faire tout autant.

J’y songe avant d’en profiter :
Faisons contre nécessité
Bon cœur, et de nos cendres braises,
En sorte que vivre nous plaise.

Que celui qui n’est pas content
Sache bien que ce qui l’attend
-Que l’on s’en moque ou s’en offense-
C’est toujours la même sentence ;
J’y songe avant d’en profiter :
Ce qui me reste est limité.


                               ***




Octobre.

Octobre a changé de maintien,
Voici que ses matins pâlissent,
Voilà que ses midis se glissent
Sous d’épais voiles de brouillard
Dont le soir sort comme un vieillard.

En pensant à l’hiver qui vient
Le vent qui fraîchit a fait sien,
Parmi bien d’autres maléfices,
Cet aigre chant plein de malice.

Les jours ont au fond du regard
Cette tristesse des fuyards ;
Voyez, l’ombre à peine envolée,
Les sillons couverts de gelée :
Octobre a changé de maintien
En pensant à l’hiver qui vient.

                               ***





Le Rondeau Bâtard.


Autre variante «  personnelle »  du rondeau  qui en connaît tant que l’on peut s’interroger sur son classement parmi les « formes fixes ».

Ce dérivé possède la structure suivante :

A1A2B1B2 / A3A4A2Clausule / A5A6B3B4B2Clausule.

La « clausule » est ici la répétition d’un fragment du premier vers après les seconde et troisième strophes (à l’origine, dans la rhétorique antique, la clausule est une fin de phrase constituée d’une combinaison fixe de syllabes longues et brèves qui vient rythmer le discours).



Aux pieds.

Pour la rime pas de raison,
Pas de devoir, pas de saison,
Ce n’est, inutile et joyeuse,
Qu’une fantaisie astucieuse.

De haut en bas, de large en long,
Les pieds ailés et non de plomb,
Pas de devoir, pas de saison,
Pour la rime.

On dit que les poètes sont
Ceux qui le savent et qui font
Qu’en strophes jamais sourcilleuses
Leurs lignes ne soient, audacieuses,
Qu’une fantaisie astucieuse
Pour la rime.

                               ***



Mademoiselle de GOURNAY[7].

Dites-moi qui de vous connaît
Que l’on vit, comme admiratrice,
Pour Ronsard entrer dans la lice ?

Les lois de Malherbe, qui sait
Encor combien les haïssait
Mademoiselle de Gournay
Dites-moi ?

Le découvrant je m’étonnais,
Aujourd’hui, je le reconnais,
Les temps y étant peu propices,
Qui voudrait, lecteur ou lectrice,
Pour Ronsard entrer dans la lice,
Dites-moi ?

                               ***


Je.

Phrase d’antan et mémorable :
Ces jours nous aurions sans faillir
Très largement de quoi haïr.

« Je », dit, et c’est inacceptable,
Celui qui de tous est comptable :
Le « Je », dit-on, est haïssable,
Phrase d’antan.

« Je », dit chacun, imperturbable,
Face au besoin de ses semblables ;
Qu’un mal, tous, nous vienne assaillir,
Ceux-là auront, qu’il vient cueillir,
Très largement de quoi haïr ;
Phrase d’antan.

                               ***





Le Sonnet-Rondeau (variantes personnelles).



Idée trouvée en parcourant : Sonnets curieux et sonnets célèbres. Etude anthologique et didactique suivie de Sonnets Inédits.
Par Philibert Le Duc – Paris- L. Willem, Editeur/Bourg Francisque Martin Libraire-Editeur. 1879. P. 67.


1ère Hypothèse :


A3B3B1A1

A4B4B5

B6A1B1


On garde bien sûr à chaque strophe sa stricte « indépendance » (elle forme un tout sur le plan du sens).
Difficulté : le refrain « réversible » qui doit avoir une signification et sonner harmonieusement aussi bien sous la forme A1B1 que B1A1.



Le libre Amour.

L’Amour accueille ou bien délaisse
On ne peut pas lui commander.
Qu’il consente ou non à céder
L’amour guérit autant qu’il blesse ;

Que le temps dure ou qu’il vous presse
C’est l’espoir qui doit vous aider ;
On ne peut pas lui commander :
L’amour accueille ou bien délaisse.

Il ne sert à rien de plaider,
La folie ou bien la sagesse
Ne changent rien à ses largesses.

Son bon vouloir seul dit la messe :
L’Amour accueille ou bien délaisse
On ne peut pas lui commander.

                               ***                                                                      

Note : En réalité, on s’approche là du rondel[8] (la seule différence avec lui provient du vers 12 en B6 au lieu de A5) et seule la disposition, un peu artificielle, des lignes) peut justifier qu’on évoque le sonnet à son sujet.
Il faut donc explorer la seconde hypothèse.




2nd Hypothèse :

A1B1B2A2

A3B3B1A1

C1D1D2

C2C1D1                                (ou C2D1C1)



Par convenance.

A quoi pourrais-je bien prétendre ?
Non, mes vers ne sont pas à vendre
Mais bons ou non, ce sont les miens,

Et qu’on les juge en mal ou bien
Je ne m’en vais pas les reprendre ;
A quoi pourrais-je bien prétendre ?
J’écris ainsi qu’il me convient.

Chacun sa terre d’aventure,
Chacun ses rêves enfantins,
Ceux qui ne sont jamais atteints,

Au diable censeurs et augures !
Chacun ses rêves enfantins,
Chacun sa terre d’aventure.

                               ***                                                                      



Ignoré.

Je ne sors plus de cette chambre
Dehors le monde a trop changé,
Je vis ainsi, le cœur léger,
Comme un fossile au sein de l’ambre.

Beautés de juin ou de septembre,
Rien ne m’en fera déloger ;
Dehors le monde a trop changé,
Je ne sors plus de cette chambre.

Autant que je suis ignoré,
J’ignore le reste du monde ;
C’est une décision féconde

C’est mon adage préféré :
Autant que je suis ignoré
J’ignore le reste du monde.

                               ***                                                                                      





Le Rondeau Redoublé ou Rondeau Parfait.




Il s’agit d’un rondeau où l’on répète à l’identique  les trois premiers vers de la première strophe à la fin de la deuxième strophe et la totalité de la première strophe au bout de la troisième selon le schéma suivant :

A1A2B1B2A3 /  A4A5B3A1A2B1 / A6A7B4B5A8 A1A2B1B2A3

Je retrouve cette forme dans l’Art poétique français – 1548 de Thomas SEBILLET (1512-1589) dans le volume Traités de Poétique et de Rhétorique de la Renaissance – Introduction, Notices et Notes de Francis GOYET – Le Livre de Poche classique – 1990 – P. 109-115 et Note 166 P. 173.

Il semble que ce soit à Thomas SEBILLET lui-même que cette pièce doive son qualificatif de « parfait » (voir note 168 P. 173 de l’ouvrage cité) mais je partage son enthousiasme et j’inclue volontiers le Rondeau Redoublé dans ces pages.



La loi.

Pour trois pétales de colchique
Trouvés à la corne du bois ?
Vous savez bien ce qu’elle implique.

Que si vos goûts sont bucoliques,
Réjouissez-vous, le temps s’applique
A vous peindre un décor de choix !
Vous verrai-je mélancolique
Pour trois pétales de colchique
Trouvés à la corne du bois ?

Plus brillants qu’une majolique[9],
Vêtus de leurs pourpoints auliques[10],
Les lointains sont dignes d’un roi
Et, vous le direz avec moi,
On a vu plus tristes reliques.
Vous verrai-je mélancolique
Pour trois pétales de colchique
Trouvés à la corne du bois ?
Les saisons passent, c’est la loi,
Vous savez bien ce qu’elle implique.

                               ***



Un monde ancien.

Où, pour ma part, je me sens bien,
Autant que renard en son gîte ;
Les saisons y sont des redites
Dont la succession me convient.

Pour le temps qu’il y fait, eh bien
Sachez qu’il ne dépend de rien
Hors de l’humeur de qui l’habite.
Je vous écris d’un monde ancien
Où, pour ma part, je me sens bien,
Autant que renard en son gîte.

Au gré des jours qui sont les siens
Il change moins qu’il ne retient
Et puisque l’on n’y va pas vite,
Que fort peu de choses l’agite,
Etonnez-vous qu’il soit le mien !
Je vous écris d’un monde ancien
Où, pour ma part, je me sens bien,
Autant que renard en son gîte ;
Les saisons y sont des redites
Dont la succession me convient.

                               ***







Le Triolet « Approfondi ».




On utilise ici la forme du triolet pour :

-exposer une première proposition dans le premier distique,
-une proposition contraire dans le distique suivant (la difficulté provient du fait que le 4ème vers est également le 1er : refrain commun à deux affirmations antithétiques…),
-confirmer dans la dernière strophe (qui reprend le premier distique en refrain) la 1ère de ces deux propositions en la développant sur les deux premiers vers.


Enchaînement.

Puisque les jours aux jours s’enchaînent,
Demain est lourd de son passé.

La joie d’aimer est souveraine
Puisque les jours aux jours s’enchaînent.

Il suffit que hier vous entraine
Pour qu’aimer ne soit plus assez,
Puisque les jours aux jours s’enchaînent,
Demain est lourd de son passé.

                               ***



Certitude

L’art, et non l’homme, est immortel ?

L’auteur vainc la décrépitude :
N’ai-je pas cette certitude ?

Le nom n’est rien, moins qu’un prélude,
La poésie a des autels :
N’ai-je pas cette certitude :
L’art, et non l’homme, est immortel ?


                               ***                                                                      



Une vieille histoire.

Au premier la belle saison.

« Non » dit l’autre, « le cœur vous gruge ! »
Le cœur et la raison se jugent.

Depuis bien avant le déluge
Le cœur prévaut sur la raison ;
Le cœur et la raison se jugent :
Au premier la belle saison.

                               ***       




En somme le triolet « approfondi », contradiction à deux voix, n’est jamais qu’un Tenson ou Jeu-Parti[11] réduit à sa plus simple expression.                                        






Le Triolet « Augmenté ».



(Ou Triolet « Ping-Pong » en raison de l’effet produit, mais « va-et-vient » conviendrait aussi : à vous de choisir.)


Treize vers où se trouvent répétés en trois strophes :

  • Le premier vers, trois fois :
En position 4 de la première strophe
En position 3 de la seconde
En position 5 de la troisième
  • Le deuxième vers, une fois :
En position 4 de la deuxième strophe
  • Le troisième vers, une fois :
En position 3  de la troisième strophe

Selon le schéma suivant :

A1B1A2A1  /  A3B2A1B1  /  B3B4A2A4A1


L’inventeur.

En inventant à la demande,
Quand je compose je suis lent ;
On ne peut forcer son talent.

Mais le temps, lui, va s’envolant,
Hélas, je veux bien qu’on me pende,
On ne peut forcer son talent
En inventant à la demande !

Je n’ai que faire qu’on me vende,
Voici vers quoi ces strophes tendent :
Quand je compose je suis lent,
Quand je compose et autrement :
On ne peut forcer son talent !

                               ***





Hommes et femmes.

Quoique hommes et femmes diffèrent
Quelquefois ils ne font plus qu’un
Et cela semble assez leur plaire
Quoique hommes et femmes diffèrent.

Mais aimer c’est faire et défaire,
Des souvenirs viennent soudain…
Quoique hommes et femmes diffèrent
Quelquefois ils ne font plus qu’un.

Quand ils se fâchent c’est en vain,
L’amour renaît le lendemain
Et cela semble bien leur plaire ;
Nul différend qui n’ait sa fin
Quoique hommes et femmes diffèrent.

                               ***



Déprime.

Tout m’indiffère ou tout me lasse,
Mes jours valent moins que mes nuits :
Rien ne m’apaise et tout me nuit.

Tel fut hier, tel est aujourd’hui,
En tout endroit en toute place
Rien ne m’apaise et tout me nuit,
Tout m’indiffère ou tout me lasse.

A mes yeux rien ne trouve grâce,
Tout me déplaît et tout m’agace,
Mes jours valent moins que mes nuits,
Tout m’est une source d’ennui,
Rien ne m’apaise et tout me lasse.

                               ***






Adaptation de la poésie persane à la poésie française. - Le « Ghazal ».



La pièce ci-dessous est une adaptation du ghazal arabe, son premier vers et tous les vers pairs riment ensemble, les vers impairs ne riment pas mais c’est à leur fin que j’ai placé le mot (un mot ou, pour moi, une expression entière si on le désire) « rajouté », identiquement répété après chaque vers, ce « rhâdif » que, dans le ghazal arabe on place au contraire après la rime des vers rimant entre eux.

                               ***





Robin et Marion.

Au pays d’autrefois et des vastes jardins,
Robin aimait Marion, Marion aimait Robin ;
Ils n’osaient se le dire. Pourquoi ?
La peur du ridicule ou celle du dédain
Les faisaient s’éviter. Pourquoi ?
Quand ils furent bien vieux, se croisant un matin,
Ils se dirent trois mots. Pourquoi ?
Trois mots, il était temps, et puis le tout enfin :
Vieux, on hésite moins. Pourquoi 
En rire puis se marièrent un matin.
Trouvez-vous que c’est bien ? Pourquoi ?

                               ***                                                                      




Le fou.

Essai pour qui veut essayer
Sans rêver d’en être payé ;
Un jeu et rien de plus en somme.
Alors pourquoi ? Pour s’égayer
Passer un peu de temps en somme ?
Vite joué, vite oublié ;
Un jeu bien inutile en somme.
Et si c’est surtout pour briller,
Pour que l’on vous remarque en somme
C’est le fait d’un fou à lier
Très semblable au poète, en somme…

                               ***



La nuit fleur de peau – Ghazel libertin.

A nuit claire point de flambeau,
Je vous attends au bord de l’eau
Et vous savez bien pourquoi faire.
Un peu de vent à fleur de peau,
Du reste nous n’avons que faire ;
Pas si vite, voyons ! Tout beau !
Le tout conclu, après que faire ?
Pour bien en profiter il faut
Que le meilleur demeure à faire
Un certain temps. Il est trop tôt,
C’est mal aimer que vouloir faire
En une nuit un seul assaut.

                               ***






Le « Sadja » arabe – Adaptation à la poésie française.





Essai  de « prose monorime à répétition : le sadja arabe . J’ai découvert cette forme dans la préface du Livre de prières de Grégoire de Narek - Edition Du Cerf – 1965 – P. 15.

                               ***


Veilles.

Je t’interroge, ô nuit d’été,
Veilleur qui ne veut pas compter
Ses veilles, toujours conforté
Par cet espoir d’être écouté
Et qu’un soir à minuit compté
On lui réponde avec clarté.

Je t’interroge, ô nuit d’été,
Dis-moi, qui suis-je ou qu’ai-je été,
De droite à gauche balloté
Sur la mer des iniquités ?
Dis-moi ce qu’est la liberté,

Si l’amour est sérénité
Ou bien chagrin à satiété
Et s’il peut être contenté ?
Je t’interroge, ô nuit d’été,
Quels biens pourrais-je convoiter
Et quel chemin dois-je éviter ?

Ô douceur de la nuit d’été,
Peux-tu me dire en aparté
Ce que la lune a raconté
Au vent que je sens voleter,
Il me semble, à proximité ?
Je t’interroge, ô nuit d’été,

Sais-tu ce qu’on entend chanter
Aux fontaines argentées
Dans cette fraîcheur enchantée
Des parcs obscurs et désertés ?
Quelle nouvelle, ô nuit d’été,
Bruit en leur vasque pailletée ?

Ô reine de l’obscurité,
Au lac où je vois miroiter
Le ruban de la voie lactée,
Ne pourrais-je pas emprunter
Un soir, en toute impunité
Sa paix et sa tranquillité ?

Je t’interroge, ô nuit d’été ?...

                               ***                                                                      



Le compliment.

Est-il assez de ces mots assonnants
Qu’on en puisse trouver deux ou trois cents
Pour vous écrire enfin ce compliment
Remis sans cesse et promis longuement
Ainsi que font certains mauvais amants ?

Croyez que ce n’est pas mon cas vraiment
Et qui me contredit je dis qu’il ment.
Si j’ai tardé je n’étais pas absent,
Non, je cherchais les mots les plus décents

Ai-je de quoi me déclarer content ?
Quant à ces mots, oui, très certainement,
Il fallait bien que je prenne mon temps
Pour parvenir à en trouver autant
Et vous écrire enfin ce compliment.

Croyez-vous bien qu’il en soit tellement
Dignes de vous parler si ardemment
Ou qui conviennent bien tout simplement
Au but que je me fixe innocemment 
- C’est vous écrire enfin ce compliment- ?

Les seuls plus beaux et purs absolument
Peuvent ici convenir seulement
Comme le prouvent fort abondamment
Ceux qui figurent en ce document
Où j’écrivis enfin ce compliment.

                               ***







Rime, mètre et rythme.





                L’après-midi.

2-6         Voilà, l’après-midi s’achève,
2-6         Partout le silence revient,
6-2         Les rues se sont vidées, plus rien,
6-2         La ville s’illumine et rêve.

2-6         D’un coup la foule a disparu,
2-6         Heureux, chacun chez soi prépare
6-2         Ce qui sera mangé et bu
6-2         Mon vers en y songeant s’égare.

                               ***





                La nuit.

2-6-2        La nuit, la nuit tranquille ou non, la nuit
4-6           Comme une épreuve ou comme un abandon,
2-6-2        La nuit, songe ou méditation, la nuit
4-6           Crainte et soucis ou points de suspension,
8              La nuit des heures solitaires,
8              La nuit des retours en arrière,
2-6-2       La nuit, pour certains d’édredon, la nuit
4-6          Pour tellement, d’orties ou de chardons,
2-6-2       La nuit supplice ou rémission, la nuit
4-6          Echappatoire et si souvent prison,
8             La nuit en tête à tête austère,
8             La nuit comme ultime mystère.

                               ***



La rime, le mètre et le rythme, voilà les trois éléments structuraux du vers français ; le mètre n’est pas le rythme qui découle du choix des mots et de leur agencement dans le vers, le mètre qui fixe le nombre de pieds du vers en donne la durée, la rime en permet l’agencement à l’intérieur de la strophe ou du poème.

                                                                               ***

A me relire j’ai l’impression d’enfoncer les portes ouvertes ou de n’être pas clair.

Ce que j’ai voulu exprimer au moment où j’écrivais ce qui précède c’est plus particulièrement que si le nombre de pieds (le mètre) et la rime construisent le vers, un troisième élément est à la disposition du poète, le rythme que l’on peut structurer comme c’est le cas ci-dessus par le choix d’une coupe évidente et répétitive du mètre, mais également à l’aide du retour de certains groupes de mots ou d’expression et enfin par le choix de mots d’une consonance particulière voire de mots homophones.

Une remarque au passage, plus le poème aura de longueur (de vers), plus l’effet des choix opérés par le poète en matière de cadence, mètre et rimes sera mis en évidence à la lecture.

                                                                               ***






« Prose rythmicisée ».





Pourquoi ne pas essayer des phrases de prose poétique scandées par un vers leitmotiv, voire par des vers se répondant en écho ?

Les souvenirs sont vains.

Qu’importe la tristesse et qu’importe la nuit d’où montent tant de souvenirs,
L’aube viendra demain.
Que sert de remâcher ainsi les jours enfuis et les joies écoulées ?
Les souvenirs sont vains.
Le temps ne cesse de couler du fond des horizons obscurs,
L’aube viendra demain
Oubliant le passé ;

                               ***




C’est un peu ce que fait la forme X+vers mais la forme présente pourrait s’individualiser en posant comme principe de base l’alternance entre 1 ou 2 ou 3 lignes de prose et un groupe de vers successifs, distique, tercet voire quatrain (pas au-delà de peur de produire une séparation trop grande entre prose et vers qui ne permettrait plus d’avoir un poème au sens où j’entends ce mot).

                               ***



Au pas.

Depuis que les armées ont rétréci,
Et leur budget terriblement aussi,
Il n’y a sur les esplanades
Plus que rarement des parades.

Ne croyez pas pourtant que nul ne marche plus au pas. Les trottoirs sont divers et les esprits ne le sont pas.

Eternelle et indescriptible, immense,
Voyez la foule de ceux qui ne pensent
Que ce que pense leur voisin
Et dont la mode est le destin.

Ces gens pensent à la façon des métronomes. Mécaniquement. Une fois remontés. Est-ce le fait d’un homme ?

Du comme il faut, poli, de l’uniforme
Et des pensées au pas, bien dans la norme :
Ils ont leur conscience pour eux
Mais pas de cervelle ou si peu…

                               ***








Le Silence comme élément constitutif du rythme d’un poème.




Le principe de cette modification est simple : se servir d’un temps de silence de durée précise comme un élément de structure du rythme poétique en l’indiquant clairement comme une pause dans le corps du poème.

Premier essai :

Ainsi le chiffre « 1 » indiquera un silence de durée égale à la répétition mentale à une seule reprise du vers qui le précède.

De même, ci-dessous, le chiffre « » indiquera un silence dont la durée est définie par la répétition silencieuse (mentale) , deux fois de suite du vers qui précède immédiatement ce chiffre.

Et ainsi de suite.




 Chanson nouvelle.

On pourrait imaginer
Une chanson en cadence
Où saurait bien résonner
Le point d’orgue du silence.
Réfléchissez, essayez ;
Voyez-vous à quoi je pense ?
2
Et bien, si vous le voyez,
Allez, entrez dans la danse !
2
Commencez et récitez
En marquant bien chaque stance,
1
Ne vous trompez pas, comptez
Comme il faut les pieds. Défense
D’en avaler ou sauter
Ce serait faire violence
Au poème et le gâcher
D’un coup par inadvertance ;
N’allez pas vous dépêcher,
Progressez avec prudence !
2
C’est bien ; vous me comprenez
Et je vois que l’on avance :
1
On pourrait imaginer
Une chanson en cadence.

                               ***                                                                      




Deuxième essai :

Cette pièce est l’occasion de définir un autre marqueur de pause capable d’indiquer clairement les pauses simples, courtes ou longues. Pourquoi pas le # ?  Ce # correspondrait à un silence de la valeur d’un pied ou d’une syllabe). Il m’apparaît plus pratique que le précédent.

# #  pour une pause  « de base » (le temps de dire mentalement : « un, deux),
#     pour une pause courte (le temps de dire mentalement : « un ») et
### pour une longue (le temps de dire mentalement : « un, deux, trois »).


Autosatisfaction.

Tous ces milliards d’individus / et moi quelque part dans mon trou
Mais que j’écrive ou non / vraiment tout le monde s’en fout.
(Pause = ##)                      / Et c’est à juste titre.
Du moins je voudrais m’en persuader. / Je relis mes épîtres,
Je reprends mes quatrains, quintils,   (Petite pause=#)   / sizains, stances et triolets,
Mes ballades et mes rondeaux,   (Petite pause=#)   / sonnets, versets et virelais,
Je les reprends, relis et recommence,   (Petite pause=#)   / enfin,   (Petite pause=#)   / je les arrange
Et je me dis,  alors, en souriant, qu’on ne les aime pas / c’est chose fort étrange,
(Pause = ##)                                                                     / En ce qui me concerne rien
N’y manque, ou alors c’est si peu ; / franchement, ils me plaisent bien.


                               ***                                                                      




Ce signe (#) peut être employé soit entre les vers pour en bien marquer la respiration soit dans le corps même du vers où, comptant pour un pied, il assure sa cadence.




Amants.

I.

Au plus secret de la nuit blanche
Que se partagent les amants
La tendresse est une revanche
Mais qui ne dure qu’un moment.
#
Voyez,
# #
Le cœur s’oublie
#
Et la main prend
#
Voyez…
# #
La douceur rend
L’ombre à la vie,
# #
On dirait que le temps se penche
Sur lui-même éternellement
#
Au plus secret de la nuit blanche.


II.

Qu’est-ce là # temps d’un soupir
Où s’écrête en mourant la vague,
L’irrépressible # désir,
Où les rêves unis divaguent.
Apogée, # peut-être extase,
Instants au poids d’éternité,
Souffle qu’une étincelle embrase
D’on ne sait quelle vanité.


III.

Au plus secret de la nuit blanche,
Voyez
#
L’éclair multiple d’un torrent
Que berce une avalanche,
Voyez,
# #
Combien le monde est grand
De cette soif que rien n’étanche
#
Au plus secret de la nuit blanche.

                               ***







Jeux à vendre ou Venditions



J’emprunte la définition de ce genre poétique moyen-âgeux (XIV et XVe siècle) à l’article de Monsieur Martijn Rus : D’un lyrisme l’autre[12].

«  Les venditions sont de petits poèmes de longueur inégale, de 4 à 10 vers, généralement octosyllabiques, à rimes plates. Elles se divisent, la plupart du temps, en deux parties : dans la première (un vers, le plus souvent – mais elle peut s’étendre sur plusieurs vers), une dame propose à un homme, ou inversement, une chose à vendre, et la personne interpellée fournit ensuite une réponse de quelques vers, dont le premier doit rimer avec l’énoncé du début (c’est la deuxième partie). On « vend » ainsi toutes sortes de choses, à valeur emblématique ou non … »


Marché.

Je vous vends toute une époque
Pour la somme de trois sous.

Voudriez-vous que je troque,
Ô, combien cela me choque,
De l’argent pour rien du tout ?
Ai-je donc tant l’air d’un fou ?

                               ***                                                                      



Trop-plein.

Je vous vends des mots qui s’envolent,
Des fadaises , des fariboles…

Non,  merci, car si j’en raffole,
Chaque jour – cela me désole –
Sans faillir m’en apporte tant
Que je n’ai pas assez de temps
Pour les entendre vraiment toutes
Mais soyez certain qu’il m’en coûte.

                               ***                       



Avenir.

Je vous vends un bel avenir.

Vendre ce qu’on ne peut tenir
Est d’un commerçant malhonnête,
Quelquefois aussi d’un poète,
Souvent d’un homme politique ;
Lequel des trois à vous s’applique ?

                               ***






Le vers à l’envers.




La rime se trouve au début de chaque 2ème vers et non à la fin.
Variante : toutes les rimes sont en début de vers.

Cette technique peut s’associer à la manière « classique » de versifier pour donner des œuvres mixtes.
Elle me paraît également intéressante pour produire de pseudo vers libres.




Exemple (technique mixte) :

Ophélie.

Pauvre et belle Ophélie,
Vie à soi-même si vaine
Que mène à son terme, en repos,
Le flot calme de la rivière
Aux rives d’ombre et de lumière ;
Pauvre et belle Ophélie
A tant d’autres unie,
Amies n’ayant su, ici-bas,
Mener l’indicible combat
Des amours passagères,
Ephémères passions,
Déceptions à jamais
Et pour quelles souffrances !
Défense ultime que la mort,
Sort fixé pour toujours,
Le cours de cette onde ravie
Est ta dernière errance
Ophélie,
                Pauvre et belle Ophélie…

                               ***



Octobre.

Octobre, Octobre, tu me mens, en l’occurrence
En douceur estivale, en ciel du mois de juin,
Au point que rien n’y manque hors la fragrance
De quelque rose et puis l’odeur du foin.

Moins de candeur et moins de bonhomie,
Qui penses-tu parvenir à tromper ?
Dra dans de fallacieuses soieries
Honni soit celui qui cherche à vous duper !

Je ne te louerai plus, tu peux me croire !
Gloire aux saisons qui sont ce qu’elles sont,
Passons sur ce qui nous y ennuierait ;
Auprès du masque naît la trahison !

                               ***







Les Haikou « Doubles ».



  

Pour moi, la transposition de la forme Haïkou en français est difficile, du moins pour qu’elle y produise un effet.
Je crois qu’en français, trois vers isolés constituent un ensemble trop limité, surtout si l’on n’a pas recours à la rime, pour faire percevoir un rythme ou développer une harmonie, en somme pour composer un poème. Développer une idée « poétique » en trois phrases simples ne soulève bien sûr aucune difficulté mais nous sommes alors dans le domaine de la prose.

Si l’on veut malgré tout  tenter cette acclimatation sur ces trois vers, deux rimes (identiques) me semblent l’indispensable ou du moins le souhaitable. Il n’est cependant pas impossible que des assonances suffisent, voire un jeu d’assonances dans le corps même des vers.

Garder, comme le veut la forme japonaise, la notion d’un usage réservé aux saisons, à la nature ? Oui, avec une touche de philosophie sous-jacente, de sous-entendu plus large, si l’on ne veut pas tomber dans le truisme ou le slogan.

La répétition traditionnelle de la lecture de ce poème (deux lectures ou deux récitations successives) est un élément important de l’effet (pour les Haikou réussis).

La ville.

Mes yeux s’en avisent,
Ton cœur regarde la ville,
La ville est si grise…

                ***



Mais, puisque la tradition japonaise veut qu’on récite un haikou deux fois de suite, pourquoi ne pas inventer une forme française qui répéterait le haikou de départ à l’identique, excepté le dernier vers qui pourrait constituer une sorte de conclusion, d’antithèse, de pointe ?

La forme des Haikou « Doubles » serait par conséquent :

2 strophes de 3 vers de chaque fois 5, 7 puis 5 syllabes selon le schéma A1BA2/A1BA3.


Nuit d’hiver.

Le givre et la nuit ;
Dessus les toits de décembre
La lune argent luit.

Le givre et la nuit,
Dessus les toits de décembre ;
Une heure s’enfuit…

                ***

Noter ici l’importance de la ponctuation qui permet, en précisant l’intention de l’auteur, de faire varier sensiblement le sens d’un vers.

                ***








Les Versets « à Refrains ».


Aujourd’hui je suis en veine de recherches. Après quelques réflexions sur les Haikou, je me pose la question d’autres techniques de versification. Pas d’illusions là-dessus, tout a été inventé bien avant que je ne m’en soucie pour autant des combinaisons de techniques peuvent peut-être nous donner des résultats intéressants.

Hier déjà je pensais, pour un hypothétique poème marial à la réutilisation des « versets » de cet auteur que j’apprécie pourtant peu (comme homme), je veux parler de Claudel, associés à une sorte de « refrain variable » (bel oxymore) séparant chaque verset. Ce « refrain » serait lui-même constitué de vers métrés dont les variations d’un verset à un autre devraient être suffisamment modérées pour que l’effet « refrain » subsiste.




Ô Vierge souveraine.

Ils ont fait un monde horrible et plus que sinistre et si noir
Que même l’aube a la couleur des mauvais soirs
Et que l’homme avec son destin n’a plus figure humaine ;
Ils ont voué cette œuvre à la pire des peines.

Je ne veux pas compter
Ô Vierge souveraine,
Parmi les rejetés
Que l’incendie entraîne.

Autour de moi, les champs, les arbres et les fleurs proclamaient la beauté,
Ce don gratuit de Dieu et Sa réalité,
Regarder suffisait pour trouver la lumière
Et l’émerveillement était déjà une prière.

Je ne veux pas marcher,
Ô Vierge souveraine,
Où ces fous ont craché
Leur bêtise et leur haine.

Ils ont vendu leur âme au poids de l’or,
Cet unique étalon à la juste mesure, ici, de leur iniquité et de leurs torts,
Ils ont vendu leur âme au poids d’un seul instant
Et ce qu’ils ont vendu se paye à prix coûtant.

Ils vont être jetés
-Ô Vierge souveraine
Daignez me l’éviter –
Où les flammes sont reines.

***




La guimbarde.

Où en suis-je ? J’attends,
J’attends la guimbarde du temps
Qu’on voit rouler sur quatre roues pour autant de saisons
Et qui s’en va de maison en maison
Pour embarquer ceux qui n’ont plus pour temps
Qu’un temps sans rime ni raison.

Le temps de l’inutile,
Des souvenirs rassis,
Des rêves imbéciles
Demeurés indivis.

Si son aspect n’est pas tentant
Le cocher qui la mène est indulgent ;
Depuis qu’il conduit sa patache
Pensez s’il connaît bien sa tâche
Et presque tout du temps.

Le temps de l’inutile
Qui vous retrouve assis,
Observateur fossile
Et penseur indécis.

Sa charrette s’en va en cahotant
De ci, de là, ici, là-bas, bringuebalant, grinçant
De tous ses ressorts gémissants,
Son conducteur, en souriant, et tranquille et patient, l’emmène inviter au voyage
Ceux qui marmonnent contre l’âge,
L’âge, la vieillesse et le temps -est-ce bien sage ?-

Le temps de l’inutile,
Des souvenirs rassis,
Des rêves imbéciles
Demeurés indivis.

                               ***

 

 



L’Art de la Mélopée.




Association du retour d’un vers, d’un fragment de vers, d’un mot, tout au long du poème, avec ou sans usage du refrain, pour créer une sorte d’armature qui fournisse un effet répétitif, « en écho ».
Une trame sous-jacente au travers des mailles de laquelle se tisse le poème.


Imaginons :

Refrain d’une ligne avec rime « interne ».
Puis strophe assonancée d’un minimum de 6 vers.
Un mot répété une fois au moins dans une strophe de six vers mais pas dans toutes les strophes.
Un demi vers répété là où le mot répété ne l’est pas.
Sauf dans la dernière strophe où toutes les répétitions se retrouvent.



Quête.

D’un grand amour, jour après jour,

Quinze ans durant, je vous cherchai
Par monts, par vaux et par forêts.
Belle saison, saison mauvaise,
Sans rechigner, ne vous déplaise,
Par mille routes et chemins
Et plus hier, moins que demain,
Je vous cherchai

D’un grand amour, jour après jour.

Je vous cherchai quinze ans durant,
On va quand le sort vous appelle,
On chemine chacun son rang,
J’allai, cherchant de vos nouvelles,
Désireux et persévérant,
De la glandée à la javelle,
Quinze ans durant,

D’un grand amour, jour après jour.

Pour la force qu’on m’y prêtait
Je n’ai fait que suivre la pente
Où l’espérance m’emmenait.
Quoique au rebours de mon attente
Ma quête reste sans succès
Il fallait bien que je la tente ;
Je vous cherchais,

D’un grand amour, jour après jour.

                               ***



Bagatelles.

Les mots me viennent et s’emmêlent,
Je ne sais trop ce qu’il leur faut :
En ferai-je quelque rondel[13],
Quelque sonnet, quelque rondeau ?
Les mots :gemmes, cailloux, émaux,
Que j’aime par-dessus mes maux


Ils sont beaucoup, ils ne sont rien,
Je ne sais trop, on le voit bien,
Ce qu’ils cachent, ce qu’ils révèlent,
Encore moins ce que je vaux :
La foule inexistante et bête
Et peut-être aussi le héros…

Comme eux s’épellent : bagatelles.

Des mots pour quelle villanelle,
Pour quelle chanson d’étourneau,
Quelle épopée de Roncevaux ?
Et ces strophes et ces couplets
-Faut-il ici que je le regrette ?-

Comme eux s’épellent : bagatelles.

Ô mots, innombrable cortège
De chaque jour, qu’ajouterai-je ?
Dites-le moi, je ne sais trop ;
A quoi me répondit l’écho :
Tu nous ennuies avec tes mots ;
Tes pages vieilles ou nouvelles

Comme eux s’épellent : bagatelles !

                               ***



Voici maintenant une « fausse » Mélopée car lorsque l’on commence un texte, il arrive qu’on ne fasse pas toujours ce que l’on veut au fur et à mesure de sa composition. J’ajoute que l’on voit bien en étudiant les « formes fixes »  des poèmes que chacune d’entre elles  génère un grand nombre de variantes.
Quoiqu’il en soit j’ai conservé cette pièce à ce chapitre.



Littérature.

Qui veut écrire écrira donc,
Sans remords et tout à son aise,
A sa manière, à sa façon,
De sagesse ou bien de sornettes,
On lui souhaitera bon vent ;
Il n’est guère besoin qu’il pense,

C’est au petit bonheur la chance.

Qui veut écrire, il écrira
Et lui, de lui et moi, de moi
Et lui, de moi et de lui, moi,
A défaut, s’il peut, de la vie,
De petits riens, de ce qu’il pense,
-Il ne risque pas la tempête-,

Rire grinçant des girouettes,
C’est au petit bonheur la chance.

Il écrira comment l’on aime,
De sa manière, à sa façon,
Ce n’est pas du pareil au même
Si les moyens sont ce qu’ils sont,
Le désir n’en fait qu’à sa tête,
De la digression à l’errance,

Rire grinçant des girouettes,
C’est au petit bonheur la chance.

Ecrive donc qui écrira,
La bouffissure aime la scène,
La platitude ? Etcétéra.
Allons, riez, ne vous déplaise
Je ne me moque pas du temps,
Ni des orages en goguette,
Non plus des plumiers d’excellence
Où tant de plumes pirouettent
Pour le résultat que l’on pense ;

Rire grinçant des girouettes,
C’est au petit bonheur la chance.

                               ***







De quelques techniques de composition d’un poème.




Le premier des deux textes poétiques, ci-dessous, Par-delà, a été réalisé en utilisant une technique de mémorisation de formules qui, réapparaissant dans le corps du poème, en facilitent la composition « immédiate », sans support écrit. Le poète est ainsi capable de composer son texte au fur et à mesure de sa déclamation, grâce à ces fragments entiers de vers et à ces expressions toutes faites qu’il garde en mémoire. C’est le mode de composition qui préside aux grandes créations, notamment épiques, de l’humanité avant l’invention de l’écriture[14].

Le second Laure nouvelle a utilisé le même principe de création par assemblage de « briques de mémoire » à des fragments de texte crées « sur le vif ».
Ces « briques » ont été cette fois été non pas inventées mais choisies dans le répertoire poétique de Pétrarque (le poète italien François Pétrarque 1304-1374) à partir des textes de son Canzoniere[15] (Chansonnier).


Par-delà.                     


Il s'en allait à la peine de temps,
En ces jours inconstants,
Rêvant de ces heures brumeuses
Un avenir grandiloquent,
Inutile berceuse,
D'un passé haletant.
Content ou mécontent,
Ô dame silencieuse,
Qu'importe aux trois fileuses
A la peine du temps ?
Entonnez maintenant, ô belle et bienheureuse,
Pour tromper cette nuit, le cantique inconstant
De ces plaisirs enfuis en des heures brumeuses,
En ce bel autrefois d'un temps avant le temps,
Grandeur de ces amours au sentes paresseuses,
Qui sinuent lentement à la peine du temps.

                                ***



Laure[16] nouvelle.


Vous qui m’avez l’âme ravie
-Par l’artifice de quel art ?-
Au si bref détour d’un regard,
Ma douce dame et ennemie,
De ces beaux yeux charmants
J’attends, ô beauté infinie,
Un remède à mes longs tourments
Ou l’arrêt qui scelle ma vie.
Il faut, la charité le veut,
Que vous me guérissiez, cruelle,
En usant de ce même feu
Qui m’occit de flammes jumelles.

                               ***


Le texte suivant, De minuit à minuit, met en œuvre un concept tout différent qui consiste à réaliser un bloc de texte dans lequel se trouve dès l’origine des assonances et de possibles rimes, bloc  qu'il faudra ensuite découper pour créer un poème. Cette technique pourrait être appelée technique par « cisaillement ».



De Minuit à Minuit.

I.

La vie ?
Qu'est-ce que c'est que la vie ?
Quelques dizaines d'années,
D’emmerdements variés…
Bien des malheurs à chaque pas,
Un peu d'amour dans le meilleur des cas,
Des ennuis, des soucis,
La maladie
Et après beaucoup de chagrin,
La mort enfin.


II.

Le prix de l'indifférence
des uns,
C'est l'insolence
Des autres,
Le prix de la légèreté
C’est la désillusion
Mais le prix de la lâcheté,
Ce prix-là, c'est le prix du sang.
Les bons sentiments ne sont pas une excuse à la sottise.
S’ils sont le masque de la couardise,
Ont-ils encore une valeur ?

Il se pourrait que tu payes avec des pleurs,
Un tel travestissement…
Examine-toi sincèrement.
Si tu te mens,
Si tu t'abuses,
Un sourire n'est pas une excuse.

Que te dirai-je encore ?
Quand tu avais le temps,
La force et même l’or,
Tu n'as rien fait,
Et tu m'as dit : « j'attends. »
Et maintenant ?
Ton sort est incertain,
Que te reste-t-il entre les mains ?
Que vas-tu faire ?
Et à quel prix ?
Des larmes et des cris
Mais tu n'as plus le choix.

                        ***


Autre exemple de composition d’une poésie par la technique du « cisaillement » d’un bloc d’une prose pré-travaillée.



Le Vent du Nord.

Non je n'ai pas besoin de regarder ;
Je vois bien cet après-midi d'où souffle le vent : c'est un vent du Nord.
Ce vent qui n'a pas la fureur bruyante des typhons et des cyclones du Sud qui emportent les toits, les maisons et parfois les hommes.
Non le vent du Nord, au mieux, gémit le soir entre les planches des greniers, à travers les tuiles, les persiennes et les fenêtres un peu disjointes, le coin des rues, les carrefours.
Le vent du Nord, gémit sur la campagne, gémit à travers la ville, il gémit et il mord.
Et tout ce qui, du crépuscule au matin, est demeuré dehors,
Sait bien ce que signifie le vent du Nord…

Celui que sa course mal calculée n'a pas amené à bon port,
Alors que le soleil se couche, celui qui se trouve recroquevillé contre une porte que nul ne lui ouvrira,
Celui qui s'abrite dans un appentis de branches
Nues sans porte, une cabane de planches
Légères sans renforts,
Tous ceux-là savent ce que veut dire le vent du Nord.
Tous ceux qui n'ont guère mangé, et l'homme âgé
Et celui qui ne sait où aller, l'étranger,
Tous ceux qui demain seront morts.

Le crépuscule d'hiver est si beau lorsque souffle le vent du Nord
Et tout à l'heure, quand l'obscurité gagnera courettes et ruelles d'abord,
Puis les murs des façades et des pignons et le faîte des toits, alors
Le froid s'accentuera encore et encore.

Ce soir souffle le vent du Nord,
Et demain dans l'orgueilleuse aurore,
Parée d'un linceul, fine dentelle de diamant,
Qu’aura tissée toute la nuit le vent du Nord,
Vous trouverez leur corps.


                               ***


Détail du mode opératoire – Troisième exemple.


Le texte de départ est le suivant :

La nuit, toujours la nuit puisque c’est la nuit que nous créons et puis parce que c’est toujours la nuit que se crée le monde ou un poème, un enchaînement, un système ou la raison d’un stratagème.
La nuit, pour autant qu’on soit solitaire car autrement on n’y fait rien de bon. Tous les amants occupés à se plaire, ce faisant, vous le prouveront.
Alors une pensée, la pensée fait le vers et les vers, quand ils sont assez, bien tournés et divers finissent quand même par donner un poème.

Il est, bien entendu à dessein, criblé d’assonances qui invitent à le découper (cisailler) comme suit :

Puisque c’est la nuit
Que nous créons et puis
Parce que c’est toujours la nuit
Que se crée le monde ou un poème,
Un enchaînement, un système
Ou la raison d’un stratagème.
La nuit, pour autant qu’on soit solitaire
Car autrement on n’y fait rien de bon.
Tous les amants, occupés à se plaire,
Ce faisant, vous le prouveront.
Alors une pensée,
La pensée fait le vers
Et les vers quand ils sont assez
Bien tournés et divers
Finissent quand même
Par donner un poème….

Il ne reste plus qu’à peaufiner un peu pour assurer l’harmonie ou préciser le sens et nous obtenons ce poème de style  « moderne » :

La création.

La nuit, pourquoi la nuit ?
Parce que c’est la nuit
Qu’on nous créa et puis
Parce que c’est aussi la nuit
Que se crée le monde ou un poème,
L’enchaînement et le système
Et la raison d’un stratagème.
La nuit, pour autant qu’on soit solitaire
Car autrement on n’y fait rien de bon.
Tous les amants, occupés à se plaire,
Vous le confirmeront.
Alors cherchez-moi une pensée,
La pensée fait le vers
Et les vers quand ils sont assez
Bien tournés et divers
Finissent quand même
Par donner un poème….


                               ***




L’Appel.



Cette forme à double refrain alterné peut aussi bien convenir à un appel aux armes qu’à un appel à la clémence, à la raison ou à tout ce qu’on voudra du fait même de ces deux phrases qui se répétant en alternance de strophe en strophe permettent d’identifier clairement le propos de l’auteur et de le renforcer au fur et à mesure que l’on dévide les strophes du poème.

Elle s’écrit sur deux rimes et sa composition détaillée est la suivante :

A1B1A2B2 où B2 constitue le « premier » refrain : R1,

C1D1D2C2 où C2 constitue le « second » refrain : R2, puis

A3B3A4R1 / C3D3D4R2 et ainsi de suite.

L’octo ou le décasyllabe sont, à mon avis, les mètres qui lui conviennent le mieux car tout en étant particulièrement fluides ils lui conservent une certaine vivacité.


Ruine.

Quand votre maison se fissure
Que faites-vous pour y palier ?
Sont-ce des mots qui vous rassurent ?
Quand allez-vous vous réveiller ?

Il pleut du toit sur votre tête,
Vous sentez trembler le plancher,
Vous attendez… Quoi de plus bête ?
Quand donc allez-vous vous fâcher ?

Laissez les fausses âmes pures
Brasser de l’air et du papier,
Je vous parle d’architecture !
Quand allez-vous vous réveiller ?

Une fois la ruine complète
A quoi sert de se dépêcher ?
Avez-vous besoin de lunettes ?
Quand donc allez-vous vous fâcher ?

                               ***



Égoïste et paresseux.

Faites le paresseux, trop vieux
Pour courir et si peu agile,
Surtout, demeurez silencieux
Si vous voulez être tranquille !

Laissez les moutons et les loups
S’arranger entre eux et les ânes
Braire leur soul et -Dieu me damne-
Ne vous occupez que de vous !

Ne jouez pas les astucieux,
Tâchez de paraître sénile,
Ne faites pas de votre mieux
Si vous voulez être tranquille !

Et d’autant plus, puisqu’ils sont fous,
Laissez-les tout à leurs chicanes ;
Dans cette tempête qui plane
Ne vous occupez que de vous !

Si l’un d’entre eux vous juge odieux,
Souriez à cet imbécile
Et ne lui ouvrez pas les yeux
Si vous voulez être tranquille !

Leurs foucades et leurs à-coups
Portent la mort en filigrane,
Tant mieux pour eux s’ils se pavanent ;
Ne vous occupez que de vous !

                               ***






Le strambotto.



Le strambotto[17], pluriel strambotti, est une forme poétique italienne datant du moyen-âge, elle comporte une strophe unique de huit endecasillabo mais il faut se souvenir que l’hendécasyllabe italien -endecasillabo[18]- correspond à notre décasyllabe.

La succession des rimes de ce huitain peut prendre différentes formes[19] :

·         La variante ABABABAB est qualifiée de Strambotto Siciliano, strambotto sicilien.

·         Il existerait une forme « Toscane » habituelle sur la structure de laquelle les sources ne sont pas d’accord, pour les unes le Strambotto Toscano, strambotto toscan serait le plus souvent écrit en ABABABCC, pour d’autres ce serait en ABABCCDD, formes à côté desquelles on noterait de nombreuses variantes telles que AABBCCDD ou non plus des huitains mais des sizains  de type ABABCC, ABABAB, AABBCC…

·         Enfin certaines sources indiquent une forme de strambotto romagnol, Strambotto Romagnuolo en ABABCCDD.

Le  strambotto est d’ordinaire voué à chanter l’amour, plus particulièrement dans le style de Pétrarque (1304-1374), mais il en existerait également de purement satiriques.
Cette « manière » a été également prisée chez les poètes français de la première moitié du XVIe siècle tels que Clément MAROT (1496-1544) et Mellin de SAINT-GELAIS (1491-1558).




Le fétu. –  Strambotto Siciliano.

Quel dieu donna ce sourire charmeur
A votre bouche où parfois je le glane
A vos yeux plus de brûlante douceur
Qu’en eût jamais le printemps de Toscane,
Et à vos traits plus de simple fraîcheur
Et de grandeur qu’à saintes ou sultanes ?
Mais moi, fétu, qu’espérer sans candeur
Puisque ce rien que je suis me condamne ?

                               ***






Louange. – Strambotto Romagnuolo avec concettto[20].

De l’aube au soir le rossignol enchante
Bien moins mes sens qu’une simple parole
Ou qu’un soupir de vos lèvres charmantes
Où mon bonheur et se pose et s’envole.
En me lisant certains, dubitatifs,
M’ont reproché d’être trop laudatif,
Oui, je vous loue et je ne fais pas bien ;
Ce que je chante auprès de vous n’est rien.

                               ***







La Tierce de Verlaine.



Dans la seconde partie de Sagesse, Verlaine écrit un poème qui commence ainsi[21] :

O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour
Et la blessure est encore vibrante,
O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.

O mon Dieu, votre crainte m'a frappé
Et la brûlure est encor là qui tonne,
O mon Dieu, votre crainte m'a frappé.

O mon Dieu, j'ai connu que tout est vil
Et votre gloire en moi s'est installée,
O mon Dieu, j'ai connu que tout est vil.

Noyez mon âme aux flots de votre Vin,
Fondez ma vie au Pain de votre table,
Noyez mon âme aux flots de votre Vin.

Voici mon sang que je n'ai pas versé,
Voici ma chair indigne de souffrance,
Voici mon sang que je n'ai pas versé.

Voici mon front qui n'a pu que rougir,
Pour l'escabeau de vos pieds adorables,
Voici mon front qui n'a pu que rougir………


Sa disposition en tercets fait évidemment penser à la Terza Rima dont la structure est :

A1B1A2 / B2C1B3 / C2D1C3  etc …….

raison pour laquelle j’ai qualifié de « Tierce Verlainienne » la forme qu’elle m’inspire, forme dont la structure se schématise ainsi :

A1B1A1 / B2C1B2 / C2D1C2 etc …

 en proposant que la dernière strophe du poème reprenne la rime orpheline de la première strophe (A1) ce qui nous donnerait en prenant ici la quatrième strophe comme terme du texte :

D2A1D2.

Comme dans le poème verlainien le premier et le troisième vers de chaque tercet sont identiques, comme dans la Terza Rima le second vers de chaque tercet « appelle » la rime des premier et troisième vers du tercet suivant.




Larcin.

Vous m’avez pris ce qui comptait pour moi :
Ai-je obtenu quelque chose en échange ?
Vous m’avez pris ce qui comptait pour moi.

De la poussière, ou, s’il pleut, de la fange
Sur ce chemin qui va vers l’horizon,
De la poussière, ou, s’il pleut, de  la fange,

Et ce mirage, au bout de nos saisons,
D’un ciel muet en d’inutiles pages
Et ce mirage au bout de nos saisons,

Et l’avenir, dernier tombeau du sage
Après l’erreur qui se nomme « autrefois »,
Et l’avenir, dernier tombeau du sage.

                               ***

Rien n’interdit de finir d’une autre manière (comme cela s’avère ici nécessaire pour « achever » le sens du poème), en rajoutant une strophe ultime qui reprendra les rimes du tercet précédent.

Cela fait peu, beaucoup trop peu je crois,
Et tous vos dons ne sont que de passage ;
Cela fait peu, beaucoup trop peu je crois.

                               ***




Le vieux tableau.

Un vieux tableau, qui n’est pas de famille,
Trône au milieu d’un mur de mon salon,
Un vieux tableau qui n’est pas de famille.

Un gentilhomme y trouve le temps long
En contemplant ma divine paresse,
Un gentilhomme y trouve le temps long.

Est-ce ma plume, à la fin, qui le blesse
De jour en jour il est plus renfrogné,
Est-ce ma plume à la fin qui le blesse ?

Mon bon seigneur comment donc vous soigner ?
Vous me semblez faire bien grise mine,
Mon bon seigneur comment donc vous soigner ?

Que puis-je au mal qui, je le vois, vous mine ?
Je ne suis rien, je n’ai pas de château,
Que puis-je au mal qui, je le vois, vous mine ?

Je n’ai pas d’or ni rien de ce qu’il faut,
Pour espérer prétendre à la noblesse
Je n’ai pas d’or ni rien de ce qu’il faut,

Pour mes aïeux, ils furent gueux sans cesse
Et mes enfants après moi rediront :
Pour mes aïeux, ils furent gueux sans cesse.

Voudriez-vous qu’on vous voile le front,
Faute de mieux, avec une mantille ?
Voudriez-vous qu’on vous voile le front ?

                               ***







Le Chant à forme alternée.





L’étude du strambotto me fait découvrir un article de Gaston PARIS[22] dans le Journal des Savants – Année 1889[23]. Dans cet article, Monsieur Pâris s'intéresse à la poésie populaire du nord de l'Italie, à l'occasion de la parution d'un ouvrage à ce sujet. Cherchant à déterminer l'origine du terme strambotto voici ce qu’il écrit :

 « Or, rien n'est moins boiteux que le strambotto dans la forme qu'on peut appeler normale, la forme sicilienne : il se compose de huit vers dont les pairs riment et dont les impairs sont reliés entre eux par ce que Monsieur Nigra[24] nomme fort bien la « consonance atone », c'est-à-dire l'identité de la voyelle atone finale. »

Cette structure que nous décrit Monsieur Pâris fait bien sûr immédiatement penser à celle du ghazal persan ou arabe où seuls les vers pairs riment entre eux.

Il en germe aussitôt l'idée d'une adaptation en poésie française dans laquelle effectivement seuls les vers pairs rimeraient entre eux, de préférence avec des rimes d'une certaine richesse et dont les vers impairs, contrairement à l'arabe ou au persan seraient également liés entre eux mais par le lien beaucoup plus lâche de simples assonances, réalisant ainsi une sorte de « chant en mode alterné ».

Ce modèle est différent du chant dit amoebée ou amébée qui est un chant où deux personnes échangent des répliques en vers dont la forme et la longueur sont identiques[25].



                                                                               ***



Principe des ânes.

1             Principe qu’il faut qu’on admette :
2             Demandez à l’âne un discours
3             Vous êtes certain qu’il accepte.
4             Il ne le fera jamais court,
5             Longues oreilles, peu de tête
6             Vous en explique la façon,
7             La pauvreté de la matière
8             Et la longueur de la leçon.
9             Que peut un âne sinon braire ?
10           Est-il le seul ? Danger ! Passons

11           Mais quant au sujet que je traite
12           N’ai-je pas conscience à mon tour
13           De n’en faire aussi qu’à ma tête
14           Au travers de tours et détours,
15           Et de digressions qui sans cesse
16           Enflent en se multipliant
17           Jusqu’à la rime toute prête
18           Et de surcroît facile : Hi-Han !

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Conclusion.



Je ne me fais guère d’illusions sur la virulence des critiques qui s’abattraient sur cet essai s’il n’était pas voué dès le départ à la plus parfaite obscurité, on ne peut aller plus à contre-sens de son époque que je ne l’ai fait ici mais quoiqu’elle puisse en penser ou en dire c’est malgré tout l’époque qui a tort ou plus exactement ceux qui prétendent s’y arroger le droit de condamner ce qu’ils ne comprennent plus et surtout ce qu’ils ne connaissent pas .
Redevenons serein ; ces feuillets furent aussi écrits pour conforter ou réconforter tous ceux, et ils sont plus nombreux qu’on ne croirait a priori, qui partagent avec moi la certitude que la Poésie existe bien telle que je viens d’en rappeler ici la définition et qu’elle est importante pour les hommes.
Des pages (notamment de celles qui paraissent, à tort, peu sérieuses) dont vous venez d’achever la lecture devrais-je vraiment écrire qu’elles constituent une partie de mon testament parce qu’il s’y trouve rassemblés quelques-unes de ces réflexions et certains de ces essais, élaborés au cours de ces environ cinquante années  d’écriture dont je parlais dans mon introduction ?
Non ; cette présentation me paraît ridiculement solennelle et de surcroît (je l’espère) prématurée.

Disons plutôt que j’ai réuni ici ce qui m’est tombé sous la main pour que l'ensemble ne soit pas perdu, qu’il puisse être transmis et peut-être servir, un jour prochain, à quelqu'un qui professera pour la Poésie, le même amour que j’ai moi-même éprouvé.

C'est en tout cas mon espoir et mon souhait.




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Table des matières




[1] Poteaux : argot., amis.
[2] Goret : nm, désigne un jeune cochon et se dit également, familièrement, d’un enfant malpropre, voir la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/goret
[3] Traités de poétique et de rhétorique de la renaissance  - Introduction, notices et notes de Francis Goyet - Le livre de poche - 1990. Page 81 et note 97, page 165.
[4] Assonance : nf, voir définition du CNTRL : http://www.cnrtl.fr/definition/assonances
[5] Dans la pièce :  Andromaque – Acte V – Scène 5.
[6] Dans : Les Tragiques, I – Misères – vers 224 – Ed. Bourgin et al. – 1896.
[7] Marie le JARS de GOURNAY (1565-1645) la « fille d’alliance » de Michel de Montaigne qu’elle admirait infiniment et dont elle fut l’éditrice après sa mort avait également une passion pour Ronsard dont elle ne cessa de défendre les œuvres face aux critiques de Malherbe (voir : Grammairiens et Amateurs de Beau Langage – Maurice RAT – Albin Michel – 1963 – P. 19-23.)
[8] La forme la plus habituelle du rondel est celle que l’on trouve dans la fameuse pièce de Charles d’Orléans (1394-1465) : Le temps a laissé son manteau… qui se schématise ainsi : A1B1B2A2/A3B3A1B1/A4B4B5A5A1.
Il faut noter que selon le traité de versification la différence de composition entre rondeau et rondel se trouve ou non reconnue.
[9] Majolique : n.f., faïence italienne de la Renaissance.
[10] Aulique : adjectif, qui à trait à la cour (cour royale, princière…)
[11] La tenson est une des formes poétiques utilisées par les troubadours. Dans ce type de poème deux ou plusieurs intervenants défendent chacun l’un des aspects d’une question préalablement posée. Le thème de ce débat est très variable mais a le plus souvent rapport avec l’amour, chacun des intervenants fait valoir son point de vue à son tour en l’illustrant au travers d’une strophe à laquelle le contradicteur suivant répondra de même. Le jeu-parti est très proche de la tenson, il s’agit, toujours à travers des strophes alternées, d’échanger des opinions sur un problème qui possède deux solutions. Le jeu-parti est un chant amébée (poème, chant à deux voix composé de couplets alternés chacun de même longueur).
[12] D’un lyrisme l’autre - À propos des venditions d’amour, de Christine de Pizan aux recueils anonymes de la fin du Moyen Âge - Martijn Rus. CRMH : Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes -9/ 2002.

[13] Rondel, sonnet, rondeau, villanelle sont des poèmes à « forme fixe », les caractéristiques de leur structure en principe « fixe » les différencient les uns des autres.
[14] Voir le remarquable ouvrage de M. Dominique CASAJUS, L’Aède et le Troubadour – Essai sur la tradition orale – CNRS EDITIONS – 2012.
[15] Dans l’édition suivante : Canzoniere – Pétrarque – NRF – Poésie/Gallimard – 1983.
[16] Laure de Sade dite Laure de Noves (1310-1348) fut la muse de Pétrarque et la dédicataire de ses poèmes d’amour.
[17] Définition du strambotto du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales voir : http://www.cnrtl.fr/definition/strambotto
Définition de l’Encyclopedia Britannica voir : https://www.britannica.com/art/strambotto
[18] Voir : Modestes observations sur l’art de versifier-Clair TISSEUR-Lyon-Bernoux et Cumin-18893-P56 et l’article/récension sur l’ouvrage de Costantino NIGRA : Canti Popolari del Piemonte de Gaston PARIS dans le Journal des Savants-1889-P526-545 (note 1 de la page530)
[20] Le concetto italien, pluriel concetti, est l’équivalent de la pointe ou du trait d’esprit qui, en poésie française, sont censés terminer une épigramme ou un sonnet.
[21] VERLAINE- La Bonne Chanson, Romances sans Paroles, Sagesse – Le Livre de Poche Classique – 1964 ( ?) – P. 103-105.
[22] Gaston PARIS, (1839-1903), célèbre médiéviste et philologue, professeur de langue et littérature française du moyen-âge au Collège de France dont il devint l’un des administrateurs, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et de l’Académie française.
[23] Article/récension sur l’ouvrage de Costantino NIGRA : Canti Popolari del Piemonte de Gaston PARIS - Journal des Savants-1889-P526-545.
[24] Le comte Costantino NIGRA auteur de l’ouvrage dont parle Gaston Pâris.
[25] Voir la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/am%C3%A9b%C3%A9e

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