La Pièce Claire.
Avertissement.
Lorsque les textes sont écrits en vers « néoclassiques » les règles habituelles de lecture (l’e muet, élisions etc...) s'appliquent. Dans le cas contraire le choix est indiqué par () pour une élision et __ pour une prononciation.
Au Jardin.
Premier Pas.
Ces rivières, et d’un,
Et de deux, ces chemins
S’en vont où bon leur semble
Et ceux qui leur ressemblent
Le trouvent opportun.
Les suivrez-vous aussi,
Comme on va en pèlerinage,
Comme on visite ses amis,
Comme on tourne la page
Et comme je l’écris ?
***
Fantaisie.
Pour un iris et un jardin,
Un souvenir et un parfum,
Ou une aurore qui m’appelle
Et pour moins qu’une bagatelle,
Pour une enfance, une maison,
Un fleuve autant qu’une saison,
Pour un tilleul, une colline,
Pour les lointains que je devine,
Pour un sentier, pour un étang,
Et pour l’automne au bord du champ,
Pour le terme et pour les prémices,
Pour le regret, pour les délices,
Pour l’heure enfin, le mois et l’an,
Pour mille vers, un seul instant,
Pour ce que fut toujours ma vie,
Ce texte et cette fantaisie.
***
Regrets de Loire.
Je pense à toi mon beau fleuve de Loire
Comme l’on pense à ce qu’on a perdu,
De l’avenir auquel je ne puis croire
Je ne peux espérer et n’attends plus.
Je n’aurai pas, à ma grande tristesse,
Retrouvé près de toi ce vieux jardin
Qu’ayant connu, mon cœur n’avait de cesse,
Où que ce fût, de retrouver enfin.
Souvent ici j’évoquais des images
Où se mêlaient rêves et souvenirs ;
C’est un retour après tant de passages
Que je voyais enfin nous réunir,
Mais ce retour le long de tes rivages
Ne viendra pas ; je n’irai pas demain
M’y promenant, chanter ces paysages
Que j’aurai donc aimés toujours en vain.
***
Crépuscule.
Dans la chaleur du crépuscule
Monte le parfum lourd des fleurs,
En un vaste conciliabule
Des plus étonnantes senteurs.
Le plus petit jardin s’enfièvre
D’une douceur bien à propos
Dont les rosiers du bout des lèvres
S’entretiennent à demi-mots.
Ainsi jusqu’à la nuit obscure
S’enlacent d’incessants couplets.
Mille rumeurs, mille murmures
De gazons tondus à bosquets
Avant que n’éclate un orage
Dont la force vient tout brouiller,
Faisant naître dans son sillage
La fraîche odeur du sol mouillé.
***
Un vieux mur au soleil,
Un arbre familier,
Quelque chose dans l’air
Qu’on ne peut oublier
De plus doux que le miel,
Quelque chose de clair
Et de si familier
Et de si rassurant
Et de si désiré
Et de simple pourtant
Qu’on ne peut comparer
A rien de ce qu’on a.
Un demi souvenir
Une presque promesse
Qu’on voudrait retenir
Mais qui naît et se presse,
Et puis soudain s’en va,
Pour renaître sans cesse
À chaque nouveau pas.
C’est un parfum de fleurs
Ou celui d’un fruit mûr,
La pluie et son odeur
Dans une rue l’été
Une foule de gens,
Un éclair de vermeil
Un reflet vif-argent
Quelques mots racontés,
Un vieux mur au soleil,
Un arbre familier…
***
Je chante les jardins en fleurs,
Les hannetons et les brindilles,
Le soleil toujours quand il brille ;
Je suis un poète mineur.
Je suis un mauvais politique,
Amoureux mais non passionné,
Amateur dilettante né,
Socialement fort pacifique.
J'étais, je suis un touche-à-tout
Et qui se moque assez du reste
De l'engelure ou de la peste,
Des diamants autant que des choux.
Tout cela fait un personnage
Dont on jugera j'en ai peur
Qu'il n'a pas beaucoup de valeur,
Léger au point d'être volage ;
Je suis un poète mineur.
***
Il n'y a plus dans le jardin
De persil ou de romarin
Pas plus que de rose fleurie
Mais de la ronce et de l'ortie.
Pas de merle ou de rossignol
Mais des corneilles dont le vol
Vient endeuiller les branches mortes
Où les plus beaux printemps avortent.
Le jardinier est un bouffon,
Son jardin est à l'abandon.
Excusez-le puisqu'il avoue
Que tout ce qu’il essaie échoue.
Excusez ce pauvre artisan
Dévoué quoiqu'insuffisant,
S'il vécut beaucoup de paroles,
Il le sait bien et s'en désole.
***
Je me suis assis au soleil
En attendant qu'un jour se passe
Et le silence pour conseil,
Un moment de paix et d'espace,
Mais rien d'autre qu'espérez-vous ?
Cela suffit comme richesse
A vous le reste, à moi le tout,
Qu'en vain vous poursuivez sans cesse.
Je dors, ou du moins on le croit,
Les yeux mi-clos dans la lumière ;
N'ai-je pas souri de mon choix
Le dos au chaud contre la pierre ?
***
À Cendrillon.
Il n'est pas, en vers, bien classique
De discuter d'un potiron ;
Qu'en dire qui paraisse unique ?
Que c'est un beau légume rond ?
Certes non, la chose est banale.
Que son orange flamboyant
Rend son apparence joviale ?
Est-ce vraiment enthousiasmant ?
Du tout, et ces vers sont atroces
Aussi vous dis-je pour finir :
Trouvez-moi un autre carrosse
Dont on parvienne à se servir
Pour en faire avec quelque usage
Un tour de main et peu d'efforts
Un aussi délicieux potage
Et puis dites-moi si j'ai tort.
***
Sur le chemin où dorment les platanes,
Venez encore et marchons d'un bon pas,
Parlons un peu du temps qui nous condamne,
Sur le chemin où dorment les platanes.
La nuit sourit aux rêves qui se fanent
Que direz-vous à qui trop vous aima ?
Sur le chemin où dorment les platanes,
Venez et marchons d'un bon pas.
***
Les feuilles vont mourir
Dans le jardin humide
Où les flaques sans rides
Ne cessent de grandir.
Et les marronniers d'or
À chaque aube nouvelle
Échancrent la dentelle
Qui cache leur tronc mort.
***
Sur un rosier chargé de fleurs
Chaque rose dit l’espérance
Et chaque épine la douleur ;
Sur un rosier chargé de fleurs.
Si ce n’est ici, c’est ailleurs
Et toujours au gré de la chance,
Sur un rosier chargé de fleurs,
Chaque rose dit l’espérance.
***
Dans la douceur du crépuscule
Que berce l’odeur des lilas
L’ombre d’un amour déambule
Qui sur le mien règle son pas.
La voûte du ciel est turquoise
Au bord lointain de mon jardin
Où la lune fera narquoise
Poindre son disque d’argent fin.
La fraîcheur monte de l’allée
Qui suit la courbe du gazon
Au rythme lent d’une soirée
Dessous d’obscures frondaisons,
Je vais la longue promenade
D’une ombre avec un souvenir
Au jardin de mes escapades
Où la glycine aime à fleurir.
***
Il suffirait d’un seul pétale
De l’ombre même d’un parfum,
Certes demain dans l’aube pâle
Il suffirait d’un seul pétale.
Pour remonter l’eau qui dévale,
Pour retrouver le temps défunt,
Il suffirait d’un seul pétale
De l’ombre même d’un parfum,
***
Voici les couleurs qui flamboient
Dans la lumière du matin
Sur le vaste manteau des bois,
Même début et même fin ;
Gloire à l’Automne qui revient.
Voici le sentier qui chemine
Si timidement sinueux
De la rivière à la colline,
Le sentier si simple et si vieux
Où marchaient autrefois les dieux.
Voici qu’il est question de plaines
Et qu’il est question d’horizon
Mais toutes les questions sont vaines
Ainsi que toutes les raisons,
Toujours et de toutes façons.
***
Il y avait les pêches blanches
Et le carré des groseilliers,
L’été en ses plus beaux dimanches ;
Il y avait les pêches blanches.
Il n’y a plus de feuille aux branches
Ni de cœur à qui le confier ;
Il y avait les pêches blanches
Et le carré des groseilliers.
***
La nuit règne un calme absolu,
C’est une toute autre existence,
Dans un univers inconnu,
D’isolement et de silence.
Au beau milieu des chênes verts
Qui couvrent toute la colline
Obscure où mon regard se perd,
Le Sagittaire se devine
Juste au-dessus de l’horizon.
Tout le ciel scintille d’étoiles
Dont l’éclat demeure sans nom,
Dans cet infini qui dévoile
Aux jours curieux qui sont les miens
L’ébauche enfin d’une réponse,
Un songe, un mot que je retiens
Pour l’espérance qu’il annonce.
***
D’Avril en Mai.
J'en avais déjà trente-huit
Il ne m'en fallait plus que quatre,
Pas de quoi se laisser abattre
Lorsque l'on a jusqu'à minuit.
J'ouvris l'armoire aux vieux papiers,
Vieux souvenirs presque oubliés,
Ecrits, paroles narcissiques ;
Plus de poussière et de débris,
De documents, de vieilles pages,
Que de chansons ou que d'images.
On ne pouvait guère en tirer,
Et c'était là toute ma vie ;
Je ne pouvais pas en pleurer,
Il a fallu que j'en sourie.
***
Aux premiers jours du beau printemps,
Assise auprès de la rivière
Sur les marches de vieilles pierres,
Vous dessiniez, j'allais chantant.
J'allais chantant cette façade
Que vous fixiez dans un dessin,
Et le soleil longtemps éteint
Partout ruisselait en cascade.
***
N'en déplais(e) à la République
Ou n'en déplais(e) au Roi,
Mon langage est à moi.
Je me fous du tiers et du quart,
Des clés de sol, des harmoniques,
De la monnaie, de l'or en brique,
De tout autant et même en vrac,
D'Arsène le voleur en frac
Et même des ratons laveurs,
J'ajout(e) en plus et tout à trac,
Des paillassons et des noceurs,
Mais pour la langue c'est ma part,
C'est mon métier et c'est mon choix,
N'en déplais(e) à la République
Ou n'en déplais(e) au Roi
Et malheur à qui le critique.
***
De misérable à miséreux
Une syllabe, un univers
Mais il suffit d'un seul hiver
D'un seul hiver et c'est bien peu.
Il suffit d'un peu de malchance,
Il suffit d'un choix de travers,
D'avoir trop souvent fait confiance,
Quelquefois d'un simple revers,
D'une première calomnie
Ou d'une dernière injustice,
De votre droit qu'on vous dénie,
D'un mal dont on vous fait complice.
Sur une route malheureuse
UN seul faux pas vous met à terre :
De misérable à miséreux
Une syllabe, un univers.
***
Ils sont tous là, autant qu'ils doivent être,
Fantômes du passé, fantômes du présent, fantômes du peut-être,
Au lourd déclin des jours
Qu'ils firent chacun d'eux-au nom de quel amour ?-
Plus sombres qu'il ne faut et plus mélancoliques.
Que cherchez vous aux rives édéniques
Ombres de la lumière,
Trublions d'autrefois ?
L'aurore naît altière,
Minuit n'a pas le choix.
***
Allemagne 1930.
Les toiles de ce temps
Ont des couleurs sauvages,
Il s'y peint des visages,
Hâves et indigents,
Et d'affreux invalides,
Rasent des murs lépreux,
Et des putains sans feu
Passent le regard vide.
La ville dans la nuit
Est une sombre fresque
Peuplée d'ombres grotesques,
De lueurs et de bruit.
Un pâle enfant mendie
Devant un cabaret,
À travers les volets
Une musique aigrie,
Un brouhaha de voix
Et des bruits de vaisselle,
Que la faim est rebelle
Et qu’octobre est donc froid.
***
J'attends un rayon de soleil
Mais à venir celui-ci tarde ;
La nuit aux lumières blafardes,
L'espoir qui me tient en éveil
Me font penser à mille choses,
Mille plaisirs auxquels je crois
Que je pourrais toucher du doigt ;
Crainte de m'éveiller je n'ose.
Et les heures se moquent bien
Du refrain de mes litanies,
Balbutiements, monotonie,
Rimes de peu, strophes de rien,
C'est tout et que pourrait-on dire
D'autre de la banalité ?
Attendre par nécessité ?
C'est vrai, mais attendre est le pire.
***
C'est toujours un essai,
Celui-ci sans façon,
Sans substance et sans fond,
Il faut, chacun le sait,
Fair(e) quelquefois semblant.
Semblant d'être sérieux,
Semblant d'être volage,
Ou semblant d'être pieux,
Semblant d'être content,
Et parfois d'être sage.
***
Ce me serait un grand plaisir
Qu'un simple sentier de campagne
Pour librement le parcourir
Et l'insouciance pour compagne.
Ce me serait un grand bonheur
Qu'une course un peu vagabonde
Au rythme de ma propre humeur
Et des quatre saisons du monde.
Mais il faut franchir tant de murs,
Mais il faut briser tant de chaînes,
Lutte acharnée où rien n’est sûr
Que ce besoin qui vous entraîne,
La connaissance d'un instant
Et la force d'une parole
Qu'il faut retrouver maintenant
De peur que le temps ne s'envole.
***
Un jour de plus, un jour de moins
Et c'est toujours la même histoire
À laquelle on ne veut pas croire :
Le terme n'est plus aussi loin.
Que ce soit en vers ou en prose,
Nul n'écrit dans l'éternité,
Les mots et les vers sont comptés
Comme d'ailleurs toutes les choses.
Oui, ce sont des banalités
Dont nos espoirs n'ont rien à faire
Et qui ne peuvent que déplaire,
Qui donc voudrait les écouter ?
Je me les répète à moi-même
Quand le malheur courbe mon dos
Mais je les oublie aussitôt
Le jour où finit le carême.
***
La Cascade.
Franges de cristal aux éclats de diamants, transparences bondissant(es) et perles de lumièr(e) aux arêtes des rochers, l'eau fuit et caracol(e) et la cascade gronde.
Des renoncules d'or poussent tout près des riv(es), sur fond de mousses vert(es) à l'éclat si profond qu'il paraît irradier.
Sous le ciel lumineux, entre les arbr(es) où les feuilles s'annonc(ent), s'enfuit et s'entremê(le) un écheveau d'argent dont le cours étincelle.
***
Dans ce fauteuil chaque matin
J'écris comme l'on fait ses gammes
De tout, de rien, de mon destin ;
C'est ce que ce métier réclame,
Car je ne suis qu'un artisan.
J'use des mots et des tournures
En exprimant et composant,
Comme des couleurs en peinture,
Ou comme fait un jardinier,
Quand il décide ses boutures,
Comme ferait un serrurier
Des rouages de ses serrures
Et je pourrais poursuivre ainsi,
Mais vous avez compris la chose ;
On ne trouve pas d'art ici
Seulement l'effort qui s'impose.
Heureux, je suis ce que je suis,
Sans en tirer la moindre gloire,
Hier ne valait pas aujourd'hui
N'en déplaise à votre mémoire.
***
J'ai bien compris que tout s'achète
Y compris les moments de paix
Quant à n'en faire qu'à sa tête,
Le prix est tel que je me tais.
L'or a toujours fait le bonheur
En plus d'ailleurs de tout le reste,
Vous avez dit : « blasphémateur » ?
Les vérités sont indigestes...
Cessez d'apprendre à ces enfants
Non le monde, mais vos chimères,
Les règles d'un code étouffant
Et ses applications amères.
Rien n'est gratuit, rien n'est de droit
Et chacun n'a qu'une existence,
L'unique paix qu'on y reçoit
C'est notre mort en l'occurrence.
***
J'ai chanté ce foutu printemps
Et comment et combien
Du temps que j'avais les moyens,
Du temps que j'y croyais vraiment !
Ah, parlez-moi des papillons
Et des fleurettes,
Spécialement les pâquerettes,
N'oubliez pas les oisillons,
Les canetons et les canettes,
Les trottins et les trottinettes,
Ni les poètes ces couillons,
Qui ferait d'une vinaigrette
Un cru plus grand que l'ambroisie
Qu'ils n'ont jamais bue de leur vie.
***
D’un amour en Avril j’ai fait,
Ce n’était pas chose facile,
Le plus beau des amours de Mai,
Par après tout fut inutile
Et de l’amour la belle fleur
Fana, c’est une étrange chose,
Ce mois où les autres éclosent
En bouquets de mille couleurs.
On dit ma route originale
Mais je ne vis qu’à contretemps
Et crois que des heures banales
Me décevraient bien moins souvent.
***
Cette colère qui me tient
C'est elle qui fait que j'avance,
Elle vaut mieux que l'espérance
Dans les malheurs qui sont les miens.
Il faut pour vivre de l'adresse,
Pour s'enrichir beaucoup de soin,
J'en avais peu, je n’en ai point
Mais soyez sûrs que je progresse.
Croyez que j'y mets de l'ardeur,
Que ma fureur est efficace
Je saurai me faire une place
En dépit de ces malfaiteurs,
Leurs mensonges feront ma force,
Leur honte fera mon bonheur
La volonté sera mon cœur
Et l'innocence mon écorce.
***
Qui donc aime encore à parler ?
Souvent, je me tais et j'écoute
Mais cela ne fait aucun doute
Ce grand art s'est presque envolé.
On n’entend que, c'est bien dommage,
Propos grossiers ou sentencieux,
Mots ignorants ou orgueilleux,
Discours sommaire ou davantage.
Parler n'est pas que s'exprimer,
C'est aussi conduire une phrase,
Dans une harmonie sans emphase,
Douter avant que d'affirmer,
Nier mais avec élégance,
Prouver avec sérénité,
C'est enfin savoir accepter
Quelquefois son insuffisance.
***
La Lune était très belle
Sur la mer hier au soir
Où les ombres cisèlent
Des fragments de miroirs,
Et dans l'écume blanche
Au fil du vent marin
Où les rêves étanchent
Leurs espoirs sibyllins,
La Lune était très belle
Aux poussières d'embruns
Sur l'étrange dentelle
De ses rythmes défunts.
***
Pour tout horizon quotidien
Quelques trottoirs, deux ou trois places,
Cela ne fait que peu d'espace
Et ce peu là ne me vaut rien.
Des lointains habitent mes rêves :
La plaine à perte de regard,
L'âpre désert des montagnards,
L'océan bruissant et la grève.
Mais entre mes deux croisements
Je ne vois que quelques boutiques
Sous un coin de ciel ironique,
La ville banale et les gens.
Rêves d'azur ou de tempêtes,
Tout cela n'a pas cours ici
Je vis d'instants et de soucis
Et du quotidien qui s'entête.
***
Le calme avec les souvenirs :
Souvent la mémoire m'ennuie,
Sauf peut-être les jours de pluie ;
À quoi sert-il de retenir ?
Est-il un bonheur qui revienne ?
Tient-on beaucoup à conserver
L'écho d'une douleur ancienne ?
Hier n'est pas propice à rêver.
Faut-il toujours que l'on compare
Avec ce que l'on a connu ?
Non, c'est ainsi que l'on s'égare
Au vain profit de ce qui fut,
Et qu'au lieu d'une joie entière
On n’a qu'un plaisir affadi :
Notre conscience est bien trop fière
De ce que le passé lui dit.
***
Inquiet toujours à tous les vents
Mais poursuivant quoi qu'il en coûte,
Car on se doute
Qu'aller me demeure un tourment
Lorsque mon désir le compare
À la fin de ce mouvement
Aux lieux où mon désir s'égare,
Et s'arrête content.
***
Le Soldat.
C'est toujours le même regard
Brillant d'audace et de jeunesse,
Entre l'enfant et le soudard
Et peut-être un rien de noblesse.
Le visage d'un inconnu
Que le temps rend énigmatique
À force d'être et n'être plus.
Image ou reflet ironique
Que Dürer vient de dessiner
Au plus beau moment de son âge
Et que je contemple étonné,
Après cinq siècles de passage,
Dans une aussi vive expression
Aux traits inchangés de la plume
Qu'au tout premier coup de crayon
De l'esquisse que j'en présume.
***
Des noms défilent un à un
Et plus que ces noms des images
De bourgs, de champs et de villages,
Mémoire, oubli, plaisirs défunts,
Des villes et des paysages
Des jours depuis longtemps quittés,
Un grand soleil de liberté,
Quelquefois l'ombre d'un nuage,
Fragments de bonheur incomplet,
Et tant de merveilleux voyages
Qu'au fil des mots, qu'au fil des pages
J'évoque encore avec regret.
Tout refrain n'est que de passage,
Que l'aîné l'apprenne au cadet :
Comme à la chanson, ses couplets
Ainsi se succèdent les âges.
***
Une maison et un jardin,
Des oiseaux, des fleurs prolifiques,
Un grand amour pour seul destin,
Le rêve des vrais romantiques,
Le tout bien exprimé, bravo,
En vers un peu macaroniques
Par l'excellent Monsieur Hugo
Comment en oser la critique ?
Un jardin veut beaucoup d'efforts
Et de l'argent, comme la vie,
Pour une femme plus encor,
Pardon, Mesdames, je m'oublie.
Simple rêve de collégien,
Hugo, poète, était plus sage
Qui compta je ne sais combien
De toits et d'amours de passage.
***
Que voulez-vous me dire encore
Que je ne sache pas déjà ?
Il ne s'en faut que d'un seul pas
Je me retrouverai dehors,
Car voyez-vous le monde et moi
Nous ne nous aimons guère ;
Nous n'avons pas les mêmes lois
Si nous faisons la même guerre.
Ne parlez pas, n’ajoutez rien,
La coupe est plus que pleine,
La bêtise qui vous convient
Je vous l’abandonne pour reine.
Et soyez pleinement heureux,
Repus d’une grasse paresse
Et de renoncements peureux,
Soyez heureux car le temps presse.
***
Du matin jusqu'au soir il pleut
Dans la tristesse sans lumière
De ce printemps des plus miteux
Aux heures grises de misère.
Dans les matins fuligineux
Ou les chemins parlent d'ornières
On voit mars s'enfuir en boiteux
Et le gel ricaner derrière.
Ce sont des dimanches grincheux
Où le temps comme une rivière
Qui traîne ses limons boueux
Tarde et sinue à sa manière.
De jours borgnes en jours cagneux
C'est le printemps des fondrières,
Des basses-fosses, des mauvais lieux
Et des aurores putassières.
***
Quarante ans d'écriture
À fêter aujourd'hui
Quand la route est si dure
Au milieu de la nuit.
Pour des mots à la tonne
D'innombrables carnets,
Un vide qui résonne
D'inutiles effets.
Il faudrait en sourire
Et je n'y parviens pas,
Ce que je fus soupire
D'être tombé si bas.
À chaque instant l'on quitte
Un peu de ce qu'on eut,
Où donc est le mérite
D'avoir longtemps vécu ?
***
Chaque nouveau jour qui se lève,
Je livre un combat contre moi,
Si je l'emporte à chaque fois
La victoire d'un jour est brève
Et demain n'est pas assuré
De l'amer succès d'une lutte
Dont l'alternative est la chute
Que je ne peux pas ignorer.
Un vieux cri révolutionnaire
Que cette "Victoire ou la mort »
Mais qui résume bien mon sort
Et mon horizon ordinaire.
J'écrivis cela ce matin,
Du fond de mon cœur à ma plume
Coulait un fleuve d'amertume
Au gré malheureux du destin.
***
Huil(e) de ricin et ritournelle
Guérissent les chevaux de bois
Qui tournent quand on les appelle
Et vivent bien sans foie ni l'oie.
Du calme, je ne suis pas fou,
Ce ne sont que des mots absurdes
Dont je m'amuse et voilà tout
Avant d'aller faire une cure de
Silence.
***
Quatrain de la Ménagère.
Depuis qu'il faut bien du pétrole
Pour produire un chou de Bruxelles,
Le coût des menus me désole
Mais je fais bien moins la vaisselle.
***
Quatrain n°4, moins fou qu'il n'y paraît.
Quatrain numéro quatre
En forme de leçon:
Lorsque l'on veut s'ébattre
Il faut un hameçon.
***
Quatrain n°5: ésotérique.
Dans un mouvement vague
Ou ce qui va revient,
Quel soupir se retient
Lorsque les mots divaguent ?
***
Quatrain n°6: estival.
Murmure au vent d'un peuplier
Dormant au bord d'une rivière,
Un vieux refrain presque oublié
Qui parle d'ombre et de lumière.
***
Quatrain 2. – Nuit. Cynique I.
La nuit exalte le plaisir,
Mais dans les caresses qu’on goûte
N’est-ce pas, il me vient un doute,
Qu’avant tout l’on n’y voyait rien ?
***
Quatrain 2453 bis. –Cynique II.
Toute bonne conscience est prête
A leur allumer des bougies
Et c’est une grande conquête
Sur tous les malheurs de la vie.
***
Aux heures d’un beau crépuscule
Où s’allongent les jours d’été,
La paix s’installe en majuscule,
Aux heures d’un beau crépuscule.
Le silence est un préambule
A l’immense tranquillité,
Aux heures d’un beau crépuscule
Où s’allongent les jours d’été.
***
Liberté.
Il n’y a pas vraiment de liberté,
Chacun de nous vit au bout d’une corde,
Chacun dépend s’il veut en profiter
De la longueur que le sort lui accorde.
Nos moyens et nos jours sont limités,
Tout le reste est de la philosophie,
Ce jeu qui met aisément de côté
Ce que chacun doit savoir de la vie.
On ne peut pas tout faire ou tout avoir,
Tel dont les mains se montrent incapables
A tant d’esprit qu’il peut tout concevoir,
Tel est brillant, tel autre irresponsable.
La « liberté » dépend de tout cela,
De nos moyens et de ce que nous sommes,
Tel rampe, vieux, qui plus jeune vola :
Depuis toujours c’est tout le sort des hommes.
***
A un Ami.
J’écris pour toi ces quelques lignes
A l’heure où ta mère se meurt,
Le Seigneur à chacun nous assigne
Une part de joie et de pleurs.
La route est toujours douloureuse,
N’en conservons que le meilleur,
Ta mère, elle, sera heureuse
Et son amour vit dans ton cœur.
Il est dur de perdre les siens,
Ce sont des deuils que nul n’oublie,
Mais demeure assuré du bien
Que propose toujours la vie.
Sois certain de ce que tu vaux
Et de tout ce qui reste à faire,
Souviens-toi que le monde est beau
Puisque l’amour de Dieu l’éclaire.
***
Le vent d'hier souffle aujourd'hui,
Entre rafales et murmures
J'écoute encore et me réjouis,
Le vent d'hier souffle aujourd'hui.
Lilas d'été, massif de buis,
Comme certains souvenirs durent;
Le vent d'hier souffle aujourd'hui
Entre rafales et murmures.
***
Sur les trottoirs où les feuilles pourrissent
Novembre marche et les ombres se glissent,
Lentes, le long des arbres dépouillés.
C'est l'heure grise aux rêves éveillés,
Instants précieux pour des songes d'automne
Au goût de mauve ou bien de belladone,
Brumes d'espoir, de tristesse ou d'oubli,
Sur un trottoir lorsque le jour faiblit.
***
Savez-vous donc où je m’en vais ?
Je vais aux jours où l’on oublie
Où l’on espère, où l’on se tait,
Je vais aux sentiers de la vie,
Aux soirs et aux matins de paix
Où ne brûle plus l’incendie
Des lendemains ; le pire est fait
Et la fin nous réconcilie,
Quoique cela paraisse peu,
A ce qui reste de nous-même.
Le temps vient annuler nos vœux,
L’obscurité se fait poème.
C’est un sourire entre les mots
Que je vais où tout se délie
Sans un bagage sur le dos
Ainsi que l’âge m’y convie.
***
Dans la forêt sont mes amis
Nourris de songes creux,
De rêves à l’envers
Et de jours indécis.
Les feuilles chanteront aux cieux
Une complainte dont les vers
Mériteraient bien d’être appris.
On y parle de cœurs radieux,
De notre horizon qui se perd
Et de jours indécis.
***
Chacun tire la couverture à lui
Et la choisit de préférence
Comme appartenant à autrui,
C’est bien moins fatiguant je pense.
D’ailleurs pourquoi faire un effort ?
N’a-t-on pas droit à la paresse,
Comme on a droit de prime abord
A la santé, à la richesse ?
Au plaisir et à la beauté,
Au bonheur, à l’intelligence
Et même à la longévité
Sans parler de la différence…
Parlez-moi de droits convaincants
Et faites des économies
Pour les espérer en pleurant
Jusqu’à la fin de votre vie !
***
C’est un désespoir érudit
Où les mots remplacent les larmes ;
Des mots quand tout a été dit ?
Des mots dont la musique charme
Cette lancinante douleur
Qu’aucun autre moyen n’apaise,
Des phrases qui sont parfois sœurs
De la prière et de l’ascèse,
Seul moyen d’accepter ces jours
Et plus encore de les vivre.
Des mots changeants, en mille atours,
Sages ou fous qui me délivrent
De l’horreur de ce quotidien,
Des mots à la place du doute,
De ce qui fut et n’est plus rien,
Des mots dont le moindre me coûte.
***
Le fleuve en son cours immuable
Offre ses reflets merveilleux
Et sa chanson interminable
Qui court en ses couplets gracieux.
Le vent qui souffle psalmodie
Des contes qui n’ont pas de fin,
L’histoire d’innombrables vies
Au hasard de tous les chemins.
Voici l’heure où le jour se lève
Mais la terre dans son sommeil
Poursuit d’interminables rêves
Qui frissonnent sous le soleil.
Les mots se suivent et se mêlent,
Faible harmonie en contrepoint
D’une plus grande où se révèle
Ce qui ne fut jamais très loin.
***
Dix mots font tout mon répertoire :
Rêve, tristesse, ennui, mémoire,
Vent, solitude, soir et nuit,
Route et chemin.
La strophe suit :
Aux solitudes de mes soirs,
Le rêve est couleur de tristesse
Et les chemins de ma mémoire
Et ses routes mènent sans cesse
Au vaste horizon de ces nuits
Où le vent berce mon ennui.
***
Ô froides étendues
Des printemps malheureux
Où frissonne cette ombre nue
Sous le vent coléreux,
Qu'avez-vous encore à me dire
Que je n'aie pas déjà chanté ?
La rue qui le désire
En aura plus à raconter:
Rumeur de pavé à pavé
Et secrets de porte cochère,
Fantômes de passions
Au gris crépusculaire
De ces soirs de printemps perdus.
Mon cœur est un ludion;
Que pouvais-je ou qu'aurais-je pu
Dire ou peut-être taire,
M'en ferez-vous l'aveu,
Ô froides étendues
Des printemps malheureux ?
***
Esquisses et Souvenirs.
La Ville en Août.
La ville en août est si déserte
Qu’elle a l’aspect d’un de ces bourgs
De campagne qui n’ont plus cours
Qu’en des romans qui déconcertent
Tant ils nous semblent étrangers.
Et cependant ce qu’ils décrivent
C’est le décor un peu figé
Des souvenirs qui nous arrivent
De l’époque de nos parents
Et la sensation est curieuse
D’un jour qui passe lentement
Et de ces heures silencieuses
Dans la lumière de l’été ;
Dans cette douceur alanguie
Sans doute un peu de nostalgie
Et le bonheur d’avoir été.
***
Cendres.
Odeurs de fumée et de suie,
De sols humides et de pluie,
Fraîcheur banale des matins
Qui sont déjà presque une fin.
Voici plus d’une année enfuie ;
Ce monde quelquefois m’ennuie.
Il n’y a guère à se cacher
En vers pompeux, en mots léchés,
Ce que disent les feuilles mortes
Qui s’accumulent à ma porte.
Dansez autant que vous voudrez,
Rêvez autant que vous pourrez
Si le sort peut y condescendre ;
Toute flamme finit en cendres,
Rien ne dure et pour tout berceau
Il faudra creuser un tombeau.
***
Volupté.
Connaissez-vous la volupté,
Le soir, d’écouter le silence ?
La nuit s’en vient à pas comptés,
Les bruits meurent sans réticence.
Dans l’ombre et l’immobilité
Où l’esprit se nourrit d’absence,
Le temps enfin s’est arrêté
Dans le bonheur d’une évidence :
La certitude d’exister
Au bord de ce courant tranquille,
Un fleuve où se laisser porter
Sans faire d’efforts inutiles,
Loin de ce monde trop bavard,
Trop affairé d’indifférence
Et qui, de toujours en trop tard,
A dominé notre existence.
***
Prémonition.
Mon chant s’étend sur de longues années
Egrenant lentement des jours obscurs,
Heures sans fin, sagement ordonnées
D’un quotidien banal et presque sûr
Mais les temps ont changé, voici des notes
Discordantes sans doute et à souhait,
Des mots rugueux dont le rythme dénote
Une crainte qui monte et non la paix.
L’horizon s’assombrit de ces querelles
Qui toutes sont à nos contradictions
Ce qu’au brasier seraient les étincelles ;
Une peur presqu’autant qu’une ambition.
Des grondements à l’aigu des stridences,
La fanfare du monde retentit,
La Mort n’est pas, comme on le croit, silence,
D’abord, mais ce vacarme consenti.
***
La Route.
Un petit pincement au cœur,
Dans mes pensées un rien de doute,
Un encouragement moqueur,
Il faut bien reprendre la route.
Je croyais n’avoir qu’un foyer,
Chaque jour m’en découvre mille,
Auprès d’un arbre foudroyé,
Dans les vieilles rues d’une ville,
Sur le bord d’un champ labouré,
Au beau milieu d’une clairière,
Partout où l’on peut espérer
Et rire autant que la lumière.
Il arrive que certains jours
Ce ne soit pas aussi facile,
J’avance alors d’un pas plus lourd
Mais j’avance tranquille.
Je marche autant que je le puis,
Un désir unique me porte,
Je veux être ce que je suis
Sans me renier. Après, qu’importe ?
***
La Sieste.
J’écris ici pour dire peu,
Que dire à l’heure de la sieste
Où les mots cessent d’être lestes
Sous l’assaut d’un soleil fiévreux ?
Voyant la rime qui transpire
Les pieds choisissent le repos,
Tout ce que la strophe désire
C’est d’en terminer au plus tôt.
Comment remplirai-je une page
Dans cet univers somnolent
Où le temps s’écoule si lent
Que je ne connais plus mon âge
Et qu’il pourrait m’avoir coûté
Tout l’espace entre ma naissance
Et l’ultime instant redouté
Pour l’écrire sans assurance.
***
La Pièce Claire.
Pas un bruit dans la pièce claire
Où je savoure ce moment ;
Mes livres sur les étagères
Sont alignés tranquillement.
Rien ne m’attend, rien ne me presse,
Dehors, où brasille l’été.
La ville est parée d’allégresse,
La rue fourmille en liberté.
Chacun apportant sa nuance,
Mil silences règnent ici,
Ma paix n’a pas de souvenance,
Pas de regrets, pas de soucis.
Dehors s’enflamment les façades
Sous un ciel immensément bleu,
Je souris à la cantonade
Comme à mon tapis poussiéreux.
***
Tourment.
Je me livre à des réflexions
Dont la moindre est peu réjouissante :
Je vois ma vie abrutissante
Au-delà de toute expression,
De plus il ne m’en reste guère
Et je n’aurai pas l’occasion –
Comment nourrir quelque illusion ? –
D’en obtenir mieux que naguère
A titre de réparation.
Ce n’est pas, quoique l’on pense,
Que j’en aie fait grande dépense,
Je n’en eus jamais l’intention,
Mais j’ai trop vécu d’insouciance,
Ce qui me reste est sans passion,
Sans goût, sans but, sans expression
Et je l’aborde sans confiance.
***
Venise.
A la lagune de Venise
Dans cette lumière indécise
Où la toute première fois
Je la vis comme je la vois,
Hélas, aujourd’hui si loin d’elle.
A tes canaux, à tes venelles
Où les reflets dansent la nuit,
Où dans l’ombre le marbre luit
Tout autour des places désertes,
A toi, l’immense et belle offerte
Au silence de l’abandon,
L’hommage des mots vagabonds.
A toi, Venise, ma maîtresse,
Mon remord et mon allégresse,
Irraisonné mais de plein droit,
Un amour aussi vieux que moi.
***
Philosophie.
J’ai beau lire les philosophes,
Je constate à les fréquenter,
Que mon esprit manque d’étoffe
Pour saisir leur réalité.
Ils construisent de beaux systèmes
Qu’ils peuplent de termes brumeux,
J’en suis à reconnaître même
Qu’ils me dépassent tous un peu,
Et trouve beaucoup d’artifice,
A tant de classifications,
Tant de certitudes factices,
Comme tant d’approximations.
Cependant ils refont le monde
D’hypothèse en spéculation :
Leur logique est aussi profonde
Que le sont leurs contradictions.
***
Spleen.
Je n’ai pas de raisons d’écrire,
Je suis à court de sentiment,
Le cœur plus sec qu’un vieux sarment,
Sans inspiration pour tout dire.
Le temps passe et je n’attends rien,
Je fais ce que je peux : j’existe,
Sans être gai, sans être triste,
Peut-être qu’ainsi tout est bien.
Dans mon esprit le baromètre
Des émotions est au plus bas,
Bloqué sur l’index « calme plat »,
Comme le ciel à ma fenêtre,
Et le désir au fond de moi,
Mes rêves naviguent, bonasses,
En plein dans la mer des Sargasses ;
Je ferai mieux une autre fois.
***
Nocturne I.
Voici la nuit qui s’en vient apaisée,
Clore la pluie et toute la journée
Et mille pas pour tant de va-et-vients
Et mille mots et tant de petits riens.
Une journée autant qu’une existence
Après laquelle aussi naît le silence,
Car chacun parle et puis chacun se tait,
Voici la nuit, l’obscurité, la paix.
Voici l’oubli, voici l’heure des songes,
Le flot obscur que toute errance longe,
Voici la porte au pied de l’horizon
Où l’âme enfin échappe à la raison,
Où le temps meurt, où les lois sont futiles,
Voici la nuit, si belle et si tranquille,
Le monde avant le monde et tous les choix,
Cette ombre enfin qui n’est autre que moi.
***
Une tasse de thé,
Ce n’est pas la première,
Ma rime sans compter,
En est très coutumière.
Depuis bien quarante ans
Et sans que je m’en lasse,
C’est sûr en composant,
Je bois encor la tasse…
***
Je m’endors sur mes propres vers,
C’est dire s’ils valent la peine !
Mais je fais de même aux concerts,
Lorsque les exposés s’enchaînent,
Dans les réunions de famille
Qui se prolongent trop le soir,
A deux au pied d’une charmille
Et même devant l’encensoir ;
Alors…
***
Tambours et fifr(es), tambours et fifres,
Un carnaval au pas si lent
Ou les sorcières font les pitres
En grimaçant,
Tambours et fifr(es), au pas si lent
Que l'hiver aura tout le temps
De s'échapper au bout de l'aube
Par la cheminé(e) ou le toit.
Un carnaval en robe fauve,
De chandelles, de diamants noirs,
Qui serpent(e) aux rues de la ville
D'un pas mesuré et docile,
Tambours grondants,
Fifres piaillants
En une foule somnambule
Dont les longues lignes ondulent
Entre les pignons résonnants.
***
La Naissance du Printemps.
C'est l'heure où la lumière baisse,
Dans la grand pièce du salon
Sous ma plume des rimes naissent
Et pas un bruit dans la maison.
Je me suis promené en ville,
Cuivres, tambours et carnaval,
Balai en main, ouvrant le bal,
Les sorcières défilent.
Mais pour le printemps, pas de chance,
Le ciel est gris
Et les masques s'avancent
Entre les gens surpris.
Après-midi de promenade
Avant que de rentrer chez soi
Un samedi maussade
À l'heure où la pénombre croît…
C’est l’heure de jouer les sages
Dans un vieux fauteuil élimé
Qui m’aura fait beaucoup d’usage
Mais que voilà tout abimé.
C’est là, dans la demi-pénombre,
Que naît bien subrepticement,
Au coin de quelque meuble sombre,
Mon vrai Printemps.
***
La Différence.
Oh, que vous êtes donc sérieux,
Jouant à vivre votre vie
Jusqu’à mourir d’en être vieux
Au terme de la comédie.
Un avocat, un président,
Un maître queux et une artiste,
Sont ce qu’ils sont absolument,
D’un bout à l’autre de la piste,
Pas un d’entre eux n’acceptera
De s’imaginer en nuage,
Sans destin et sans apparat,
Gonflé de vent et de passage.
Et moi d’ailleurs, pas plus que vous
Ou alors par intermittence
Comme il est normal chez les fous ;
C’est ce qui fait la différence.
***
Mystère.
Mystère à mon goût trop profond,
Que ce qu’on est et se connaître,
S’il est possible à la raison,
Vaut-il vraiment de naître ?
Que de travail, que d’efforts et d’esprit,
Que d’interrogations pour, à vrai dire,
Un but dont je me moque, ayant compris
Que savoir est le pire.
Mon ignorance est le rempart
Puissant d’une bonne conscience
Qui veut un talent bien à part
D’hypocrite patience.
J’ai décidé de me moquer de moi
Et d’accepter que le temps me dévore
Tant pis s’il faut oublier autrefois
Car cet oubli m’honore.
***
Sur le bord de la route (La Panne).
Dans certaines mésaventures
On peut bien maudire le sort,
Se lamenter et pester fort,
Rien n’y fera, la chose est sûre.
Mieux vaut trouver, si c’est l’été,
Un agréable coin à l’ombre
Et sans voir l’avenir si sombre,
Attendre avec sérénité.
D’un incident désagréable
On peut faire un sujet de vers
Et sourire du temps qu’on perd
A composer pareille fable.
Je m’essaye à ce moyen là
En attendant qu’on me secoure,
C’est ainsi que les heures courent
De mes ennuis jusqu’au-delà.
***
C’est une Petite Histoire.
Ce soir spécialement m’agacent
La petitesse de mon sort,
D’où vient ma si petite place,
Les petits soucis de mon corps,
Le petit talent de mes rimes,
La petitesse de l’espoir
De jamais connaître les cimes
Et le peu que je peux savoir.
Il faut bien voir les faits en face,
J’ai réussi à tout rater,
Le sachant les heures qui passent
Se passent sans sérénité.
Lorsque je regarde en arrière
Où l’on ne peut pas revenir,
Ni par l’or, ni par la prière,
Je sais bien qu’il faut m’y tenir.
***
Moine.
Je me sens moine à ma façon,
Quoique sans plus de religion,
Pour cette façon là de vivre,
Reclus au milieu de mes livres,
A conserver au temps présent
Les lois, les us, les règlements
D’un mode ancien de poésie,
D’autant que ce mode est ma vie.
Puisque me voilà presque vieux,
Je cherche à préserver au mieux
Moins un talent qu’un savoir-faire,
Un artisanat bien précaire.
J’empile, à peu près consciencieux,
De vieux volumes poussiéreux
Où dorment des voix inconnues
Ou parfois trop vite perdues.
Ils sont là pour qui s’en viendra,
Les trouvera et les lira,
Offrant pour l’amour de leurs pages
Son temps et son cœur au passage.
***
Dans ces pièces vécut un homme
Qui ne croyait qu’en son passé,
Ainsi chaque chambre était comme
Un coffre où dormaient entassés
Des ors fanés et symboliques,
Mille témoignages glorieux,
Inutiles mais authentiques,
Mille bibelots poussiéreux.
Il vivait dans le crépuscule
Des souvenirs de son bonheur,
Trouvant aujourd’hui ridicule
Et le lendemain sans valeur.
Moi qui connais si bien sa vie,
Je ne sais comment il changea ;
Fut-ce par peur ou par envie,
Par ce qu’un dieu lui révéla,
Par raison ou par lassitude,
Je ne sais pas me l’expliquer,
Mais il changea ses habitudes
Et vit heureux et appliqué.
***
A NERVAL.
Trois cents francs pour survivre à l’hiver
Et puis mourir de trop les attendre, -
De quelle mort ! –Aller se pendre
Un matin plus que tout autre amer…
Car les vers les plus beaux ne nourrissent,
Ni ne réchauffent qui les écrit,
Le besoin manque souvent d’amis,
Le mauvais sort frappe avec malice.
Si l’été sait ce que dit l’espoir,
C’est l’hiver silencieux qu’on abandonne
Le combat et que cette heure sonne
D’achever faute, ici-bas, d’avoir.
Qui dira ce froid noir qui torture,
A l’aurore alors que l’on voit bien
Qu’il n’est plus qu’une chose de sûre
Cet échec et qu’il ne viendra rien ?
***
Poème pour un Importun.
Combien, haussant le col, s’imaginent des aigles
Qui ne sont, tout glorieux, que de gloussants dindons
Et les plus malicieux s’ornant le cul fripon
De parures de paons plumés selon la règle ?
Il en faut plus, je crois, pour créer l’illusion
Qu’appellent de leurs vœux ces sentencieux compères.
Qu’on les prenne au sérieux, voilà ce qu’ils espèrent
Mais c’est peine perdue, on leur voit le croupion.
Que leurs dandinements remplis de suffisance
Nous fassent d’abord rire et non pas nous fâcher,
La sottise, après tout, est un moindre péché
Quand bien même on l’applique avec tant de constance.
Enfin, me direz-vous, vous pensez à quelqu’un ?
Eh oui, que voulez-vous c’est vrai, je le confesse,
Mais ma rime est finie et surtout le temps presse,
Je n’en ai plus assez pour nommer l’importun.
***
Rimes d’Eté.
La chaleur monte de la ville,
Roulant ses vagues indociles
Au pied du bureau pénombreux
Où je somnole paresseux.
Un souffle parfois l’accompagne
Au parfum herbu de campagne,
De fleur séchée et d’horizon ;
C’est enfin la belle saison.
Il n’est pas question de bouger,
Ni même de l’envisager,
Mon plaisir à l’ombre s’allonge,
Entre le silence et le songe,
Il n’est pas question de compter
Leur temps aux heures de l’été,
A la douceur de l’insouciance,
Entre sommeil et nonchalance.
***
Il était une fois…
Rêve d'un printemps affolant
Où ton corps mieux qu'une corolle
Dirait le désir et l'extase
Et l'union plus qu'en une phrase
De cette brûlante souplesse,
Amour de perl(e) et de diamant
Pour une graine de tristesse,
Et de ce lointain grondement
Qui parl(e) à la terre d'ivresse
Et d'étoiles au firmament.
Poussière de notre tendresse,
Pour je ne sais quel dénuement,
Ni quelle effloraison rapide
Comm(e) un éclair où se décide
La conscienc(e) avec le tourment.
***
Si je pense à vous,
Au seuil de la nouvelle année,
Je vous mets surtout
Au rang des amours surannées ;
Si je pense à vous.
J'en ai bien le droit,
Vous fuyez, hautaine et muette,
Sans espoir, je crois,
J'irai rire, seul à la fête ;
J'en ai bien le droit.
Oui, car l'on rira,
Je vous le dis, soyez-en sûre
Et l'on oubliera
Grands rêves et vieilles blessures,
Oui, car l'on rira.
Au douzième coup,
Le seul fait d'y penser m'enchante,
Je tordrai le cou
De tout ce que pour vous je chante,
Au douzième coup.
***
Aube d'eau claire et de printemps
Au sortir des draps où se froisse
La nuit tiède qui parfois ment.
Voici que les heures s'accroissent
De lumière et de sentiments,
De joie et de gaieté nouvelle
Qu'aucune ombre ne nous défend
Et dans chaque instant je décèle
Tout juste audible, mais présent,
Comme l'écho lointain d'un rire.
Hier il en était autrement
Combien de jours ont été pires ?
Mon plaisir est un frôlement
Où la paix et la certitude
Dansent en faisant le serment
D'une moisson sans inquiétude.
***
Un triolet comme autrefois,
Te souvient-il de cette époque ?
Le temps était moins à l'étroit,
Un triolet comme autrefois.
Des portes du palais d'un roi
Aux fissures d'une bicoque,
Un triolet comme autrefois,
Te souvient-il de cette époque ?
***
Prenez ce que je dis,
Prenez et comprenez.
Ce fut une passion
La seule qui vous pousse
Vous traîne et vous emporte.
Ce fut, car elle est morte ;
La mémoire m'est douce,
Amère en même temps,
Cruelle tout autant
Et combien inutile.
Laissez les feuilles du printemps
Et la rose d'automne,
L'aventure et le vent,
L'amour qu'on arraisonne.
Laissez c'est inutile,
L'amour féal d'un homme lige
Ou bien celui d'un conquérant,
Et maintenant la nuit
Qu'aucune aube ne suit.
Un temps pour chaque chose,
Le poète se tait
Pour que ses mots reposent
En paix.
***
Il faut du temps pour abdiquer
La douceur des amours anciennes
Dont la fin ne peut s’expliquer,
Quelque heurt dont on se souvienne.
Il faut du temps pour délaisser
L’espérance faite folie
De pouvoir tout recommencer
Par quelque grand tour de magie.
Il faut du temps pour oublier
Le bonheur d’une compagnie
Dont on croyait, émerveillé,
Qu’il durerait toute une vie.
Je crois qu’il en faut tellement
Que la tâche est presque impossible
Et que je mourrai sûrement
Avant son terme imprévisible.
***
C'est affreux comme le temps passe,
Je fus son amant et voici
Qu'il m'a fallu perdre ma place,
Je ne suis plus que son mari.
Non, ce n'est pas la même chose,
Ce n'est pas moins, c'est différent
Pourtant quand le premier s'expose
Que fait le second ? Il attend.
Le premier rêve de voyage,
D'amour, d'eau fraîche et d'absolu
Et le second fait le ménage,
Fait l'amour et n'en parle plus,
Le premier espère et se cache,
Le second ronfle dans son lit,
Le premier bâtit ou arrache,
Le second dans son bureau lit.
***
Dans la maison des routes closes
Au grand jardin planté de roses
Il n'y aura que vous et moi,
Antan, jadis et autrefois.
Mais sur l'horizon de passage,
Quatre-saisons d'un paysage
Et puis des souvenirs gigognes,
Parfums anciens d'eau de Cologne,
De savons à la rose thé.
Ces noms et ces mots emportés,
Tout un ciel avec sa lumière
Et la vie à notre manière,
Comme un dimanche en ses atours
Un peu plus souvent qu'à son tour,
Qui le voudra verra en somme
Il y a là ce que nous sommes.
***
Ce sera le premier anniversaire
Qu'il me faudra fêter sans toi
Mais fêter est-il nécessaire ?
Je dis que non, il n'y a plus de quoi.
Tout a changé, je ne retrouve rien,
Je me perds dans un monde étrange
En cet incessant va-et-vient
Des jours heureux aux lendemains de fange.
Et puis, il n'y a plus rien à glaner,
Aux belles heures révolues
Va succéder, sans s’étonner,
La nuit sur cette misère étendue,
Avant l'oubli qu'offre seul le tombeau
Au moins comme un voile pudique
Masquant ce que le sort me vaut
De pleurs et qui n'est même pas unique.
***
Quel amour vécut de raison ?
Si telle en était l'habitude
On n'en ferait pas de chansons,
J'ai du moins cette certitude.
Et du nôtre que dira-t-on ?
Mi paillettes et bure
Haute-contre ou bien baryton,
Il fera curieuse figure.
***
Mirabeau.
Je n'ai pas de pont Mirabeau,
A la rigueur, un pont sur l'Aar
Le long d'une rue sans lumière.
Mes amours ne sont pas si beaux
Que l'étaient ceux d'Apollinaire
Et je suis loin du pont des Arts.
Cette histoire est un peu sommaire,
Les ponts y ont bien trop de part,
L'amour y rime en porte à faux.
Oubliez-la donc, je préfère
Et je la reprendrai plus tard
Si je m’en souviens comme il faut.
***
Déception partagée.
Vous voulez que je vous achète
Moi qui ne sais pas posséder
Et n’en fit jamais qu’à sa tête
Afin de mieux dilapider.
Vous voulez que je vous séduise
Lorsque l’amour ne m'est plus rien,
Tout cela n'est pas à ma guise,
Finissons là cet entretien !
***
Et Toi.
Une fenêtre en pleine nuit
Qu'éclaire une lampe électrique,
Un souvenir d'angoisse
Et toi.
L'ombre partout si méthodique
Et la peine qui suit
Son éternel retour.
La mémoire qui pèse
Et la chaleur qui poisse
De torrides étés
Qui n'ont servi à rien,
L'angoisse trop fidèle
Sur les ruines des heures
Et toi.
***
Au vent.
Plus rien n'a d'importance
Que le souffle du vent
Qui parle d'abondance
Et puis s'enfuit content.
Bourrasque de tempête
Ou refrain seulement
Il y va de conquêtes
Ou bien d'apaisement,
De contes et légendes
Ou de raisonnement,
D'horizons qui s'étendent
Ou de l'instant présent.
Il s'agit de l'automne,
Il s'agit du printemps,
De vous, - je vous étonne ?-
Et moi certainement.
***
Nocturne II.
Veillant fort avant dans la nuit,
Comme j'en avais l'habitude,
J'ai mesuré ma solitude
A l'aune du temps qui s'enfuit.
Sans prononcer une parole,
J'ai compté tous mes souvenirs
Sans chercher à les retenir,
Je crois qu'il vaut mieux qu'ils s'envolent.
Ils meurent comme vous mourrez,
Comme ils s'en vont ainsi je passe,
En somme le monde nous chasse,
C'est aussi bien, vous le verrez.
***
Il est bien difficile d'écrire
Que dirais-je de plus ?
La solitude est pauvre de sourire,
Mais non de sentiments.
Je regarde la rue :
Le monde et le temps passent à côté de moi :
Moi je n'en ai, au plus, qu'une portion congrue.
Nous aurions pu faire bien mieux.
Il y avait tant de possible
Et tant de temps en tant de lieux,
Que la chute est risible
Et l’échec peu glorieux.
***
Le long du quai où l'automne s'endort
Les marronniers penchent sur l'eau
L'octobre roux de leurs feuilles passées.
C'est un beau jour malgré le sort
Dont les bienfaits se sont lassés ;
N'ai-je pas fait tout ce qu'il faut ?
Je songe en marchant à pas lent
À nos rencontres fugitives,
C'étaient une plage en plein vent,
Dans une gare une étreinte furtive,
Trois pas ensemble au bord d'une rivière,
Dans un transept l'éclat d'une verrière...
Nous avons rêvé tous les deux.
La ville en automne est si belle
Où je m'en vais,
Évoquant un visage,
Une voix qui se tait,
Un amour de passage.
***
Je vous ai tant aimée…
J’ai tant écrit pour vous, je vous ai tant aimée
Et j’ai tant espéré, hélas, en pure perte…
Je regarde, pensif, une rose fanée,
Mais le soleil décline et l’allée est déserte.
Mes rêves, mes efforts, mes espoirs et mes vers
Auront servi l’amour pendant ces huit années,
Vous en souvenez-vous à l’heure où tout se perd ?
Les serments d’autrefois sont partis en fumée.
Vous ne reviendrez pas, vous ne le pouvez plus,
Vous avez trop changé et chaque jour me blesse,
Vous n’êtes plus la même et j’ai trop attendu,
Et vous avez renié nos plus belles promesses.
Allons, ç’en est ainsi, l’Automne qui revient
Emporte nos amours sous l’or des feuilles mortes
Où s’effacent nos pas sur des chemins anciens,
Voici venir la nuit, je referme la porte.
***
Au bois de Vincennes.
Un beau soleil éclaire l’or
Des parcs où la saison décline,
J’écris des amours orphelines
En des jours aussi doux qu’alors.
C’est le souvenir qui m’amène
Aux sentiers du bois de Vincennes.
Chaque arbre s’ornait de joyaux
Qui flamboyaient dans la lumière
Et dans cette forêt altière
Notre amour était sans défaut,
Il commençait, qu’on le comprenne,
En Automne au bois de Vincennes.
Je nous revois, main dans la main,
Heureux comme on ne l’est qu’en rêve,
Quand le monde alentour fait trêve,
Marchant au désert des chemins,
D’autres aujourd’hui qui les prennent,
Vont s’aimer au bois de Vincennes.
Mon Aimée, j’écris de ma peine,
Le temps a gagné cet assaut.
Que d’eau sous les ponts de la Seine,
Qui ne sont pas tous Mirabeau,
A coulé sans que nous ramène
Notre amour jamais à Vincennes.
***
Soleil d'un midi de printemps
Qui brille en vain
Je n'ai pas grand chose à te dire.
Voudrais tu qu'en vers je soupire
De ne pas pouvoir profiter
Du trois fois rien de liberté
Que ton invitation suppose ?
Il y a longtemps que la chose
Ne compte plus vraiment,
Je vis ici et maintenant
Tant pis si ce n'est qu'un bureau
Loin du fleuve et loin du coteau
Dans un immeuble d'un quartier
Qui m'a déjà presque oublié.
***
Lorsqu'il le faut il n'y a rien,
Et quand tu viens,
Est-ce encore la peine ?
Ce n'est pas qu'attendre me gêne,
Mais à quoi bon ?
L'amour est enfant de bohème,
Voilà qui nous donne le ton,
Mais pour autant, mais tout de même
Est-ce vraiment une raison
Pour faire tout à contre temps
Quand ce n'est pas tout le contraire ?
Je crois avoir connu des vents
Plus constants et moins téméraires
Et qui, quoiqu'au fond aériens,
Savaient garder les pieds sur terre,
S'ils n'étaient pas des plus conscients,
Je te l'apprends et le maintiens,
Ils ne soufflaient qu'à bon escient.
***
Depuis que tu n'es plus présente
Chaque fenêtre se lamente
De ne plus croiser ton regard,
La maison pleure ton départ
Et je m'en vais de pièce en pièce
Leur rappelant sans cesse
Le bonheur d'être deux.
Depuis, nous habitons à trois,
La tristesse, ma solitude et moi.
***
La chanson n'est pas douce,
Mon cœur ne l'était pas non plus,
La tristesse persiste,
Il n'est pas si mal d'être triste,
C'est au moins ce que j'en conclus.
On dirait bien dehors
Que les feuilles repoussent,
Bon Dieu, Seigneur, coquin de sort,
Le printemps nous revient,
À défaut de l'amour, l'envie,
Pauvres de nous, chienne de vie,
Je ne sais ce qui me retient...
Je ne sais ce qui me retient ,
Je ne sais ce qui vous convient,
J'ai fait et dit tant de bêtises...
Entendrez-vous celles que prise
Le cœur naïf des collégiens ?
Celles des amoureux transis
Qui sont, je crois, de tous les âges ?
Les perverses, les luxurieuses,
Et les simplettes de passage
Qui mériteraient des lazzi ?
Vous le savez -quelle importance ?-
Don Juan finit mal,
Qui n'avait pas moins de constance
Pourtant qu'un autre mâle.
***
A la première nuit de juin
Je pris congé de ma tristesse
En y mettant beaucoup de soin,
A la première nuit de juin.
Je m’enfuis en tournant le coin
Avec un soupir d’allégresse :
A la première nuit de juin,
Je pris congé de ma tristesse.
***
Hier et aujourd’hui. (I)
Où donc est celle que j’aimais ?
Vaine question, nul ne le sait,
Elle vit, captive, sans doute,
Dans quelque royaume sans route
Auquel les mots n’accèdent pas.
L’amour se perd juste au-delà
De son impalpable frontière,
Il n’est promesses, ni prières
Qui l’en fasse enfin revenir ;
Il n’en reste que souvenirs.
Demeuré seul dans l’ignorance,
J’égrène l’ancienne espérance
Au gré de jours indifférents
De soleil, de pluie et de vent,
C’est le même amour qui m’emmène
Aux quatre saisons de ma peine.
***
Hier et aujourd’hui. (II)
J’aimais, il y a bien longtemps,
La plus belle, la nonpareille,
La fleur de toutes les merveilles
Qui maintenant s’effeuille au vent.
Où donc es-tu, la plus aimée
Comme la plus amère aussi,
Mon seul amour et mon souci
De tant d’heures abandonnées ?
L’automne chante avec raison
Ces souvenirs d’une autre vie,
L’hiver change la symphonie
En requiem, en oraison.
J’aimais alors et j’aime encore,
Mais le temps des amours est loin,
Rentrez le blé, rentrez le foin,
Il n’est plus de fleurs pour éclore.
***
Incertitude.
Je suis ici pour vous attendre,
Ne sachant pas si vous viendrez ;
Vous savez que pour entreprendre
Il n’est pas besoin d’espérer.
Notre amour vit dans la misère,
Il est cause de vos tourments.
Je crois vos souffrances sincères
Et je vous aime éperdument.
Vous vous affirmez incomprise
Mais ne me dites plus un mot
Que vos gestes ne contredisent
Entièrement tout aussitôt.
Je vous dois beaucoup d’injustice
Que je supporte vaillamment,
Aimant jusqu’à mon sacrifice
Je vous le pardonne aisément.
***
EPILOGUE.
Mes mots, mes goûts, ce que je suis
Sont dépassés et j’en déduis
Que je dois apparaître étrange
Mais je m’en accommode et puis
Comment voulez-vous que je change ?
J’ai du descendre un jour du train,
Mon soir n’a plus de lendemain
Dont ce monde ci tienne compte,
Rien à tenter qui ne soit vain ;
Pourquoi devrais-je en avoir honte ?
Je poursuivrai comme je peux,
Comme je dois, comme je veux ;
Il me plaît d’être un phénomène
Pour moi tout seul (c’est assez peu),
Croyez-vous que cela me gêne ?
Mes mots, mes goûts, ce que je suis
Sont dépassés mais je poursuis.
***