J’ai déposé
tous mes soucis
Devant une
pile d’ouvrages
Qui
fournissent à mon esprit
Le puissant
rempart de leurs pages.
A peine fait
le premier pas,
Voici que je
passe la porte,
Et Cyrano m’ouvre
les bras.
Déjà le
second pas m’emporte
Au fond de
Brocéliande où vînt,
Antan, combattre
à la fontaine
De Barenton[1]
le preux Yvain.
Au pas
suivant je bouge à peine.
Le roi
Gradlon[2]
devant la mer
Écoute une
cloche engloutie
Et son
souvenir est amer.
Au prochain
pas je m’expatrie.
Au pied d’un
rocher sur le Rhin,
La nuit, il chante
une sorcière[3],
Qui fait se
perdre les marins.
Au cinquième,
une autre frontière.
Le doge
aveugle[4]
est devant moi
Sous les
murs de Constantinople
Chevaliers
que fait donc la croix
Sur fond d’azur,
de gueules, de sinople[5] ?
A chaque
page un nouveau pas
Sur ce long
chemin qui sinue,
Hier et
demain n’existent pas,
Je ne suis
qu’une ombre ténue.
Je vous
échange l’univers
Contre ce
royaume de lettres,
Je m’y
enfonce et je m’y perds
Aussi loin
qu’il voudra permettre.
[1] Dans le
cycle de légendes qu’on appelle « la matière de Bretagne », le chevalier
Yvain cousin du légendaire roi Arthur combat et vainc le chevalier Noir qui
garde la fontaine de Barenton dans la forêt de Brocéliande
[2] Dahut,
fille du roi Gradlon, refuse de se convertir comme lui au catholicisme. Son
paganisme causera la perte de la ville d’Ys, recouverte par les flots de la mer
et dont certains soirs on peut entendre, dit-on, sonner les cloches englouties.
[3] Il s’agit
de la Lorelei qui provoquait le naufrage des mariniers qu’elle captivait par
son chant merveilleux dans un passage dangereux de ce fleuve.
[4] Enrico
Dandolo (1107-1205), doge de Venise, à l’origine du détournement de la IVe
croisade sur Constantinople qu’elle prit et pilla.
[5] Azur,
gueules, sinople sont des termes désignant des couleurs en héraldique, il s’agit
ici, respectivement, du bleu, du rouge et du vert.