J’ai soudain
le désir, peut-être un peu gamin,
D’écrire à
mon bureau quelques vers qui me plaisent ;
Le vieux bois
patiné, lisse et doux sous ma main,
Je ne sais pourquoi,
me remplit toujours d’aise.
Je m’amuse
parfois à rêver son destin ;
Pour le
mieux contempler je recule ma chaise,
Je souris
dans le vide et demeure songeur…
Dans un
lointain château, derrière une fenêtre
Qui donne
sur un parc où déjà l’été se meurt,
Encombré de papiers
– d’un écrivain peut-être ?-
Je le
reconnais bien mais l’homme que j’y vois
Pour être
écrivain me paraît trop sévère,
Si ce n’est
son parent ce doit être Louvois
S’occupant d’un
bastion ou même d’une guerre.
La plume
grince un peu, la nuit gratte aux carreaux,
Qu’arrive-t-il
après ? Après, les choses changent.
Le tumulte
du temps emporte le bureau,
C’est, chez
un commerçant, une table où l’on range,
Où l’on mesure
aussi les pièces d’un tissus
Qu’on vend à
la vite et mesure de même,
On a fait
pour cela ces entailles dessus .
Il sert
pendant cent ans grâce à ce stratagème,
Après une
faillite et deux ou trois conflits
C’est au
troisième étage, une pièce assez sombre,
Des livres
sur un coffre et rien d’autre qu’un lit,
L’habitant
de ces lieux se confond avec l’ombre,
Assis à mon
bureau, plus voûté qu’il ne faut
Et le stylo
en main je vois qu’il y corrige
Les devoirs
d’une classe d’au moins trente étourneaux
Qui ne verra
jamais éclore de prodige.
Passe trente
ans de plus, adieu l’instituteur,
Toujours peu
fortuné, toujours célibataire
Il n’a pour
héritier bien sûr qu’un brocanteur
Qui vend à
un quidam -mais c’est un antiquaire-
Ce bureau
que j’achète à son prix de rigueur,
Un meuble
qui depuis n’a cessé de me plaire.
Souriant
dans le vide et demeuré songeur,
Après un
long moment je compose cette ode
Sans nulle
prétention, sans aucune valeur,
Ce jour à mon bureau... demain pour ma commode ?