lundi 29 décembre 2014

Deçà-Delà.






Un mot sur «Deçà-Delà ».

C’est le hasard qui nous a fait découvrir Bienfay LHOMIER, notre exemplaire de son œuvre provient d’un de ces petits édicules du « livre en liberté » où chacun peut à son gré déposer ou emporter un ou plusieurs livres de son choix.


L’auteur de ce petit ouvrage est demeuré aussi inconnu que lui et nous n’avons guère pu en savoir plus que ce que les documents administratifs les plus usuels peuvent livrer.


L’homme, Bienfay (Eustache, Léon, Marie) BERNAS, (LHOMIER est son nom de plume) est né 64, rue Saint-Lazare à Paris, 9ème, le 13 avril 1902, de


Claude, Louis, Marcel, Dieudonné BERNAS de Meaux (Seine et Marne), instituteur,


et,

Elise, Lucie, Adrienne CORBERET de Saint-Père sous Vézelay (Yonne) , montée de son Morvan natal à Paris pour y exercer le métier de nourrice dans une famille de la riche bourgeoisie, comme le firent beaucoup de jeunes femmes pauvres de cette région à la fin du XIXe siècle.



Bienfay LHOMIER, sensible aux thèses de la Seconde Internationale, adhère très tôt (18 ans) au parti socialiste français et ses choix transparaissent bien sûr à travers certains de ses textes. Il exerce le métier de son père dans plusieurs petites écoles de la capitale.


La seconde guerre mondiale l’incorpore comme fantassin dans le 120ème Régiment d’Infanterie, colonel CHRETIEN, de la 71ème  Division d’Infanterie, une division uniquement composée de réservistes et commandée par le Général BAUDET. Cette unité d’abord en réserve du front de Sedan, occupera le secteur Maugis-Mouzon juste avant la percée allemande du 10 mai. LHOMIER y trouvera la mort dans les violents combats du 13 mai 1940.


Il meurt « officiellement » célibataire. L’une ou l’autre des maîtresses que ses vers nous laissent lui supposer lui a-t-elle donné un enfant ? Impossible de le dire.


Nous n’avons pu déterminer les raisons ou influences précises qui le conduisirent à publier à l’âge de 20 ans « Deçà-Delà », son unique – à notre connaissance- recueil de poèmes. L’essentiel de l’ouvrage est composé de « Haïkou », forme poétique empruntée au Japon et qui comporte en principe 3 vers de 5, 7 et 5 syllabes. Quelques-uns des poèmes de « Deçà-Delà » adoptent la forme d’un haïkaï redoublé dont le sixième vers est cependant différent du troisième. On peut imaginer que l’habitude japonaise de réciter un haïkaï deux fois, l’une après l’autre, a donné à LHOMIER l’idée de cette création personnelle.


En toute logique on peut conjecturer que ce jeune auteur de 20 ans a préalablement dû s’essayer à d’autres formes poétiques avant que de se lancer dans « l’aventure » alors toute nouvelle du Haïkaï. Mais, là aussi, il nous est impossible de vérifier notre hypothèse.


Il nous paraît très  probable que son intérêt  pour le haïkaï dût être éveillée par la lecture des haïkou parus dans le numéro de la Nouvelle Revue Française de septembre 1920 (ouvrage à consulter sur ce point : « Travaux de Littérature » publié par l’ADIREL avec le concours du Centre National du Livre – « La Littérature française au croisement des cultures ». T.L.XXII. Colloque des 5 - 8 mars 2008 à l'Université Paris-Sorbonne-p.326. – DROZ-Genève. 2009. (Extraits sur Google Books : https://books.google.fr/books?id=XTH1tKrCd20C&pg=PA328&dq=Au+fil+de+l%27eau+Paul-Louis+Couchoud,,Andr%C3%A9+Faure,Albert+Poncin&hl=fr&sa=X&ei=6dCeVMvtDYT2UoSOgdgF&ved=0CD0Q6AEwAg#v=onepage&q=Au%20fil%20de%20l%27eau%20Paul-Louis%20Couchoud%2C%2CAndr%C3%A9%20Faure%2CAlbert%20Poncin&f=false).



Qu’en est-il de l’influence sur notre poète du peu diffusé recueil « Au fil de l’Eau » , de Paul-Louis Couchoud, André Faure et Albert Poncin, premier ouvrage de haïkou « français », paru en 1905 (consultable en partie sur Google books : https://books.google.fr/books?id=G0BYDyU0wYYC&pg=PT84&dq=Au+fil+de+l%27eau:+Les+premiers+ha%C3%AFku+fran%C3%A7ais+%281903-1922%29&hl=fr&sa=X&ei=XNCeVOf3Msn_ULSkgagL&ved=0CDAQ6AEwAA#v=onepage&q=Au%20fil%20de%20l%27eau%3A%20Les%20premiers%20ha%C3%AFku%20fran%C3%A7ais%20%281903-1922%29&f=false) ? Il est impossible de le dire.


Pour une approche de l’évolution et des possibilités de cette forme poétique, nous recommandons la lecture du remarquable ouvrage sur le poète Matsuo BASHÔ, grand maître de ce genre : » HAÏKAÏ-Matsuo BASHÔ et ses disciples, traduction française de Kuni MATSUO et Emile STEINILBER-OBERLIN, 1936  disponible en édition libre de droits. (Ebooks libres et gratuits http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits Adresse du site web du groupe : http://www.ebooksgratuits.com/).

                                                                              ***



Ci-dessous le texte le texte complet de: "Deçà-Delà":

 

 


Deçà-Delà.

Haïkou.

Bienfay LHOMIER.





  

Au Charme d’Or.
15, de la Tour des Dames. Paris. 9ème arr.
MCMXXII.




Flâneries.





                   Un if noir et droit
Contre le ciel qu’il accuse
D’un été trop froid.





Impression de nuit,
Pleine lune et quai désert,
Mon pas sonne clair.



 


Pavés écailleux
Perdus au fond d’un brouillard
Terne et merveilleux.




La Marne qui coule,
Toute en reflets de ciel gris,
Paisible sourit.

 


  
Ancienne guinguette,
Javas et valses musettes,
Aujourd’hui muette…




Clin d’œil à la Seine,
La pleine lune au pont Neuf :
Paris-mise en scène.




La Marne ou la Seine,
L’Escaut, la Meuse ou le Rhin
Qui roulent ma peine.




La nuit tout se tait
Dans la ville et le village :
Reposez en paix !

La nuit tout se tait
Dans la ville et le village :
Le passé renaît.



Les ors de l’automne
Dans le grand parc d’autrefois
Tremblent au vent froid.
Jardin du Luxembourg.







Les toits gris de plomb
Et dessus le crépuscule,
Rose et doux et long.
Paris d’autrefois I.








Claquement d’un fiacre
Qui martèle les pavés
D’un printemps rêvé.
Paris d’autrefois II.








Verrai-je la crue
Avec Saint-Lazare en l’île
Au miroir des rues.
Paris d’autrefois III. Souvenir de 1906.







Ce n’est qu’un reflet
Au bord d’un étang gelé
Un jour aigrelet.

Ce n’est qu’un reflet
Au bord d’un étang gelé
Où l’hiver se plaît.






Fine fleur de givre
Où le ciel bleu étincelle
Et ne peut survivre.




Un instant prêté
Au sourire du printemps
Mais en aparté.



Quand la lune froisse

La surface de l’étang,

Les grenouilles croassent.




Ciel gris et platanes

Dénudés sur l’avenue

Où boîte une canne ;



Ciel gris et platanes

Dénudés sur l’avenue

Où le jour se fane.





Tracasseries.






L’automne, l’ennui,
Au premier jour de l’hiver
On sait ce qui suit.

L’automne, l’ennui,
Au premier jour de l’hiver
Le gel déjà luit.




Oui, les malheureux,
L’hiver, Messieurs les nantis
Maigrissent un peu…




Quant aux grands discours
De Barrès et de Maurras,
Heureux sont les sourds…




C’est être léger
Que de croire au demi-tour
Qui peut tout changer.







Les mots, ces sottises,
Dont tous les politiciens
De tous temps nous grisent.




Ceux-là que j’enseigne
Que deviendront-ils demain ?
Des gueux qu’on dédaigne ?

Ceux-là que j’enseigne
Que deviendront-ils demain ?
Ces puissants qui règnent ?




Oui, ni Dieu, ni Maître,
N’en déplaise à tous les blancs ;
Surtout pas de Maistre !



Thiers, cruel nigaud,
On chantera la Commune
Malgré tes flingots.
A la Commune de Paris 1870.








Dimanche à la messe
Ou bien dimanche ou bistrot
Mais chacun s’empresse…



L’aube naît devant,
Le soir trépasse derrière :
L’usine, en tout temps.



C’est la liberté
Qu’on voit danser certains soirs
De peuple ameuté…




Douze heures durant
Et pour la même misère
Après comme avant.
Le Travail I.




Ce sont des usines,
Engrenages et turbines,
Et l’on n’y vit pas.
Le Travail II.




 
Un mot : prolétaire,
Partout la même « patrie » :
L’usine et la terre.
Camarades I.



Un mot : camarades
Et plus jamais, plus jamais,
Une aube maussade !
Camarades II.




Octobre de bruines,
L’ange sourit-il encore
Dessus Reims en ruines ?
Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - I.



 
L’eau des entonnoirs

Regarde au ciel de Champagne

Descendre le soir.
Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - II.





 
Tués à Craonne,

Devant Verdun, à Péronne,

Sur l’Aisne ou la Somme…
Litanies. Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - III.


  
Moignons d’existence :
Estropiés ou sans visage
Des villes de France.
Gueules cassées.







Champs hachés de pierres,
De ferrailles ou d’acier
Et de cimetières.
Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - IV.







Dans le ciel sonore
La mort boit à ma santé
Car je vis encore.
Le poilu. Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - V.








Quel sens au mot « race » ?
Est-il un sens aux charniers
Qu’il laisse pour trace ?
Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - VI.






 
Trois pierres d’église,

Une plaque d’émail bleu

Seule et désapprise…
Village Disparu. Souvenirs d’un voyage dans l’est 1921 - VII.




 

Gamineries.








 
La nuit tout à trac
Je revois danser nos jours
Tout au bord du lac.




 
Tout amour le sait :
Chaque vague chasse l’autre ;
Il meurt et renaît.





Un seul lit parfois
Mais toujours deux aventures
En ce même endroit.

Un seul lit parfois
Mais toujours deux aventures
Et la même croix.





Soupirs et caresses…
La nuit donne et la nuit prend,
L’aurore délaisse…





Pour s’aimer un quai,
Quand le printemps s’y promène,
Vaut mieux qu’un palais.








 
Pourquoi rêver tant ?
Tant vouloir si peu de choses
Et pleurer à cause ?
Des Femmes.






 

Ourlés de violine
Comme un ciel de crépuscule,
Vos yeux se devinent.




 
Frôlement, soupirs,
L’attente et la certitude,
Pointe du désir.






 
L’amour comme un fait
Et non l’espoir ou le rêve
Que l’aube défait.









Regard sans sourire
Sous la masse des cheveux ;
Un amour soucieux.
L’Etrangère I.










Un cliché hâté
Qui n’évoque pas l’amour
Mais sa nudité.

Un cliché hâté
Qui n’évoque pas l’amour
Mais le temps passé.
L’Etrangère II.







Cette nudité
Et ces yeux qui vous regardent
Pour quoi constater ?
L’Etrangère III.









Amour des moissons
Aux cheveux couleur de blé
Et taches de son…








Au goût de tes lèvres,
Du fond du ciel noir, qu’y puis-je
Si minuit s’enfièvre ?








Fin d’après-midi
Sous un soleil de décembre
Et nos reflets unis.









Pitreries.












Sans un mot serai-je
Fontaine gelée offrant
Sa vasque à la neige ?









Les jours seront gris
D’étain, d’opale ou de plomb,
Calmes tout au long.









Pourquoi ces veilles ?
Il naît ce qui ne meurt pas :
Démons et merveilles.










Tout ce que je suis
Se loge au bout d’une plume
Qui court ; le temps fuit.










La mort, changement
Ultime, une transition,
Un allègement.










Moi-même aujourd’hui
Comme devant l’étalage
D’un marchand de fruits,

Moi-même aujourd’hui
Comme devant l’étalage
De mes jours enfuis.














Un poète, moi ?
Non, un rémouleur de mots,
Un tambour : au choix.







Roses d’outremer,
Chères au cœur de Nerval,
Votre éclat se perd.

Roses d’outremer,
Chères au cœur de Nerval,
Ce siècle est de fer.








Que vaut la parole
Que l’on n’a pas mise en vers ?
Rien, elle s’envole.








Si moi je commence,
Mon père s’en va finir
De naître à l’absence.







J’enseigne des mots
Papillons, feuilles et fleurs
Et quelques couleurs.







Poète trop gourd
De style et d’inspiration,
Fais donc au plus court.





Ce lait sur le feu
Comme ta vie s’enfuit si
Tu le perds des yeux.






Auréole verte
Qui danse au fond des cafés
De « promesse » à « perte ».
L’Absinthe.







La neige en silence
Virevolte au bord des toits,
Souris et tais-toi.





Achevé d’imprimer le 13 février 1922 pour Le Charme d’Or.
Imprimerie Girardon.
2, impasse Girardon. Paris. 18ème arr.



vendredi 26 décembre 2014

Dans une autre vie, la Loire...




Encore un défaut de mémoire,
A qui pourtant je n'en veux pas,
C'était au bord du fleuve Loire;
Encore un défaut de mémoire.

Je ne parviens plus à le croire:
Ces jours ont existé là-bas;
Encore un défaut de mémoire,
A qui pourtant je n'en veux pas.

                 ***

dimanche 14 décembre 2014

Je Suis.


Je suis l'océan sans rivages
Des mots, des voix et des images
Bruissant au souffle du destin.
Je suis l'endroit jamais atteint,
Le non-pensé, l'indéchiffrable,
Je suis le rêve insurmontable
Qui visite parfois vos nuits.
Je suis l'ombre que l'ombre suit
Et la dernière quintessence.
Je suis cet imprécis immense
Que votre pas arpente en vain,
Je suis le fleuve souverain
Qui se jette en sa propre source,
Je suis le but et vous la course.
Je suis l'opposé, le contraire,
Le semblable et le similaire,
Je suis ce que vous ignorez,
Je suis le craint et l'espéré,
Je suis cette surface vide
Qu'aucun reflet jamais ne ride,
La raison d'être et le dessein
Du fou, du poète et du saint.

                ***

jeudi 11 décembre 2014

A la Mer.





D'émeraude et d'hermine,
La mer qui monte aux sables d'or
Dit l'infini qui se devine
Vierge de tout trésor.

"Merveilles éternelles",
Ces mots seraient-ils des menteurs
Comme ceux que sous les tonnelles
On dit avec ferveur ?

Le bruit des feuilles mortes
Sous les pas d'un Automne gris
Dit et redit tout ce qu'emporte
Notre coeur incompris.

Et quand vient la nuit noire,
Le silence n'explique plus
Ce que l'on est, ce qu'on peut croire
Et ce qu'on a voulu.

                ***

lundi 8 décembre 2014

Deux Haïkou.





L'Hiver est venu
Par un dimanche en décembre
Au froid du ciel nu.
                         
Mes yeux s'en avisent,
Ton cœur regarde la ville,
La ville est si grise...

                                                             ***

samedi 6 décembre 2014

Conseils à un jeune poète.



Que vous faut-il, jeune poète,
Pour composer au mieux des vers ?
Des accords et le rythme en tête,
Le calme, - allez vous mettre au vert ! -
Un gros paquet de feuilles blanches
Et cette plume au bout des doigts
Trempée dans l'encre des dimanches
Où le temps reprend tous ses droits
Car l'urgence écrit comme un manche.
Un estomac indifférent
Est un atout pour être à l'aise:
Ce qu'en ce métier les plus grands
Ont pu avaler de fadaises !
Mais de tout le plus important,
Le vrai sésame indispensable
Sans lequel vivre est peu tentant
Et composer presque impensable,
L'outil du génie exultant
Et sans lequel il est en deuil,
Veuillez me croire sur parole,
C'est avant tout un vieux fauteuil...

                  ***


SDF.








Je regarde la rue où la nuit est glaciale,
La longue nuit d'hiver...
Les heures qui s'en vont ne sont guère spéciales
Si ce n'est qu'au revers,
Un peu plus loin, certains - Vous avez dit: "Misère" ? -
Vont l'affronter sans toit.
Oui, misère en effet, des enfants et des mères,
Mal nourris dans le froid.
Mal nourris et qu'on aide et pourtant qu'on retrouve
Chaque année plus nombreux
Et qu'à les regarder, un seul regard éprouve
Toujours plus malheureux.
L'avers, c'est le sommet de notre République
Où l'on s'émeut de tout.
La compassion des mots d'un discours politique
Ne nourrit pas beaucoup...

                   ***

lundi 1 décembre 2014

Nord.




Lorsque souffle le vent du Nord
On sent l'hiver des nuits obscures
Et des aubes où le froid mord;
Lorsque souffle le vent du Nord.

Aux troncs noircis des arbres tors
Comme aux sillons vêtus de bure,
Le givre à midi brille encore,
 Lorsque souffle le vent du Nord.

Aux chemins clairs, les cités sombres
Où la bise gémit si fort
Au travers des toits sans encombre,
Lorsque souffle le vent du Nord.

L'Hiver et derrière, la Mort
Qui l'accompagne comme une ombre
Et ces deux-là toujours d'accord
Lorsque souffle le vent du Nord.

La faim, le froid, la solitude
Dardent leur regard aux abords
De nos plus vieilles habitudes,
Ce n'est sûrement pas à tort
Lorsque souffle le vent du Nord.

                   ***


mardi 25 novembre 2014

La Fileuse.




Je file au rouet de ma peine
L'écheveau des jours de chagrin;
Tourne rouet, de cette laine
Nous ferons un manteau de crin.

Aux matins froids, aux soirs d'attente,
Tisse l'écharpe des soucis
Et pour les années mécontentes,
D'un fil rêche, des gants aussi.

Tourne rouet, tourne ma haine,
Au cœur de mes hivers transis,
La neige a recouvert la plaine,
Voici que l'âge a tout saisi.

La roue se voile et le bois grince,
Depuis la quenouille au fuseau
Le fil que j'ai tissé trop mince
N'attends plus qu'un coup de ciseau.

                      ***

Dans un bistrot parisien.




C'est dans un bistrot parisien
Que j'écrivis ceci, pour rien,
Pour passer un moment pénible:
Celui-ci et celui qui vient,
Pour trouver une idée risible,
Pour chasser la nuit qui revient
Et ce vieux doute incoercible
Qui depuis tant d'années me tient.
C'est dans un bistrot parisien
Et sur l'un des coins d'une table,
Ne me sentant pas vraiment bien,
Le coeur malheureux, ô combien,
 Et l'apparence assez minable,
Que je composais cette fable.
Il est des jours quand vient la nuit
Où la mémoire insupportable,
Sans cesse et sans pitié, vous nuit,
Où vous vous sentez misérable
Ne serait-ce que d'exister,
Où la foule qui vous entoure
Vous offre l'aspect contrasté
Des joies qui chez vous n'ont plus cours...

                ***

mercredi 19 novembre 2014

A l'Inconstance.





Vous rêviez de l'Automne
                Mais lorsque l'heure sonne
On vous voit regrettant
                Le passage du temps.

Devant vos forêts teintes
                D'or, à demie éteinte
Votre joie alanguit
                Vos chants de son souci.

Encore une semaine
                Et ceux-ci vous emmènent
Jusqu'à vous attrister
                En rêvant de l'été.

Vous êtes l'inconstance,
                Moi de même et mes stances,
Si leur ton vous a plu,
                Ne visent rien de plus.

               ***

mardi 18 novembre 2014

A Paul Verlaine.





C'est un poète, ou du moins il le dit,
A la manière
De ceux qui n'iront pas en paradis.
Absinthe et bière
Et plus souvent peut-être qu'à son tour,
Souvent l'ivresse
Qui n'est chez lui peut-être qu'un détour
De sa tristesse.
Peut-être... Oui... Comment savoir cela ?
Avec ses rimes,
Ses vers moins vagues cette fois que las
Et puis les cimes
Sont si loin, maintenant, derrière lui;
Comme l'envie
De revenir quand vraiment tout l'a fui,
Même la vie.

                    ***

lundi 17 novembre 2014

Dépouillement.




Voici venir l'Hiver
Par les grands chemins clairs
Qui courent la campagne
Au bord d'un ciel désert.

Dans les bois dépouillés
Qu'aucune ombre ne gagne
Le vent est oublié,
Le silence est entier.

L'horizon est lointain
Où les plaines allongent
Leur canevas sans fin
Comme un vitrail éteint

Et l'air glacial et vif
A balayé les songes
Dans les jardins pensifs
Des midis trop tardifs.

           ***


lundi 10 novembre 2014

Oublier la nuit.





L'Hiver s'est éloigné le temps de quelques heures,
Dehors le vent tempête et la nuit nous unit.
Dans son chant douloureux, je ne sais ce qui pleure:
Quelque espoir avorté ou quelque amour puni,
Quelque rêve meurtri ou quelque douleur vide,
Fille de tant d'oubli, qu'elle en devient refrain
De couplets attristants, devenus insipides;
Mais dans cette chanson, pourtant que de chagrin...
Et nous qui savons trop comment on se sépare
Et comment on se trompe et comment on se fuit,
En écoutant levent qui dans l'ombre s'égare
Nous pouvons nous réjouir en oubliant la nuit.

                         ***

mercredi 5 novembre 2014

Rivage de Novembre.





Rivage de Novembre
Au pied d'un clocher gris,
Nos jours si mal écrits
Que la saison démembre
S'éparpillent au vent
Dans l'or de tes feuillages
Et le fleuve en rêvant
Le reflet d'un visage
L'oublie au même instant.
Il fuit comme la feuille,
Il passe tout autant,
C'est l'amour que l'on cueille,
C'est l'amour qu'on attend,
C'est aussi qu'on le veuille
Ou non, le mauvais temps
Et le froid qu'il accueille.
Quel est le souvenir
Qui ne se change en songe
A force de vieillir
Et parfois en mensonge ?
Amants, heureux amants,
Vous saurez que l'Automne,
Comme vous faites, ment
Et ne trompe personne.

          ***

lundi 27 octobre 2014

La Forêt du Rhin.





Dans la forêt, une rivière,
Une barque immobile au bord,
Le courant retient la lumière
Où la barque noire s'endort.

Un reflet d'automne qui passe,
Qui passe et fuit et ne dit rien
Aux grises branches qui l'embrassent
Dans le crépuscule qui vient.

Un calme un peu mélancolique
Envahit l'ombre des sous-bois
Où le mois d'octobre s'applique
A ne pas se montrer trop froid.

Des souvenirs s'en vont ensemble,
Vagues autant que nonchalants,
Le long de ces rives où tremble
Ce jour d'automne en s'en allant.

Et c'est un peu comme Verlaine
Et c'est un peu comme Rimbaud,
Le vague et la vie hors d'haleine,
Brèves amours des soirs si beaux

Et brèves amours de l'aurore
A qui midi manque toujours,
Qui sous les mots cherchent encore
Le sens de leurs instants trop courts.

Mais la rivière rejoint l'ombre
Comme le jour va vers la nuit,
Rentrons, ma Chère, il fait si sombre
Que marcher devient un ennui

Le long de la rive indécise
Lorsque s'estompent les couleurs
Et que le soir qui vient se grise
En vain de songes enjôleurs.

               ***

lundi 20 octobre 2014

Départ.



Le soleil m'a confié: "Je m'en irai demain,
Comme les feuilles d'or, juste avant la Toussaint,
Et les bois seront gris au désert des campagnes;
Qui craint le vent d'hiver, me suive et m'accompagne."

Et le matin m'a dit: "Je me ferai brouillard
Et givre sur les champs, je me ferai grisaille."
Et la nuit m'a confié du ton le plus gaillard:
"Je me ferai noirceur, je me ferai muraille !"

Midi m'a prévenu: " Je m'en vais pour longtemps,
La glace va figer l'étang et la rivière
Et les jours passeront sans chaleur ni lumière,
Mornes, ternes et las, Dieu seul sait juqu'à quand."

L'horizon transparent où convergent les routes
Dans cette douceur bleue et rose du couchant
M'a montré les labours qui sillonnent les champs
Et m'a dit: "Qui demeure, il sait ce qu'il en coûte..."

                           ***



vendredi 10 octobre 2014

Voix.





La nuit s'attarde en son réseau de pluie
Où les accrocs des pignons et des toits,
A l'infini, luisent d'ombre et de suie;
Le vent d'Automne hante un minuit froid.

Aux caniveaux où les heures ruissellent,
Mille reflets naviguent orphelins
D'un réverbère ou d'enseignes jumelles
Et l'averse qui court n'a pas de fin.

Que fais-je là, que fais-je à ma fenêtre
Sinon songer à d'anciennes saisons,
Sinon chercher le meilleur moyen d'être
Quand on n'a plus confiance en ses raisons ?

Parfois je crois être la feuille morte
Qui devient boue après qu'un or trompeur
L'ait désignée au grand vent qui l'emporte
Dans cette nuit sans plaisir et sans peur.

Hauts murs éteints, carrefours sans personne,
Où mènent donc les trottoirs de toujours
Dans ce désert où l'averse résonne
Sur de vieux monuments obscurs et sourds ?

Il pleut encor sous les balcons de pierre,
Le long des quais où s'étirent les ponts,
Est-ce donc vous qu'il faut que je requière,
Voix qui venez de profondeurs sans fond ?

                        ***