Soliloque.
Le temps s’enfuit, hélas, mais le désir
demeure,
On ne croit pas changer, ou bien l’on
s’en défend.
Quelque part en soi-même, un enfant
pleure,
Pour avoir au passé, comparé son
présent.
Chacun sait tout cela, qu’il est vain
de l’écrire !
Je ne vois pas pourquoi je compose
ces vers,
Ils ne m’apprennent rien ils ne
savent rien dire…
Ne me consolent pas et me coûtent fort
cher…
***
Le lai du temps qui Passe.
Le destin m’enchaîne,
Passent les semaines,
J’attends.
Leur fuite m’entraîne,
Me pousse et m’emmène
Pourtant.
L’espérance est vaine
Pourquoi tant de peines,
Oui, tant ?
C’est d’un vin de haine,
Que ma coupe est pleine :
J’entends
Quoiqu’il en advienne
Que ces mots contiennent
Le vent
Furieux qui m’amène,
Un vent qui malmène,
Violent
La plaintive antienne,
Aux notes anciennes,
DuTemps.
***
Dimanches.
Un mois s’est écoulé de dimanche à
dimanche,
Claquemuré chez moi, je n’ai rien vu
passer
Que des jours gris et durs alors que
sur les branches
Des arbres de ce parc naissaient,
entrelacés,
Le vermeil et les ors étincelants
d’automne,
Sous un soleil d’octobre aux rayons
adoucis.
Les champs sont moissonnés, la
vendange fut bonne,
Tout un mois s’est enfui mais non pas
mes soucis.
J’écris ces quelques vers, je
m’attriste et je songe
Que de ce même ennui je me suis déjà
plaint ;
Voilà sept ans passés que la peine me
ronge,
Car je vis d’amertume et mes efforts
sont vains.
Je me vois épuisé sans même que
s’approche
Le terme de l’épreuve ou l’espoir
d’un repos,
Que celui qui le veut m’en fasse le
reproche,
Je ne puis m’en cacher en écrivant
ces mots.
***
La Condition Humaine.
Le soleil est lointain
Mais moins que l’espérance.
J’ai pris un long chemin,
Une route d’errance
Qui fuit vers l’horizon,
J’y marche solitaire
Pour fuir une prison
Où tant semblent se plaire
Alors que rien n’y vaut,
N’y grandit ou perdure,
Où rien n’est sans défaut,
Sans faille, ni fêlure.
Un peu plus tôt, un peu plus tard,
Nous passons et je passe ;
Je vous offre ma part
Et que grand bien vous fasse !
***
Une soirée au loin
Et le plan d’une table
Où j’écris avec soin ;
Une soirée au loin.
Ici, je n’ai pas moins,
Fortune respectable,
Qu’une soirée au loin
Et le plan d’une table.
***
Constatation.
Comment puis-je rester ici
A rêver de ces paysages
Et triste, demeurer assis
Tout en contemplant cette page ?
Je suis bien plus las qu’indécis,
Je ne cherche point le courage,
Ni n’attends quelque instant précis,
Un sort amer m’a rendu sage.
Et quel sage n’est pas prudent
Au point de préférer l’attente
Au retour triste et mécontent
D’une heure utopique et
ardente ?
***
Pourquoi.
Je ne sais pas pourquoi j’écris,
Moi qui n’ai rien à dire
Dans un monde perdu
Où rien n’a plus de prix
Que le faux ou le pire.
Je ne sais pas pourquoi j’écris
Puisque moi seul m’entends
Et veut me plaire
En un jeu solitaire
Dont je me suis épris
Et que moi seul comprends.
Je ne sais pas pourquoi j’écris
Sans même y croire,
Mais qu’importe la gloire,
Qu’importe le mépris,
Mon verbe est éphémère,
C’est à moi qu’il doit plaire,
Cela je l’ai compris.
***
La Rue.
La rue est grise et triste
Et l’air froid du matin
Sent la fumée.
Mélancolique et matinale,
Dans la brume automnale,
Elle s’éveille enfin.
Dessous le ciel livide
Luit un jour incertain
Sur des trottoirs humides.
Dis-moi, qu’espères-tu ?
Les beaux jours sont passés,
Le rire de l’été
S’est tu.
Comment n’entends-tu pas
Les soupirs de l’automne
Fuir dans le vent glacé ?
Regrets, plaintes, remords,
Tristesse lancinante,
Espoir inachevé,
Couvrent de leurs accords
La bise gémissante,
Et tu rêves pourtant
A je ne sais quelle heure ancienne,
Souvenir où se mêlent
Au soleil de juillet
Le bonheur d’un instant
Et ce chant qui t’entraîne.
Mais un rideau de pluie
Glisse au long de la rue,
Et la ville s’ennuie
Dans ce jour qui commence,
Un jour d’automne pâle
Sous le ciel vide et sale.
***
Froid.
Froid comme le temps qui s’écoule
sans pitié,
Et froid comme la mort qui ne
pardonne pas,
Un vent de glace s’est levé ;
Il balaye la plaine,
Il gémit dans les bois
Et dans les chemins creux
Comme un souffle d’automne,
J’entends sa triste voix
Où murmure la peine
Et la ville frissonne.
***
Octobre.
Avant que de mourir,
Pourrissantes ordures
Sur un sol détrempé,
Les feuilles de l’été
Vont revêtir
Leur plus belle parure,
De sang et de dorure :
Belle munificence
Dans les brumes d’automne
Au seuil noir de l’hiver !
En les voyant je pense
Que le destin des hommes
N’est guère moins amer.
***
Soirée.
Il était un chemin,
Une route sans but,
Entre montagne et fleuve,
Il était un chemin
Mais un homme déçu.
Sur la route qu’il pleuve
Ou que le soleil brille,
L’homme a marché sans fin,
Sans fin et si longtemps
Qu’un beau soir, épuisé,
Ce pauvre homme a brisé
La dernière brindille
D’un espoir triste et vain.
Je me souviens pourtant
Que la route était belle
Entre montagne et fleuve
Quand venait le printemps,
Que de lourdes moissons
Croissaient à son côté
Au retour de l’été,
Qu’au soleil de l’automne,
La forêt flamboyait
Alentour du chemin.
Je me souviens aussi
Que la brume d’hiver
Glissait en son milieu
Entre les troncs noircis
Quand un linceul de neige
Recouvrait le pays.
Toi qui me lis,
Regarde un peu cet homme !
Veux-tu que je le nomme ?
Mon propre nom s’efface
Et mes vers sont pour toi,
Pareils à ton reflet
Dans une étrange glace.
***
Qu’est devenue ma volonté
Qui fut pourtant, jadis,
altière ?
Elle est partie de son côté ;
Qu’est devenue ma volonté ?
C’était ma seule qualité,
C’était donc aussi la première;
Qu’est devenue ma volonté
Qui fut pourtant, jadis,
altière ?
***
Vision.
Il pleut des gouttes d’or sur les
forêts d’automne
Où le pourpre et la Sienne au dernier
vent frissonnent,
Les champs sont retournés, déjà
l’herbe a pâli
Où tremblent au matin, sous un ciel
indécis,
Des éclairs de diamant, des perles de
lumière,
Sur l’émeraude vive et la ronce trop
fière ;
Octobre, Octobre hélas, aux derniers
jours heureux
Avant le froid Novembre et l’hiver
ténébreux.
***
La Vie.
La vie se retire de moi
Avec chacun des jours qui passe,
Le temps pèse de tout son poids
Sur le souvenir qui s’efface,
Le temps cruel, le temps maudit,
Le temps, sourd, aveugle, invincible
Qui nous sépare et nous bannit,
Le temps à jamais inflexible.
Pour nous rassurer, inventons
Avec le désir, l’espérance,
Tous les efforts que nous tentons
Sont pourtant de pauvres défenses
Quand s’approche l’ultime
instant ;
Et ne sentez-vous pas sans cesse,
Comme moi-même je le sens,
Chaque jour grandir ce
tourment ?
***
Songe.
C’est vrai, ce qu’expriment ces mots
N’est pas un sentiment nouveau :
Attente et regret de l’absence,
Ce sont de vieilles connaissances.
Nous nous sommes accompagnés
Depuis des temps bien éloignés,
On ne m’a pas vu m’y complaire
Car je désirais le contraire.
D’autres jours d’un même désir
Sait-on ce qu’il peut advenir ?
Dis-moi où s’arrête le songe
Et quand commence le mensonge ?
***
Prophétie.
Je m’inquiétais à tort, je vivrai
vieux,
Seuls les plus grands auteurs
moururent jeunes,
De leur talent, le destin est
envieux.
Je m’endors, je me réveille et je
déjeune,
J’écris, je lis et réfléchis bien
mieux
Depuis que j’ai compris cette coutume
Car je sais bien que je ne risque
rien,
Je suis un inconnu paré de brume,
Un versificateur liliputien,
Ainsi vivrai-je vieux, je le présume.
***
Vosges.
Sur l’horizon lointain
Des crêtes bleuissantes,
Un jour de la Toussaint,
La brume frémissante
Faisait de vains efforts
Vers les feuillages d’or
Qui couronnent ces pentes
Sombres ou flamboyantes.
Ce pâle et gris brouillard,
Maussade, enviait la part
Des hauteurs lumineuses,
Mais ses mains orgueilleuses
Tendaient aussi vers moi
La griffe de leurs doigts.
***
Rothlach. 1er Novembre.
Îles posées nonchalamment
Sur une houle de nuages,
Piquées de gemmes de feuillages
Brillant au soleil déclinant,
Les sommets ronds, les longues
crêtes,
Bleutés, s’étageaient au lointain,
Calmes comme au premier matin,
Au jour de la première fête.
Là-bas, au fond de l’horizon,
Les Alpes et leurs sommets roses,
Avant que tout ne se repose,
Dans cette brume où tout se fond,
Flambaient d’un feu doux et
tranquille
Et regardaient au fond des cieux
Se diriger vers d’autres lieux
Les derniers rayons indociles.
Heureux, j’ai contemplé cela,
Au bord du chemin, immobile,
Car ces instants là sont fragiles
Et souvent ne reviennent pas.
***
Autrefois.
S’enfuir, hélas, le temps ne s’en contente
pas,
Il faut qu’il change tout et qu’après
son passage,
Rien ne subsiste plus et pas même une image
Des instants de bonheur et des plus
doux appas.
Rien ne reste constant, rien ne dure
ici-bas,
Ni l’espoir, ni l’amour, ni ce beau
paysage,
Même le souvenir nous trahit, avec
l’âge,
Le rêve se ternit, la volonté s’en va.
Comprenant tout cela, j’ai saisi
cette plume,
Pour tenter d’arracher des voiles de
la brume,
Ce qui fut autrefois et que je garde
au cœur :
La tranquille douceur et la calme
insouciance
Des temps où le passé prédisait le
bonheur,
Et où mon existence ignorait l’impatience.
***
Le Refrain.
I.
Non, mon chagrin n’est pas calmé,
Ni mes regrets
Mes peines surannées
Et le grand vent qu’encor
J’entends souffler dehors
N’a pas su,
Pas pu
Ou pas voulu
Les disperser.
II.
Il est bien tard,
Trop, maintenant,
Pour que le souvenir se lasse
De rappeler un temps
Où le rêve trouvait sa place,
Où les jours s’écoulaient heureux,
Où l’insouciance avait sa part…
Il est trop tard,
C’est vrai,
Pour se réjouir un peu.
III.
Et l’orbe de la nuit
Qui s’étire au levant
Sombre et s’empresse et fuit
Comme pour oublier
Ce que vont murmurant
Trois pouces de papier :
Le refrain lancinant,
Insidieux et têtu,
Léger et chantonnant,
Que l’on fredonne en vain,
Sans l’entendre ou le croire,
Qui meurt et qui renaît sans
fin :
Le refrain de mémoire.
***
Cinq Heures du Soir.
Je goûte avec plaisir un soleil de
cinq heures,
Un dernier soleil d’août, calme et
tiède à souhait,
Assis sur le balcon du lieu où je
demeure
La chaleur m’envahit et ce moment me
plaît.
Les marronniers du parc à leur
feuillage vert,
Abondantes déjà, mêlent des feuilles
rousses,
Là-bas, dessus les toits, un nuage se
perd
Que quelque vent sans doute effiloche
et repousse.
Loin au dessus de moi tourne un mince
planeur
Et dans la rue tranquille où les
ombres s’allongent
Il passe, nonchalants, de rares
promeneurs
Dont la faible rumeur trouble à peine
mes songes.
***
Je corrige des vers
Dans un hôtel ;
La belle affaire !
Suis-je donc tel
Que je m’étais rêvé ?
Non ! Je me joue la comédie,
Rimes de pacotille et fantaisie,
Il n’en restera rien, rien n’en sera
sauvé ;
Ces vers sont vains,
Boiteux, étriqués, imprécis
Et il en est ainsi
Que je le crains :
Je ne suis pas un écrivain !
***
La Mouette.
Contre le ciel, là-haut, sur le
rebord d’un mur,
Il vient de se percher une mouette
blanche.
D’où viens-tu, présage sûr
De l’hiver et du froid, de quel
rafiot de planches,
Pourrissant lentement dans je ne sais
quel port,
De cette longue côte ornée d’écume
grise,
Qui vient rejoindre au ciel la
grand-plaine du Nord
En cette grève pâle où la vague se
brise ?
Eté, mon bel été, voici venir la fin,
La mouette l’a dit et son aile de
neige
Porte déjà le deuil de ton règne
défunt.
Il me semble que je frissonne. Où
donc irai-je ?
Je ne puis m’envoler pour suivre le
soleil,
Ni chercher sa chaleur près des rives
lointaines,
Ni fuir le jour glacial en un profond
sommeil,
Je ne puis que rester et supporter ma
peine.
***
A Monsieur R. R.
Comment vous-portez-vous ce jour, mon
bon vieux Maître ?
Car je vous vois si vieux… Mais vous
devez bien l’être,
A notre première rencontre – Ah, le
temps passe ! –
Vous professiez encore et moi
j’allais en classe.
Ces jours se sont enfuis, vous êtes
toujours là,
Disciple d’Epicure et de Catilina.
Vous aviez de l’esprit et tellement de verve…
Sont-ce ces qualités, pourtant, qui vous conservent,
Ou bien, on me l’a dit, la science de
l’amour
Dont les belles chez vous ont tant
suivi les cours ?
***
Avertissement.
Le calme, le silence et la
tranquillité
Sont mes plus grands besoins et l’ont
toujours été.
Lorsque j’en suis privé je ne vis
qu’à grand peine,
Et le monde alentour m’inspire de la
haine,
Je sens que rien ne peut trouver
grâce à mes yeux.
Femme, parents, amis, également
odieux
S’ils troublent mon repos, m’ennuient
et m’importunent,
Au point de mériter malheurs et
infortunes:
Je vous en avertis, laissez-moi sans
retard
Pour mon plus grand bonheur méditer à
l’écart.
***
Chagrin.
Ce n’est vraiment que lorsqu’advient
ce triste jour,
Où tant vos illusions que vos rêves
s’envolent
Et qu’on laisse à jamais le
merveilleux séjour
De l’enfance insouciante, aimable et
parfois folle,
Qu’on voit, de ce moment, le monde
comme il est,
Qu’on le comprend enfin et, triste,
qu’on frissonne
Tant il vous paraît sombre,
insupportable et laid.
C’est hélas aujourd’hui, pour moi,
que l’heure sonne,
J’avais précieusement conservé en mon
cœur,
Diaphane et merveilleuse, une seule
chimère,
Celle d’une famille au paisible
bonheur,
Je m’en défais ce jour et ma gorge se
serre
Dans le vent soudain froid et la
morne clarté
Qui filtre lentement de cette aube
naissante,
Comme grandit en moi l’amère vérité,
L’extrême solitude et la peine
écrasante.
***
Destin.
Malheureux, tu veux rêver ? Tu
es mortel !
Le temps à jamais te borne et te
limite !
Nier ? T’évader ? Tu ne
peux rien de tel.
Veux-tu donc savoir ce à quoi je
t’invite ?
A réfléchir. Regarde derrière toi,
Que cette vision à vivre mieux
t’incite,
La mort demeurera à jamais ta loi,
Ton destin t’appelle à transcender ce
monde,
Cesse d’être un serf et tente d’être un
roi.
Qu’à ta mort ton esprit à ton corps réponde :
« Tu nourris le sol, mais moi
seul le féconde,
Mon œuvre est là, tout le reste a mon
mépris.
Je donne, mortel, bien plus qu’on ne
m’a pris
Et ces jours ne sont rien dont rien
ne demeure
Que dessus la route un simple
brouillard gris,
Qu’un soleil nouveau, à l’instant
qu’il l’effleure,
Anéantit en faisant étinceler
Dessus chaque tige une larme qu’il
pleure. »
Garde ces mots, tu devras t’en
rappeler
Quand reviendront les sombres jours
d’infortune
Pour qu’au malheur l’espoir vienne se
mêler.
Pour le présent, ce soir, admire la lune,
En dissimulant tous ces vers non
éclos
Dont la rumeur, en sourdine,
t’importune.
Des rêves agités troublent ton repos,
Êtres impatients qui voudraient bien
naître
Pour s’élancer au devant de leurs
échos…
Qu’ils soient patients, tu en
deviendras le maître !
***
Question posée par un Etranger.
Que de colifichets et que de faux
semblants,
Que de désirs mesquins, que d’efforts
inutiles,
Que de goûts écœurants, que d’avis
imbéciles,
Quelle raison perverse et quel esprit
méchant.
Que de malice aussi, que de fourbes
contents,
Que de fous, que de sots, que de
belles futiles,
Que de jeunes crétins, que de
vieillards séniles,
Que d’escrocs empressés, que de beaux
sacripants.
Que d’avides voleurs, que de franches
canailles,
Que de héros pour rire et que de
valetaille,
Que d’hypocrites gens, que de faux
bienfaiteurs,
Que de médiocrité, que de bassesse
immonde,
Que de maux sans espoir, que de
profonds malheurs,
Dis-moi, comment fais-tu pour habiter
ce monde ?
***
Des Vers.
Ne sachant plus que faire et le cœur
désolé,
En ma main, malgré tout, je prends la
lyre ancienne,
Tachant de consoler au son de cette
antienne
Mon esprit dont l’espoir ne s’est pas
envolé.
Loué soit le dieu Pan dont les temps
ont scellé
Les rythmes étonnants aux rives
ioniennes ;
En entendant l’écho, j’ai voulu faire
miennes
Les règles de cet art que sa fuite a
celé.
A la source qui naît des monts de
Béotie
J’ai sans mesure bu car cette onde
initie
Aux mystères d’un art que l’on tient
pour divin.
Et trébuchant souvent, j’ai suivi
cette voie,
Un chemin difficile et proche du
ravin,
Où moi-même à boiter j’éprouve de la
joie.
***
En Attendant l’Heure de Rentrer.
Le temps pour une fois, s’enfuit avec
lenteur,
Il hésite et s’arrête et s’étire et
paresse,
Je l’observe, furieux, en simple
spectateur
Qui ne peut qu’espérer que son
attente cesse.
Je veux rentrer chez moi pour prendre
mon repas,
Oublier mon labeur, m’installer à mon
aise,
Le temps s’en moque bien, il ne
m’écoute pas
Et voilà qu’à présent il s’endort sur
sa chaise.
***
Maxime.
Il ne faut pas, à mon avis,
S’écarter de ses habitudes.
Et si je vous semble un peu prude,
Comprenez pourquoi je le dis :
Mon vers semble une vieille chose,
Mais quelquefois je le fais bien,
Il vaut souvent mieux que ma prose
Qui certaines fois ne vaut rien.
***
Lamento (antépénultième).
Les jours s’écoulent un à un,
J’attends, mais en vain, rien ne
change
Et la même angoisse m’étreint
Et la même douleur étrange
Naît au fond du même chagrin.
Que sont l’effort et l’espérance
Quand ils ne vous servent de
rien ?
Rêver ? Une piètre défense,
Quand dure encore et se maintient
La même invincible malchance.
***
Réflexion.
Il est des mots qui coûtent cher aux
hommes,
Des mots auxquels plus d’un ne
comprend rien :
Droit et devoir, liberté, citoyen…
Nous les faisons souvent ce que nous
sommes,
Il se pourrait qu’ils nous le rendent
bien.
***
Prémonition.
Lorsqu’au fond de la nuit naîtra
demain,
Il me faudra reprendre le chemin
Des jours gris et des heures
casanières,
Des regrets et des peines familières.
Que ferai-je dès lors de ce talent
Que j’avais de rimer souvent ?
Si faute de servir, l’esprit se fane,
Je ne vaudrai pas mieux bientôt qu’un
âne.
Ecrire et lire étaient mon seul
soutien,
Sans doute, il n’en restera rien,
Et c’est pour moi, en plus de ma
tristesse,
Une douleur qui me brûle sans cesse.
***
La Pluie.
L’été succombe
Où la pluie tombe,
Si doucement,
Si lentement,
Sans s’arrêter,
Sans se hâter,
Froide, insistante
Et pénétrante.
Elle ruisselle
Et me harcèle,
Sans se lasser,
Et sans passer,
Si tristement,
Si longuement…
L’été succombe
Où la pluie tombe.
***
Rêve.
Plus loin porte ma réflexion,
Plus je m’égare,
Plus le chemin se perd
Au tréfonds du brouillard,
Plus grande est l’illusion
Aux lendemains amers,
Plus lointaine l’aurore,
Et ses calmes splendeurs,
Plus avide ma peur,
Plus incertain mon sort.
Je regarde alentour, au loin…
Quel est ce paysage
Que je connais et ne reconnais
point ?
Etrange image
Que seul mon souffle anime
Au fond de mon esprit
Pour un cœur anonyme
Qui ne l’a pas compris.
***
Adieu.
Je n’irai pas plus loin,
Je ne le veux ni ne le peux.
Je m’en vais, je renonce.
Au matin meurt le feu
Dont on n’a pas pris soin.
Le jardin de mes rêves
Est envahi de ronces
Et le soleil se lève
Sur un autre chemin.
***
Solitude.
J’attends, impatient, ton retour,
Solitude, ma vieille amie
Que je chantais en d’autres
jours ;
J’attends, impatient ton retour.
Eternel et puissant recours
A tant d’orages de la vie,
J’attends, impatient, ton retour,
Solitude, ma vieille amie.
***
Juge.
Juge qui te crois-tu
Dont je lis les critiques ?
Je sais t’avoir déplu,
Juge qui donc es-tu ?
Tu m’as à peine lu
Que te voilà caustique
Mais des vers que sais-tu,
Censeur au goût rustique ?
Te taire eût mieux valu
Que d’être sardonique
Sur ce que j’ai conçu
Comme sur ma technique.
Reçois ici ton dû,
Tes avis sont iniques
Et m’en étant ému,
Je t’offre cette pique :
Juge qui te crois-tu
Dont je lis les critiques ?
***
Lignes de bric et de broc
Pour dire les mauvais jours,
Bric à brac toujours baroque
Dont se moquent les balourds,
J’écris les heures de l’ombre,
Ténèbres au seuil pierreux
De ces routes les plus sombres
Où l’on doit marcher sans feu.
D’arêtes et de rocailles,
D’ornières au fond boueux,
Qui traça vaille que vaille
Ces chemins dont nul ne veut ?
***
Aux Muses.
Il faut que les Muses renaissent
Qui faisaient retentir les bois
Antiques de leur allégresse ;
Il faut que les Muses renaissent.
Leur trop long silence nous blesse
Et que peut cette unique voix ?
Il faut que les Muses renaissent
Qui faisaient retentir les bois.
***
Le Flot.
Sombre, jour après jour,
Le flot monte sans cesse,
Sans cesse et sans détour,
Sombre, jour après jour.
Et j’entends ce bruit sourd
Qui s’enfle de tristesse ;
Sombre, jour après jour,
Le flot monte sans cesse.
***
A qui veut bien le lire.
Tristesse d'un monde sans
Dieu
Où seule règne la matière,
D'une terre privée des
cieux
Et de jours privés de
lumière.
La raison mesure de tout
Est veuve de toute
espérance
Et nous rapetissons
beaucoup
De n'être qu'une
intelligence.
Qui justifiera la beauté
Par un raisonnement logique
?
Chacun choisira son côté:
La rose ou les
mathématiques...
Ce que je fais est sans
valeur,
Je n'ai ni force, ni durée,
Si je n'adorais le Seigneur
Ma mort serait désespérée.
***
Triolet Triste.
Comme le ciel est gris,
Comme les jours sont mornes,
Le temps m’aura tout pris ;
Comme le ciel est gris.
L’espoir n’a pas de prix
Et le rêve est sans bornes,
Comme le ciel est gris,
Comme les jours sont mornes.
***
A Mlle. ***
J’admire vos beaux yeux,
Vos traits, tout de finesse
Et votre gentillesse
Et ce don merveilleux
D’un moment de jeunesse
Quand aujourd’hui, soucieux,
Je n’espérais, au mieux,
Qu’un peu moins de tristesse !
***
La Chandelle.
Tout au bout de la nuit,
Brille votre chandelle,
C’est elle que je suis,
Tout au bout de la nuit.
L’aurore sans un bruit
Semble glisser vers elle.
Tout au bout de la nuit,
Brille votre chandelle.
***
De brumes en brouillards,
De frimas en froidures,
L’hiver prendra sa part,
De brumes en brouillards.
Ni salut, ni remparts,
L’hiver, hélas, s’endure
De brumes en brouillards,
De frimas en froidures.
***
Nuages blancs, nuages gris
Dans un ciel que le vent tourmente,
C’est ainsi que
« Printemps » s’écrit,
Nuages blancs, nuages gris.
En mars ainsi que je l’appris,
Il grêle, il pleut, je m’en
contente ;
Nuages blancs, nuages gris
Dans un ciel que le vent tourmente.
***
Pourquoi ne pas aller marcher
Dans ce printemps qui m’encourage
D’un peu de soleil au passage ?
Ne puis-je pas me détacher
Pour quelques instants de ces pages
Et m’en aller, le nez au vent,
Comme je l’ai fait si souvent,
Jeter un œil aux étalages ?
Pourquoi me voit-on hésiter,
Mettre puis enlever ma veste
Avant de la ranger d’un geste ?
C’est qu’au fond de moi l’anxiété
Grandit tant qu’enfin je l’écoute
Et que je renonce à sortir ;
Je voudrais bien m’en repentir :
La crainte me barre la route.
***
Cette impasse des jours, le manque de
moyens,
Les soucis répétés, sans fin
l’incertitude,
L’espoir toujours déçu, ce passé qui
revient
Moquer de ses reflets votre décrépitude
Et qu’il faut ajouter au froid dans
la maison,
Aux silences du temps, aux grises
solitudes,
A l’amour délaissé, l’ultime trahison
Et à l’humiliation d’un corps de
servitude
Quand il était jadis l’accès de vos
plaisirs,
Enfin l’obscurité, mépris de la
mémoire
Qui vous fait si petit, impuissant à
saisir
Dans la marche du monde, un peu de
son histoire,
Toute la volonté pour servir à si
peu,
La privation, l’effort restés sans
récompense…
Chacun devrait saisir ou du moins
chacun peut,
Pourquoi si tristement je compose et
je pense.
***
Rigoureux Hiver.
Toits gris, ciel sans clarté,
Un froid de linge humide,
Des arbres étêtés,
Difformes, des rues vides,
De hauts murs sans couleurs
Et cette lassitude
D’un hiver de rigueur
Plus long que d’habitude…
Il faut marcher pourtant,
Oublier la fatigue,
Oublier cet instant
Et tout ce qui se ligue
De noir et d’obsédant
Et de haine et d’envie,
De glacial, de mordant,
D’ombre contre la vie.
***
Victoire.
Je ne connais qu’une seule victoire,
C’est, envers et contre tout,
d’exister,
Qu’importe donc ces vers ou mon
histoire,
Je ne connais qu’une seule victoire.
Je ne peux plus rêver de quelque
gloire,
Mais le regret comment donc comment
l’éviter ?
Je ne connais qu’une seule victoire,
C’est, envers et contre tout,
d’exister.
***
Le Tilleul.
Le tilleul embaume la nuit,
Je regarde les hirondelles,
De la rue monte moins de bruit ;
Le tilleul embaume la nuit.
Une première étoile a lui,
Le cœur en paix je me rappelle…
Le tilleul embaumait la nuit,
Je regardais les hirondelles.
***
L’Orage.
La foudre a lui,
L’orage gronde dans la nuit,
Il roule sur les toits humides.
Dans les rues vides
Qui brillent doucement,
L’ondée murmure
Tranquillement
Une complainte qui rassure.
***
Le Soir.
Quand arrive le soir
Je n’ai plus de courage,
Lassé, je vais m’asseoir
Quand arrive le soir.
Et malgré mon vouloir
Je m’endors sur ma page,
Quand arrive le soir
Je n’ai plus de courage.
***
Divin Asclépios, vieux brigand,
Je te le dis et sans prendre de
gants,
Tu t’es moqué de moi. Ma vie est terne
Et sans moyens. En ce qui me concerne
J’eusse beaucoup mieux fait d’aller
ailleurs
Porter ma dévotion et mon labeur.
J’ai gâché mes efforts, mon temps, ma
vie
Pour presque rien. Je n’ai pas trop
envie
De poursuivre cela et crois le temps
Venu de vivre mieux en charlatan
Car le rigoureux exercice
De ton art est, tu le vois bien
En m’observant, fort peu propice
A toute augmentation des biens.
***
Un jour qui passe,
Semblable, amer et doux,
A tout ce qui s’efface,
Hélas, ce monde est fou.
Il résonne de cris,
De pleurs et de stridences
Et son rire s’inscrit,
Pour moi, dans la démence.
Quand sans laisser de trace
J’aurai quitté le tout,
Ces stances à ma place
Ne vaudront pas beaucoup.
***
Remède.
Comment guérir de sa tristesse ?
Parfois un bon repas suffit,
Je ne parle pas de l’ivresse ;
Comment guérir de sa tristesse ?
Aujourd’hui, celle qui m’oppresse
Peut répondre au même défi :
Comment guérir de sa tristesse ?
Parfois un bon repas suffit.
***
Ripailles.
Ayant bien bu et bien mangé
Nous revoici d’humeur joyeuse,
Le nez au vent, le cœur léger;
Ayant bien bu et bien mangé.
Le souci s’est fait étranger
Au long de minutes rieuses ;
Ayant bien bu et bien mangé
Nous revoici d’humeur joyeuse.
***
Guérison.
Ainsi, le cœur léger,
Ai-je soigné ma peine
Mais beaucoup trop mangé,
Ainsi, le cœur léger.
Après et pour changer
J’ai dormi deux nuits pleines ;
Ainsi, le cœur léger,
Ai-je soigné ma peine.
***
Voyage de Nuit.
La route obscure accourt
Dans le pinceau des phares ;
De courbes en détours,
La route obscure accourt.
Sous les feuillages lourds
Où sa fuite s’égare,
La route obscure accourt
Dans le pinceau des phares.
***
Fête de la Musique.
Mille notes montent dans l’air,
Solennelles ou syncopées
Dont l’écho dans la nuit se perd,
Mille notes montent dans l’air.
Mille instruments qui sonnent clair,
Complaintes, chants et mélopées,
Mille notes montent dans l’air,
Solennelles ou syncopées.
***
Eté qui t’en va commençant,
Je te trouve humide parure,
Jour après jour, c’est bien lassant,
Mais voilà, tu n’en as pas cure.
Allons, il faut songer à ton devoir
Et nous offrir d’autres journées
Car si tu ne fais que pleuvoir
Ma plume se taira peinée.
Je cesserai bientôt de rire
Et je cesserai de chanter
En concluant, mais j’en
soupire :
Hélas, il n’y a plus d’été.
***
Plus un seul bruit, le vent s’est tu
Et la nuit recouvre le monde,
Je me juge et je suis déçu ;
Plus un seul bruit, le vent s’est tu.
Prévoir, agir, je ne l’ai pu
Et mes torts soudain me
confondent ;
Plus un seul bruit, le vent s’est tu
Et la nuit recouvre le monde.
***
Aujourd’hui, voilà le seul
critère :
Vous valez ce que vous rapportez,
L’on vous garde ou l’on vous enterre
En fonction de votre utilité.
Surveillez cependant vos manières,
Respectez les moindres lieux communs,
A défaut, pas d’espoir de
carrière ;
Vivre, être à la mode, c’est tout un !
Soyez bête et soyez paresseux,
Soyez veule et soyez hypocrite,
Vous irez, en indisposant peu,
Au plus haut sans le moindre mérite.
Vos discours pleins d’opinions
banales
Seront loués. Vous ne ferez pas peur,
Vous serez « normaux » ou
« normales »,
Ces jours ci c’est un atout majeur…
***
J’ignore encore où je m’en vais,
Portant sur le dos mon histoire
Dont je trouve qu’elle revêt
Plus de haillons que d’hermine ou de
gloire.
Et quant au sens de tout cela,
Je cherche encore à le comprendre.
De ce que hier me révéla
Je ne retrouve qu’un goût de cendre.
Je m’en vais achever, idiot,
Ce long et pénible périple
Et terminer sans grand brio
Une carrière sombre et sans
disciples.
***
Puisque les jours aux jours
s’enchaînent,
Demain est lourd de son passé.
La joie d’aimer est souveraine
Puisque les jours aux jours
s’enchaînent.
Il suffit que hier vous entraîne
Pour qu’aimer ne soit plus assez,
Puisque les jours aux jours
s’enchaînent,
Demain est lourd de son passé.
***
Au mois d’avril, un beau matin,
Le soleil emplit le jardin
D’une discrète rêverie
Et les tulipes sont fleuries.
Comme les rosiers ont grandi
Don chaque bourgeon m’a prédit
L’éclat et le parfum qui tiennent
Au cœur d’une rose à l’ancienne.
Au bord de l’allée, empressés,
Les bulbes d’iris ont poussé,
Les pêchers m’ont fait la promesse
D’un très long été de largesse.
Je goûte mon oisiveté,
Mon rêve heureux, ma liberté,
L’heure à venir est bienveillante
Et ma maison est accueillante.
Mais ce qui devait demeurer
Autant que moi n’a pas duré
Plus qu’une saison de jeunesse ;
Il a bien fallu que j’acquiesce.
Plus de rosiers en cet endroit
Qui n’est plus celui d’autrefois,
Les jours enfuis le défigurent,
La porte a changé de serrure.
Où sont les miens ? Ils ont été.
Plus de printemps et plus d’été,
Pas plus que d’hiver en
famille ;
Le deuil, cet automne, m’habille.
La jeunesse était ma maison,
Ma certitude et ma raison,
Mon beau jardin, d’autres le
tiennent,
Seules mes strophes y reviennent.
***