mercredi 16 février 2011

Utopies et Chansons. Folio 5. Utopies.


Les Deux.


L’une des deux m’est bien connue
Et j’ai beaucoup écrit sur elle
Quant à l’autre, quoique nouvelle,
Elle n’est pas la bienvenue.

Elles se valent toutes deux
Et ce ne sont pas des amies ;
Je vis avec come je peux
Des heures longues et subies.

Je les connais sans le vouloir,
Chacune d’entre elles s’installe
A sa guise et voudrait pouvoir
Obtenir plus que sa rivale.

Faisons sortir le loup du bois :
L’une se nomme « Solitude »
Et l’autre « Fatigue » et ma foi
L’une et l’autre sont aussi rudes.

La première a gâché mes nuits
Et la seconde mes journées,
Par leur faute toute paix fuit
Et toute harmonie est ruinée.

Comment chasser hors de chez moi
Ces deux souillons, ces deux harpies,
Empoisonneuses sans émoi
Des moindres moments de me vie ?

Quant à les noyer dans le vin
Il y faudrait plus grand qu’un foudre,
Les jeter au vent du Destin :
Qui saurait les réduire en poudre ?

             ***

Jamais siècle ne vit un tel torrent de mots
Ecrits ou prononcés par tant et tant de sots,
Sots au nombre desquels, c’est certain, je me compte
Et de l’admettre ici, je n’en ai pas moins honte.
Des mots remplis d’orgueil et de fatuité,
Des mots plein d’ignorance et d’agressivité,
Des mots fourbes, clinquants, coléreux et sordides,
Des mots de convention et surtout des mots vides.
Que lèguerons-nous donc, tous les autres et moi,
A nos pauvres enfants ? Quelques vagues émois
Cultivés à plaisir et des forfanteries,
Beaucoup de lieux communs et de coquetteries
Et mille brimborions que nous disions sérieux ;
J’espère qu’en leur temps ils sauront faire mieux !

                         ***

J’ai voulu vivre et penser librement,
Nul n’aura pu régenter ma conscience,
Hors moi, ni m’imposer son jugement ;
J’ai voulu vivre et penser librement.

A qui fait autrement, je dis : « bon vent »
Sans proposer une nouvelle audience ;
J’ai voulu vivre et penser librement,
Nul n’aura pu régenter ma conscience.

                 ***

Je voudrais bien parler un peu,
De mes livres, de mes amours,
De la fuite des jours
Et des souvenirs de mes jeux.
Je voudrais parler de ma vie
De mes espoirs
Et de mes utopies
Surtout à cette heure du soir
Où l’on allume les lumières,
Où l’on se prépare à la nuit
Où l’on retrouve d’ordinaire
Les siens, mais moi j’en suis réduit
A l’écrire sur une page,
Faute de mieux
Et faute d’entourage :
C’est ainsi que l’on devient vieux.

              ***

Je repars le sac sur le dos
Pour aller gagner ma pitance
Mais c’est en rêvant de repos
Que je traverse ainsi la France
Et c’est en maugréant aussi :
Combien d’autres vivent tranquilles,
Combien d’autres sont sans soucis
Quand je vaque aux tâches serviles
Qui viennent assurer mon sort ?
Mais pour d’autres la vie est pire
Et vous me dites que j’ai tort ?!
Taisez-vous ou laissez-moi rire !
On se compare à ceux qu’on vaut,
On ne juge la réussite
Que de ceux qui vous sont égaux
Et qui n’ont pas plus de mérite !
On se rebelle avec raison
Contre cet injuste partage
Qui donne aux uns une prison,
Aux autres tous les avantages !

              ***

Grisaille du temps et de l’esprit
Comme il est séant aux mois d’automne
Que le froid trop précoce assaisonne ;
C’est le contraire qui m’eût surpris.

Pour demain, premier du mois d’octobre,
C’est vrai, l’Hiver revient d’un pas lent,
Pour le six : c’est un enterrement
Qu’il faut rappeler par des mots sobres.

La tristesse est un pêché tentant,
Il s’en faut de beaucoup qu’il nourrisse ;
Je le laisse, il fut longtemps le vice
Que je cultivais en plaisantant.

Je n’ai plus les moyens qu’il me coûte.
L’Hiver sera quiet, indifférent :
J’espérais mais aujourd’hui j’apprends,
Je savais hier, aujourd’hui je doute.

                 ***

Faiseur de strophes et de vers
Peux-tu me dire à quoi tu sers ?
De tous ces mots de toutes sortes,
De ces chansons que tu m’apportes,
Dis-moi ce que je puis tirer ?
Je t’y vois rire ou soupirer
Mais qu’ai-je à faire de tes peines,
De tes plaisirs ou de tes gênes ?
Je dois vivre et le monde est dur,
Il faut manger et puis, c’est sûr,
Mes propres soucis me tourmentent ;
Ce n’est pas l’art qui me contente,
C’est ma compagne et nos enfants,
Ce sont mes loisirs et l’argent,
Le vin parfois, la bonne chère
Et non la rime qui t’est chère.

              ***

J’ai rêvé à bâtons rompus
D’un beau jour d’éternel printemps,
L’aube sans doute m’a déçu
Et la journée pareillement.

De froide averse en ciel trop gris,
De trottoirs à perte de vue,
En malheureux. De malappris,
En malvenus
Et de bureaux en avenues,
D’embouteillages,
En temps perdu,
Mon rêve et ses belles images
Et tout ce que j’avais conçu
Ont fait naufrage.

Mais quoiqu’il en aille autrement,
Je ne me tiens pas pour battu,
Ainsi ce soir en m’endormant,
Sans crainte du moindre imprévu,
Le monde sera comme avant.

            ***

Mon bonheur se nourrit de soleil et d’espace,
De silence et de paix, d’histoire et de beauté
Bien au-delà des mots ; il n’y est point de place
Pour la vaine amertume ou la rigidité,
L’étroitesse d’esprit, l’inutile colère,
Pour la fausse piété ni pour l’humiliation.
Mon bonheur se nourrit d’espoir et de lumière
Comme de connaissance et puis de réflexion…
Mon bonheur s’est nourri et se nourrit de livres,
De toutes formes d’art et du verbe harmonieux
Des poètes aimés dont les vers me délivrent
Du poids de mes chagrins jusqu’à m’ouvrir les cieux.
Ma prière est de Foi, mon amour est tendresse,
A ma propre mesure et si c’est là trop peu,
Du moins n’ai-je pas fait d’étonnantes promesses,
Ni joué de ces jeux dont l’honneur est douteux.

                       ***


Une pénombre douce
Où l’automne sourit,
Le long d’un trottoir gris
Jonché de feuilles rousses,
Un vague promeneur
Dont le pas déambule,
Tranquillement flâneur,
Au bout du crépuscule.
Chaque rue a changé
Et ce n’est plus la ville
Qu’elle offre à partager
Mais un rêve tranquille
D’ombres et de clartés,
Un beau jour qui se fane
Au refrain murmuré
De quelque vieux platane
Tout de nuit décoré.

        ***

Avec quels mots, dans quel langage
Rendre tout ce que je ressens
De la beauté d’un paysage
A l’heure où le soleil descend
A travers l’ombre des feuillages
De roux et d’ors incandescents ?
Que puis-je écrire sur ma page
Pour dire cet apaisement
D’un instant où l’on envisage
Le monde aussi tranquillement ?
Alors la vie est ce voyage
Heureux, mélancolique et lent
Où les tristesses de passage
Ne vous causent plus de tourments,
Un flot que de calmes rivages
Voient s’écouler paisiblement.

             ***

Sonnet du Départ.

Je repars à nouveau sur des chemins de pierre
Où le pas sonne haut dans le désert du monde,
La nuit est sans façon, la lune est rubiconde ;
Je m’en vais retrouver des routes familières.

Car de mots sourcilleux en phrases casanières,
L’existence manquait quelque peu de faconde,
Il fallait qu’un effort à tant d’ennui réponde ;
Il était plus que temps de passer la barrière.

L’humour a son gardien que l’on nomme raison,
Les censeurs, quelqu’ils soient, ignorent l’horizon,
Je n’avais qu’un désir : retrouver le hasard,

Retrouver le sourire et les goûts ingénus
Des surprises sans fin où le cœur a sa part ;
Je reprends le chemin autrefois reconnu.

                   ***

La neige se précipite dans la nuit
En lourds flocons que le vent hâte et poursuit
Entre les ombres froides au bord des rues.
Dans la nuit d’hiver une ville inconnue
S’endort au fond d’un silence chatoyant
Dessous un manteau de cristal ondoyant
Tout pailleté d’or au pied des réverbères.
Dans ce monde ouaté d’heures éphémères
Des traces de pas qui ne vont nulle part
Donnent tout le sens de la vie et de l’art.
Sous un ciel noir d’une profondeur immense,
Quelle preuve garde-t-on d’une existence
Qui sans cesse se rêve autant qu’elle se ment ?
Il neige toujours, il neige obstinément.
Le vent danse, le vent fait des glissades,
De toit en toit, de balcons en façades,
Un vent glacial et qui rit largement ;
Il neige toujours, il neige obstinément.

                 ***

J’aimerais faire une visite
Au bord brumeux de l’océan
Où la vague et le vent s’irritent
Sans fin de battre le néant.

Un petit tour sur ces falaises
Où tant de nuages s’en vont,
Où les grains défilent à l’aise
Du plus lointain de l’horizon.

Par un jour de perle et d’opale,
Dans la douceur d’un faux printemps,
Sur la grève semée d’or pâle,
Une promenade à pas lents.

Une balade sans paroles
Afin de goûter le présent
Et si quelque ombre s’en désole,
Ce n'est pas celle que j’attends.

         ***

Deux Figurines.

C’est un marquis d’Ancien Régime
Qui, la fleur à la main, sourit,
A quelque dame qu’il estime
Ou bien dont son cœur est épris.

Dans leurs sourires délicats,
D’une grâce un peu désuète,
Semblent passer tous les appâts
Des Parcs où s’abritaient leurs fêtes.

Tous deux ont l’élégance ancienne
D’un monde trop civilisé
Qui s’amusait quoiqu’il advienne
Et dont les jours étaient aisés.

A deux figurines en bois
Je dois quelques mots de tristesse
Et l’évocation d’autrefois ;
Adieu marquis, adieu comtesse.

              ***

A La Loire.

Au plus profond de cette nuit
Pourquoi faut-il que le vent pleure
Qui vient de la mer et s’enfuit
Vers le pays où je demeure ?

Chaque rafale qui gémit
Plaint sûrement quelque tristesse
Qu’elle n’exprime qu’à demi
Et qui passe et renaît sans cesse.

Et chaque fois que je l’entends
Qui s’en vient battre ma fenêtre
Il me semble que je comprends
Ce que cette plainte peut-être.

Il est certain que je m’en vais
Moi qui devrais être si proche
Et que la Loire qui le sait,
A sa façon, me le reproche.

Que d’eaux ont passé sous les ponts
Que nous avons connus ensemble,
L’averse et le vent pour chanson,
Je quitte ce qui me ressemble.

               ***

Dans ma chanson le rythme est lent
Parce que la nuit est tombée
Et qu’il faut aller doucement
Voire même à la dérobée.

Il doit être près de minuit
Et c’est l’heure où les mots chuchotent,
Le jour est loin, un autre suit,
Et de vieux souvenirs chevrotent,

Mélanges d’hier et d’aujourd’hui
Qui s’en viennent passer le seuil
De ma chambre au fond de la nuit,
Certains joyeux, certains en deuil.

Ligne à ligne, en chaque couplet
Les banalités qui s’égrènent
Tissent ma vie au grand complet
Sans m’apprendre où demain m’emmène.

                   ***

Un poète ignoré en somme
Et sa chanson autant que lui
Comme une ombre au milieu des hommes
Qui devait exister sans bruit.

C’est la chanson de ce poète
Qu’aucun autre n’a entendu,
Dans un bar ou dans une fête,
Qu’aucun théâtre n’a connu.

C’est la chanson inentendue,
Qui passe aux quatre coins des jours
D’une existence inaperçue
Et c’est une chanson d’amour.

D’un amour profond pour quelqu’une
Dont vous ne saurez pas le nom,
Ce serait chose inopportune
Pense l’auteur, non sans raison.

                 ***

Je suis ce que je suis : un baladin charmant,
Un raseur ennuyeux, un espiègle, un faquin,
Un souffle de sottise, un fantôme attachant,
L’épine d’un rosier, trois planches d’un sapin,
Un sillon dans le champ, au chemin une ornière,
Et l’on peut se vanter de pareille carrière.

                 ***

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