lundi 7 février 2011

Utopies et Chansons. Folio 4. D'habitudes.



Cauchemar.


Le paysage disparaît
Et voici le moment critique
Où le rêve que je faisais
Devient abscons autant qu’unique.
Suis-je encore hier ou bien demain ?
Que veulent dire ces images
Que je déteste et que je crains
Au point de m’éveiller en nage,
Le cœur étreint par une peur
Dont je ne sais pas l’origine,
L’esprit empli d’une rumeur
Ample, confuse et vipérine ?

***

Dans la cour était un lilas,
Au temps joyeux de mon enfance,
Je ne sais qui me le vola ;
Dans la cour était un lilas.

La joie et l’enfant sont bien las,
La fleur n’est plus que souvenance,
Dans la cour était un lilas,
Au temps joyeux de mon enfance.

***

Je donnerai pour ma jeunesse
Et pour son insouciance aussi,
Tout l’amour avec ses caresses,
L’argent, la terre et ses richesses
Et je crois bien le paradis.

Pour ces instants de mon enfance
Qui ne pourront mourir jamais,
Je donnerais avec confiance
Tout l’avenir et l’espérance,
Ce dont je rêve et ce que j’ai.

Je donnerai Rome et Byzance,
Toute l’histoire et tous les rois,
Le ciel et tous les vins de France,
Si seulement j’avais le choix,
Pour retrouver mon insouciance.

***

Voici que j’ai peur d’être seul,
Seul dans la vie et dans la mort
Après tant d’espoirs et d’efforts,
Tant de mots et de prières
Et cette maison pierre à pierre
Et tout ce qu’ont bâti mes mains.
Voici que j’ai peur d’être seul
Bien plus qu’hier, moins que demain
Avec au fond des yeux ces larmes
Dont l’amertume a tant de charme
Pour ceux qui ne manquent de rien,
Voici que j’ai peur d’être seul
Quand le crépuscule revient.

***

Une fois que je serai mort,
Devant les vers que je m’entête
A composer, non sans effort,
Qui donc dira, hochant la tête,
Que l’œuvre n’était pas si vaine,
Qu’en la masse de mes écrits,
On trouvait parfois du Verlaine,
Et du Corneille et du Péguy,
Un petit peu de Lafontaine,
Et du Voltaire tout au fond,
Un rien de Nerval mais qu’entraînent
Du Bellay, Ronsard et Villon ?
Belle louange mais posthume
Que je remâcherai amer,
En songeant comme de coutume :
« Et rien de moi, dans tous ces vers ? »

***

Allons, assez de choses tristes,
Que les mots dansent à ma voix,
Pour cent pirouettes, en piste,
Allons, assez de choses tristes.

Je ne vous en fais pas la liste,
Toutes se pressent, j’ai le choix,
Allons, assez de choses tristes,
Que les mots dansent à ma voix.

***

Il me faut avouer
Qu’il ne m’est pas étrange
Que deux siècles échangent
Quelques mots pour jouer.

Vous croyez que j’invente ?
Mais du coup, si j’ai tort,
Ce ne serait alors
Qu’un rêve qui me hante ?

Un rêve, une vision,
Avec en paysage
Ou la porte des Lions,
Ou le port de Carthage ?

Tanit la phénicienne,
Atropos ou la fin,
Rhéa la plus ancienne,
Diane au nez aquilin,

La ruine des Incas
Et la gloire de Rome,
L’ombre de Treblinka,
Le charnier de la Somme…

***

Ecrire et quoi de plus vraiment ?
J’y trouve mon contentement.
Ma joie est quelquefois si vive
Que s’il fallait que je m’en prive
Je serais le plus malheureux
De tous les rimailleurs de peu.

***

Voici l’aurore et le chemin,
Voici l’horizon sans limites
Et le bâton de pèlerin,
Voici l’aurore et le chemin.

Voici l’offrande avec le vin
Au seuil d’un foyer que l’on quitte,
Voici l’aurore et le chemin,
Voici l’horizon sans limites.

***

Un soir banal, un banal quotidien,
Ma chambre, un lit et puis des habitudes,
Une lampe un peu faible et trois fois rien,
Un soir banal, un banal quotidien.

Et je suis là, ne sachant plus très bien
Que dire ou que penser, sans certitude,
Un soir banal, un banal quotidien,
Ma chambre, un lit et puis des habitudes.

***

Parfois on perd toute maîtrise
Du temps dont on voulait user.
On a beau faire et beau ruser,
Le fourbe, quoiqu’on organise,
Sait vous filer entre les doigts
Et voici que le soir arrive
Sans qu’on ait fait quoique ce soit
Sinon flotter à la dérive.
Dans tout cela c’est un peu comme
Si l’on descendait d’un sommet,
La pente vous entraîne en somme
Et vous fait courir à regret.

***
Chanson.

Ce n’est qu’une chanson
Qui parle à sa façon
Pour tromper le silence,
Pour habiter l’absence
De ceux que nous aimons,
Ce n’est qu’une chanson.

Refrain fait de peu de paroles
Qui virevolte et qui s’envole
Au gré de l’humeur du moment,
Un refrain que moi seul j’entends,
Refrain fait de peu de paroles
Mais toute chanson n’est pas folle.

Matins et soir, soirs et matins,
Autant hier, autant demain,
Unissant les jours de ma vie
En une même mélodie,
Quatrains, quintils ou bien sizains,
Autant hier, autant demain.

***
Mes jours deviennent difficiles,
Certains plus que d’autres le sont,
Mais je les vis, d’autres le font,
S’en attrister est inutile.

Je voudrais en les décrivant
Qu’il demeure de leur passage
Ces vers, fussent-ils décevants,
A titre au moins de témoignage.

Ils sont pour mes heures de plomb,
Ils sont pour mes heures de pluie,
Ils sont pour certains mois si longs
Que même la mort s’y ennuie.
***

De toutes mes activités,
Je n’ai gardé que la façade,
Faux-semblant d’une liberté
Qui me donne cet air maussade.

Au pire il n’en sortira rien,
Au mieux il n’en sortira guère !
Je prends chaque jour comme il vient,
Aucun ne vaut ceux de naguère.

***

Le jour désespéramment fuit
Où toutes choses se confondent,
Je hais la longueur de ces nuits
Où l’hiver me cache le monde.

Tout comme également je hais
Ma triste condition présente
Et cette peine que je tais
Sans qu’elle me soit moins violente.

***

Les jours se suivent sans grands liens,
Les mots se répètent, s’empilent
Toujours et ne disant plus rien,
Car les mêmes phrases défilent,
Inlassable écho d’un refrain
Aux frontières de la folie
Et je sais par quoi contraint :
Devoir, usage ou utopie.

***
Je vois bien que l’heure s’avance
Et me trouve très en retard,
Aurai-je assez de temps par chance
Pour finir avant mon départ
Ce qui me reste de l’ouvrage ?
On ne m’a pas trop demandé
Mais je n’ai pas su vivre en sage
Et sur le chemin j’ai traîné.
A l’heure où mes moyens déclinent
Il vaudrait mieux hâter le pas,
Pourtant je parle, je badine
Et je perds mes jours à tout va.
Aussi puisse le ciel m’entendre
M’accorder à moi, pauvre sot,
Avant que de finir en cendres,
D’achever mon œuvre en repos.

***
Je dis que le combat n’est rien,
J’affirme qu’attendre est bien pire,
Quand il faut prendre ce qui vient,
Quoi que ce soit, et ne rien dire.

Quand les moyens vous font défaut
Et que toute action vous échappe,
Quand même les rêves sont faux
Et que le dégoût vous rattrape,

Quand les matins sont épuisés
Et quand toutes les nuits sont lasses,
Quand tous les recours sont usés,
Quand l’espérance même passe.

***

Au Vieux Jardin. Rondinet.

Au vieux jardin de nos amours
La ronce a remplacé la rose,
C’est ainsi que le temps dispose
Des « jamais » comme des « toujours »,
Dans l’allée le chardon s’impose
Autant que l’herbe folle accourt
Au vieux jardin.

Ainsi va-t-il de toute chose,
Celles-ci ont le temps plus court
Dont la valeur pesait plus lourd
Et tout se fane, portes closes,
Au vieux jardin.

***

Il est temps d’aller me coucher
Puisque je ne sais plus que dire
Et que l’on voit ma main lâcher
Ce qui lui servait à l’écrire.

Le sommeil est toujours vainqueur,
C’est en vain que je lui résiste ;
Pour en chasser la pesanteur
Je ne trouve rien qui m’assiste.

Dans les caresses de l’amour
Ou dans le plaisir d’un bon livre
Je chercherais en vain secours ;
Il n’y a rien qui m’en délivre !

***

De faux printemps en vrais hivers
J’ai parlé de moins de sourires
Que de larmes mais l’on se perd
A n’envisager que le pire.

Pour parvenir à me distraire
Un rayon de soleil suffit,
Il n’en faut pas plus pour me plaire ;
Une belle aube me ravit,

Je peux rêver d’un crépuscule
Jusqu’au-delà de la minuit,
Ce sont des émois minuscules
Mais c’est là ce qui me séduit.

Vous qui manquez d’une minute
Pour sentir l’odeur du printemps
Votre pauvreté le dispute
En tout à votre aveuglement.

***

Pseudo-Virelai.

Sous les arbres dépenaillés
Passe un automne enguenillé
En maudissant cette grisaille.

Il fait un temps à s’ennuyer,
A tourner en rond, à bâiller
En maudissant cette grisaille.

Il fait un temps à se brouiller
Avec ce temps bien dévoyé,
En maudissant cette grisaille.

Un temps tout de gris barbouillé
Où l’on déambule mouillé
En maudissant cette grisaille.

Ceci formé vaille que vaille
N’est pas un virelai qui m’aille,
Je ne peux vous le conseiller,
En maudissant cette grisaille.
***

Des chemins de ce temps
Aucun ne me ressemble.
Moi je ressemble au vent
Aux rêves qui s’assemblent.

Je ressemble au néant,
Aux sources vagabondes,
Aux pierres des géants,
A l’orage qui gronde,

La nuit, aux feu-follets,
Le matin à l’aurore
Et le soir au regret,
Mais à quoi d’autre encore ?
Je ressemble à l’amour,
A la feuille d’automne,
A la gloire d’un jour
A ceux que j’abandonne.


***

Aucun commentaire: