lundi 22 novembre 2010

Utopies et Chansons. Folio 1. Vieux Strasbourg.



Je vois qu’autour de moi le monde a bien changé,
Je ne reconnais pas ce curieux paysage,
Je n’y retrouve rien et suis bien obligé
De m’étonner devant cette nouvelle image
De ces lieux autrefois pourtant si familiers,
De canaux, de vieux ponts et de hautes toitures
Où dormaient à tout vent d’innombrables greniers,
De clochers disparus ou d’anciennes clôtures (1)…

(1)Au sens de couvent, cloître.

                        ***


Au roi Henri II.

Pour nous défendre, après les anges,
Nous avons de puissants canons
Et le meilleur c’est « la Mésange »,
Il n’en est aucun d’aussi bon.
Nous tenons un peu pour l’Empire
Et beaucoup pour la liberté
Quant à ce que le roi désire
Nous ne pouvons le contenter.
La Vierge orante nous protège
Et Specklin (1) qui fit ce rempart,
Le Seigneur est notre stratège
Et nous nous ferons notre part.

(1) Daniel SPECKLIN architecte des fortifications de Strasbourg, XVI è Siècle.

            ***


Porte de Pierre.

Par la Porte de Pierre
J’aborde la cité,
Canons et pots à bière,
Je vais vous raconter !

Je parcours les ruelles
Entre chevaux et chars,
Dédales de venelles
Et de taudis épars,

Les façades avancent
Leurs murs gris de torchis
Dont les auvents offensent
Un jour pâle et soumis.

Devant moi une place
Et de hauts marronniers,
Autour de cet espace
Des logis moins grossiers,

Des étals où discutent
Dans un coin des marchands,
L’écho d’une dispute,
Et dans l’air un relent…

Puis soudain tout s’efface,
La ville disparaît,
Je retrouve à sa place
Le lit où je rêvais…

            ***



1500.

Sur une longue plaine
Les flots vont divagant
Et leurs bras se promènent
Tortueux, zigzagants…

Des bois sombres et larges
Couvrent chacun des bords
Du fleuve où quelques barges
Conjuguent leurs efforts.

Les îles sont nombreuses,
Couvertes de buissons,
Les poules d’eau, peureuses,
Y vivent sans façon.

Quinze cent c’est l’époque,
Ce fleuve c’est le Rhin,
Cet âge que j’évoque,
J’en suis contemporain.

Et voici sur le fleuve
La ville de Strasbourg,
Ses murs à toute épreuve
Et ses puissantes tours,

Sous la dentelle rose
Du plus beau des clochers,
Mes souvenirs reposent
Où Geiler (1) a prêché.

(1)Geyler de Kaysersberg : prédicateur de la cathédrale, XV è siècle.

            ***

D’aucuns aiment le vin, d’autres les belles filles,
Certains le bien manger, le peuple ce qui brille,
Le roi son sceptre lourd, le savant ses lauriers,
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Guerriers des libertés, héros des belles causes,
Je n’aime point vos cris et lis peu votre prose,
De me laisser en paix je voudrais vous prier,
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Le monde m’apparaît comme fort agréable,
Sauriez-vous seulement en bâtir un semblable ?
Moquez ces mauvais vers et s’il vous plaît riez ;
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Conquérants vaniteux, soldats de l’inutile,
Laissez-moi liberté d’avoir des vœux futiles,
Modérez quelque peu vos diligents coursiers ;
J’aime les us présents pourtant si décriés.
***

Ne me parlez pas de justice,
De travail ou d’honnêteté,
On ne peut, à vous écouter,
Que mépriser vos artifices.

Ne me parlez pas d’aujourd’hui,
J’ai des regrets plein ma besace,
Il faudra qu’eux aussi me passent
Comme les songes de la nuit.

            ***


Tirésias.

Le vent se lève à l’horizon,
Laissez vos biens et vos maisons,
Laissez femmes et fiancées
Et souvenez-vous de l’épée.

Le temps qui vous reste est compté,
Oubliez la tranquillité
Et tout vos rêves quoiqu’ils vaillent :
Il vous vient de rudes batailles.

Croyez-vous donc avoir le choix ?
Debout une tempête arrive,
Rien ne sert de parler de droit
Quand les nécessités sont vives !

Ne comprenez-vous toujours pas ?
A l’horizon le vent se lève
Qui vous annonce le combat,
C’est tout un monde qui s’achève.

            ***

Le Jour du « Jurement » (Schwoertag).

Au parvis de la cathédrale,
Le jour dit « jour du jurement »,
Par fidélité ancestrale
Que tous et chacun soit présent
Afin que Strasbourg renouvelle
A elle-même son serment
Et que chacun lui soit fidèle,
Bourgeois, magistrats, indigents.
Vous tous, ce jour, sur cette place,
Jurez en levant haut la main
Et que Dieu vous ait en sa Grâce,
De servir nos droits souverains.
Jurez qu’en la paix ou la guerre,
Tous vous observerez les lois
Que cette ville fit naguère
Et que vous tiendrez votre foi.

            ***


L’âge d’or ?

Où donc est l’ancien temps
Ses plaisants paysages 
Et le bonheur d’antan
Dont j’ai connu l’image ?

Moi qui rêve des champs
De ces bois d’un autre âge
Je découvre, en marchant,
Les ruines qui l’outragent.

J’eus aimé parcourir
Des chemins, non des routes
Où je vois se flétrir
Tout un monde en déroute.

Qui veut le secourir
Peut le sauver sans doute,
S’il est prêt à souffrir
La peine qu’il en  coûte !

A défaut c’est la fin
Des forêts de naguère,
Demain de nos jardins
Il ne restera guère.

            ***

Le Gueux.

De qui tient pour Calvin,
De qui tient pour l’Eglise,
De qui suit Charles Quint
Ou combat avec Guise
Qu’ai-je à m’en occuper ?
Je vis et je travaille
Et tâche d’attraper
Ce que le sort me baille.

D’Erasme ou de Luther,
De Ronsard ou de Bèze
Rien vraiment ne me sert
Pour être plus à l’aise.
J’existais bien sans eux,
Que me fait leur venue ?
Je gagne toujours peu,
Ma chambre est froide et nue.

Demain sera semblable
A ce que hier était :
Trois fois rien sur la table
Et le ciel qui se tait.

            ***


Le Commis amoureux.

Il me faut départir de Toulouse la rose
Où je pris un plaisir dont je sais bien la cause,
Ne pouvant faire mieux, en guise de merci
Et pour me souvenir, je veux chanter ici
Le soleil de printemps sur les palais de briques,
Le jeu de la lumière où les ombres s’imbriquent
Et la fraicheur du fleuve aux plus longs soirs d’été
Et cet automne d’or aux brumes de beauté,
Mais plus que tout cela et la peine est cruelle,
Je vous fais mes adieux ma douce tourterelle.
Le temps nous est contraire et ne nous entend pas,
Au désir des humains s’oppose leur trépas
Et c’est ce temps hautain, à tous mes vœux contraire
Qui m’oblige à quitter ce qu’il savait me plaire.
Je m’en reviens chez moi, le cœur et le pas lourd
Vers l’ombre des sapins et l’hiver de Strasbourg.

                        ***


Neustadt. (La ville construite après 1870.)

Sur la Neustadt, temps de novembre
Et le brouillard borde les quais,
Le sort réunit ou démembre
Et le brouillard borde les quais.

Un réverbère solitaire
Veille, pensif au bord de l’eau
Que le reflet du ciel éclaire
D’un jour qui n’a rien de nouveau,
Et le brouillard borde les quais.

Cette place impériale est vide,
Le palais n’est plus un palais,
C’est l’Histoire ici qui décide
Qui se présente et qui se tait
Et le brouillard borde les quais.

            ***

Aucun commentaire: