A Chacun des Deux.
Aime et défends ta liberté,
Fais attention à la facilité.
La liberté veut du courage
Et plus qu’un effort de passage
Qu’on offre avec mauvaise foi.
La facilité vit sans loi
Et vaut ce que vaut un mirage,
La cultiver n’est jamais sage.
Lorsqu’il te faudra faire un choix,
Relis ces vers et pense à moi.
***
A mes Enfants.
Le soir est fait de solitude
Dès l’heure où je dois vous quitter,
Ni la lecture, ni l’étude
Ne parviennent à m’enchanter.
Je roule les mêmes pensées
Dans tous les sens et sans succès,
Jusqu’à parvenir à l’orée
D’un sommeil tissé de regrets.
Si j’ai fermé les yeux sans doute,
Encore est-ce vous que je vois,
Chacune de ces nuits me coûte
Dont chaque heure pèse un grand poids.
Quand j’aperçois vos chambres vides
Il n’est plus de moments heureux,
L’absence s’inscrit en ces rides
Qui chaque jour me font plus vieux.
***
Jardin d’Hiver.
Aimez-vous ce jardin, enfants,
Dans son silence teint de blanc
Où les flocons de neige dansent
Comme ils dansaient dans mon enfance
Au-dessus d’un autre jardin ?
Toute chose va vers sa fin
Mais celle-ci pour vous commence
Avec quelque bonheur je pense.
***
Souvenir nocturne de Vérone.
Maudits soient les ponts de Vérone,
Ses places, ses quais, son pavé,
Viens là, Satan, je te les donne,
Tu ne pourras t’y retrouver !
Cherchant en vain le nom des rues,
Tout comme moi, pauvre démon,
Si perçante que soit ta vue,
Tu tourneras sans fin en rond.
***
Gagner sa Vie.
Lorsque je m’en vais de chez moi
Pour gagner un peu mieux ma vie,
Ce qui me pèse - et de quel poids –
Ce sont ces soirs où je mendie
Aux souvenirs de mon espoir
Une miette de tendresse
Et de chaleur. J’ai beau savoir
Que c’est en vain, les mots se pressent
Auxquels, bien sûr, nul ne répond.
Oui, c’est cela la solitude :
Un goût d’absence et d’abandon
Et l’on n’en prend pas l’habitude.
Il me suffirait d’un regard,
Ou mieux d’un mot… Voilà je rêve,
Mais à quoi bon ? Il se fait tard
Et à quatre heures je me lève.
***
Exil.
C’est une après-midi pluvieuse,
Sous un ciel gris et étranger,
L’Automne a ses heures joyeuses
Mais ce dimanche est affligé.
Sur les vastes forêts dorées
Le vent d’Est amène le froid ;
Plaine de tristesse parée
Du moins ce vent vient de chez moi.
Il dit ce que je ne sais dire
Courant sur les chemins déserts
Où comme souvent sans sourire,
Maintenant mon regard se perd.
Je sais bien ce qui me tenaille
Et ce qui me tiendra toujours :
Ces après-midi de grisaille
Où le passé pèse si lourd.
***
Automne clément.
Des matins et des soirs d’étonnante douceur
Loin de ceux d’autrefois pour un étrange automne,
Plus que par le passé flamboyant de couleurs :
Un décor imprévu dont la beauté m’étonne.
Nos automnes d’antan, faut-il les oublier ?
Quand les aubes d’octobre étaient blanches de givre
Et qu’un coup d’œil jeté sur le calendrier
Suffisait à prévoir le froid qui devait suivre ?
Quand au Sud on vivait presque encore en été,
Ce qui nous paraissait tenir d’un privilège
Pour lequel nous aurions tout donné sans compter,
Tout, c’est certain, le reste, et même plus qu’en sais-je ?
D’un coup ce beau climat, rêve de nos vieux jours
Au futur incertain, le présent nous l’apporte ;
Quel bonheur de sentir son cœur un peu moins lourd
Pour avoir le midi soudain à notre porte !
***
Un vieux Noël.
Repas de Noël en famille :
Sur cette nappe blanche où les couverts
Anciens des grandes fêtes brillent ;
Quels mets appétissants l’on sert !
Il neige dans les rues obscures
Où ne passe pas un piéton,
Où ne passe aucune voiture
Et d’où ne monte pas un son.
On éteint toutes les lumières
Pour écouter une chanson
Qui vous a des airs de prière,
Un vieux refrain de réveillon.
Dans l’ombre, l’odeur du sapin,
Guirlandes et lumières douces,
Et l’impatience à la rescousse
Mais il faut attendre demain.
« Attendre » un mot bien difficile
Quand on a que douze ou treize ans,
« Attendre » à l’heure où se faufilent
Dans la nuit des rêves grisants !?
***
Continuité.
Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps,
Comme avec eux, leur temps, leur manière de vivre;
J’en conserve le peu que je puis encor suivre,
Il me semble qu’ainsi ils sont toujours présents.
La ligne se poursuit et moi je suis content
D’ajouter une page à celles de ce livre :
Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps.
Lorsque je les revois, je souris un moment,
Passent en leurs saisons, la chaleur ou le givre,
Du premier jour qui rêve au dernier qui délivre,
Tous ceux qui me suivront feront pareillement ;
Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps.
***
L’Âge.
Dans le soleil brumeux de ses plus beaux atours
Où ruines et grandeur s’érigent en devise,
De canal en canal, que dire de Venise,
La maîtresse autrefois de toutes mes amours ?
Que l’âge a moins de gains qu’il ne compte de pertes,
Que l’âme, après le corps, finit par se lasser,
Que c’est à contrecœur que les jours ont passé
Emportant l’émotion de mille découvertes.
Le spectacle est le même et je n’en jouis plus,
Je manque maintenant beaucoup d’exubérance,
De courage peut-être et d’un peu d’espérance :
Je vois ce que j’aimais et n’en suis pas ému.
J’ai les mêmes désirs, j’ai la même conscience
Et quant à mes plaisirs, mes goûts n’ont pas changé,
Mais le pas s’est fait lourd, mon cœur est moins léger,
L’âge avec les soucis me rongent en silence.
***
A Tous les Deux.
Vous êtes ma raison de vivre
Et celle de tous mes efforts,
La joie aussi qui me délivre ;
Vous êtes ma raison de vivre.
Je fais mais à vous de poursuivre
Au jour décidé par le sort ;
Vous êtes ma raison de vivre
Et celle de tous mes efforts.
***