lundi 6 décembre 2010

Utopies et Chansons. Folio 3. En Famille.



A Chacun des Deux.

Aime et défends ta liberté,
Fais attention à la facilité.
La liberté veut du courage
Et plus qu’un effort de passage
Qu’on offre avec mauvaise foi.
La facilité vit sans loi
Et vaut ce que vaut un mirage,
La cultiver n’est jamais sage.
Lorsqu’il te faudra faire un choix,
Relis ces vers et pense à moi.

            ***

 A mes Enfants.

Le soir est fait de solitude
Dès l’heure où je dois vous quitter,
Ni la lecture, ni l’étude
Ne parviennent à m’enchanter.

Je roule les mêmes pensées
Dans tous les sens et sans succès,
Jusqu’à parvenir à l’orée
D’un sommeil tissé de regrets.

Si j’ai fermé les yeux sans doute,
Encore est-ce vous que je vois,
Chacune de ces nuits me coûte
Dont chaque heure pèse un grand poids.

Quand j’aperçois vos chambres vides
Il n’est plus de moments heureux,
L’absence s’inscrit en ces rides
Qui chaque jour me font plus vieux.

            ***

 Jardin d’Hiver.

Aimez-vous ce jardin, enfants,
Dans son silence teint de blanc
Où les flocons de neige dansent
Comme ils dansaient dans mon enfance
Au-dessus d’un autre jardin ?
Toute chose va vers sa fin
Mais celle-ci pour vous commence
Avec quelque bonheur je pense.

            ***


Souvenir nocturne de Vérone.

Maudits soient les ponts de Vérone,
Ses places, ses quais, son pavé,
Viens là, Satan, je te les donne,
Tu ne pourras t’y retrouver !

Cherchant en vain le nom des rues,
Tout comme moi, pauvre démon,
Si perçante que soit ta vue,
Tu tourneras sans fin en rond.

            ***

 Gagner sa Vie.

Lorsque je m’en vais de chez moi
Pour gagner un peu mieux ma vie,
Ce qui me pèse - et de quel poids –
Ce sont ces soirs où je mendie
Aux souvenirs de mon espoir
Une miette de tendresse
Et de chaleur. J’ai beau savoir
Que c’est en vain, les mots se pressent
Auxquels, bien sûr, nul ne répond.
Oui, c’est cela la solitude :
Un goût d’absence et d’abandon
Et l’on n’en prend pas l’habitude.
Il me suffirait d’un regard,
Ou mieux d’un mot… Voilà je rêve,
Mais à quoi bon ? Il se fait tard
Et à quatre heures je me lève.

            ***

 Exil.

C’est une après-midi pluvieuse,
Sous un ciel gris et étranger,
L’Automne a ses heures joyeuses
Mais ce dimanche est affligé.

Sur les vastes forêts dorées
Le vent d’Est amène le froid ;
Plaine de tristesse parée
Du moins ce vent vient de chez moi.

Il dit ce que je ne sais dire
Courant sur les chemins déserts
Où comme souvent sans sourire,
Maintenant mon regard se perd.

Je sais bien ce qui me tenaille
Et ce qui me tiendra toujours :
Ces après-midi de grisaille
Où le passé pèse si lourd.

            ***

 Automne clément.

Des matins et des soirs d’étonnante douceur
Loin de ceux d’autrefois pour un étrange automne,
Plus que par le passé flamboyant de couleurs :
Un décor imprévu dont la beauté m’étonne.

Nos automnes d’antan, faut-il les oublier ?
Quand les aubes d’octobre étaient blanches de givre
Et qu’un coup d’œil jeté sur le calendrier
Suffisait à prévoir le froid qui devait suivre ?

Quand au Sud on vivait presque encore en été,
Ce qui nous paraissait tenir d’un privilège
Pour lequel nous aurions tout donné sans compter,
Tout, c’est certain, le reste, et même plus qu’en sais-je ?

D’un coup ce beau climat, rêve de nos vieux jours
Au futur incertain, le présent nous l’apporte ;
Quel bonheur de sentir son cœur un peu moins lourd
Pour avoir le midi soudain à notre porte !

            ***

 Un vieux Noël.

Repas de Noël en famille :
Sur cette nappe blanche où les couverts
Anciens des grandes fêtes brillent ;
Quels mets appétissants l’on sert !

Il neige dans les rues obscures
Où ne passe pas un piéton,
Où ne passe aucune voiture
Et d’où ne monte pas un son.

On éteint toutes les lumières
Pour écouter une chanson
Qui vous a des airs de prière,
Un vieux refrain de réveillon.

Dans l’ombre, l’odeur du sapin,
Guirlandes et lumières douces,
Et l’impatience à la rescousse
Mais il faut attendre demain.

« Attendre » un mot bien difficile
Quand on a que douze ou treize ans,
« Attendre » à l’heure où se faufilent
Dans la nuit des rêves grisants !?

            ***

 Continuité.

Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps,
Comme avec eux, leur temps, leur manière de vivre;
J’en conserve le peu que je puis encor suivre,
Il me semble qu’ainsi ils sont toujours présents.

La ligne se poursuit et moi je suis content
D’ajouter une page à celles de ce livre :
Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps.

Lorsque je les revois, je souris un moment,
Passent en leurs saisons, la chaleur ou le givre,
Du premier jour qui rêve au dernier qui délivre,
Tous ceux qui me suivront feront pareillement ;
Mes deux parents sont morts il y a bien longtemps.

                        ***

 L’Âge.

Dans le soleil brumeux de ses plus beaux atours
Où ruines et grandeur s’érigent en devise,
De canal en canal, que dire de Venise,
La maîtresse autrefois de toutes mes amours ?

Que l’âge a moins de gains qu’il ne compte de pertes,
Que l’âme, après le corps, finit par se lasser,
Que c’est à contrecœur que les jours ont passé
Emportant l’émotion de mille découvertes.

Le spectacle est le même et je n’en jouis plus,
Je manque maintenant beaucoup d’exubérance,
De courage peut-être et d’un peu d’espérance :
Je vois ce que j’aimais et n’en suis pas ému.

J’ai les mêmes désirs, j’ai la même conscience
Et quant à mes plaisirs, mes goûts n’ont pas changé,
Mais le pas s’est fait lourd, mon cœur est moins léger,
L’âge avec les soucis me rongent en silence.

            ***

 A Tous les Deux.

Vous êtes ma raison de vivre
Et celle de tous mes efforts,
La joie aussi qui me délivre ;
Vous êtes ma raison de vivre.

Je fais mais à vous de poursuivre
Au jour décidé par le sort ;
Vous êtes ma raison de vivre
Et celle de tous mes efforts.

            ***

Temps de Noël.


Temps de décembre et de flocons,
Temps de sapins et de bougies,
De guirlandes et de chansons
Mais aussi d'amour et de vie,
Temps de paix et de charité,
Temps pour chacun de l'espérance
Que le Seigneur vînt apporter
Au jour ancien de Sa naissance.
 
           ***


vendredi 3 décembre 2010

Rude Hiver.






Après-midi crépusculaire
Et dans la rue un froid polaire,
Sinistre d'être ainsi obscur
Entre le deuil glacial des murs
De toutes ces vieilles façades
Et celui des jardins maussades
Où le jour est à l'abandon;
Cet hiver ci sera bien long.
Et dans l'ombre et dans le silence,
Il est pourtant plein de violence,
De colère et de cruauté
Et patient à ne pas compter
Les heures, les jours, les semaines,
C'est un hiver empli de haine,
De force et de ressentiment
Et qui les sert aveuglément.

         ***

vendredi 26 novembre 2010

Utopies et Chansons.- Folio 2.- Quatre Saisons de Jeunesse.




Printemps pluvieux -1.

Il pleut sur les chemins, il pleut sur le printemps
Et mille flaques d’eau se rident sous le vent,
De sillons en sillons et de trous en ornières,
Sous l’argent ou le bleu d’une étrange lumière.
La violette a fané, les arbres sont en fleurs,
Du froid à la douceur et de la joie aux pleurs
S’il naît un nouveau jour, quoique l’espoir conquière,
Il pourrit de vieux troncs dans l’eau de la rivière.

            ***

Printemps pluvieux – II.

Aux chemins d’un Printemps crotté,
Marche une amie un peu boueuse,
Quant à moi, j’ai les pieds trempés :
C’est une après-midi heureuse.

Quel poète nous chantera
Le plaisir des champs labourés,
Des flaques d’eau et cetera,
En ces dimanches adorés ?

            ***

Au Début.

De perce-neige et de narcisse
Au beau milieu de mon jardin
Pour que le printemps s’accomplisse,
De perce-neige et de narcisse.

Les quelques nuages qui glissent
Ne sont pas encore pas encore la fin
De perce-neige et de narcisse
Au beau milieu de mon jardin.

            ***
Mai - I.

Bruissent les marronniers
Qu’un faible vent agite :
Mai l’a pris pour coursier,
Bruissent les marronniers.

Sur les toits les ramiers,
Se promenant méditent,
Bruissent les marronniers
Que le Printemps habite.

            ***

Mai – II.

Un jour du mois de Mai
Sur les labours se lève
Où l’or teint les guérets,
Un jour du mois de Mai.

L’Hiver fuit et se tait
Lorsque gonflés de sève,
Un jour du mois de Mai,
Partout les bourgeons crèvent.

            ***
L’instant fleuri.

Le calme de l’instant dans un jardin fleuri
Je l’ai tant désiré et si souvent décrit,
J’ai fait en l’espérant une si longue route,
Le terme en est atteint, voici que je le goûte.

Il fait doux à rêver, le jour décline et meurt
Et je suis assis là, dans le parfum des fleurs,
A regarder le ciel et n’ayant d’autre ouvrage
Que de laisser le temps poursuivre son passage.

***

Soirs d’été - I.

Le crépuscule tombe
Sur les rives du Rhin,
La fin du jour succombe ;
Le ciel clair est serein.

Le revers gris des feuilles
Brille, mat, sous les cieux,
Les arbres se recueillent,
Le soir est sur les lieux.

Derniers reflets sur l’onde,
L’or se mêle au carmin,
Le soleil vagabonde
Et s’attarde en chemin.

L’argent sur l’eau scintille,
Puis l’étain moins brillant,
Au ciel c’est l’escarbille
Après l’or chatoyant.

Et voici l’heure grise,
D’ombre aux chemins silencieux,
Le long des rives imprécises
Dormant sous un ciel insoucieux.

            ***

Soirs d’été – II. Rêve.

Et le crépuscule fana,
Au-dessus de la plaine
Ses roses délicats
Fuirent la nuit prochaine.

Jusqu’au bleu du lointain,
Sur des couleurs éteintes
Etendant son étreinte,
L’obscurité s’en vint.

Les formes, les objets,
Un à un disparurent,
A l’ouest un reflet
Marquait la voûte obscure.

Sur la brume et son voile
La lune se leva
Mais pas la moindre étoile ;
Quel souci m’éveilla ?

            ***

Soirs d’été – III.

Déjà le jour s’avance
Et prend des reflets d’or
De plus en plus intenses ;
Déjà le jour s’avance.

L’ombre monte et s’élance,
La nuit prend son essor,
Déjà le jour s’avance
Que l’eau reflète encor.

            ***

Automne – I. Octobre.

Il fait un temps triste et maussade,
Au demeurant très comme il faut,
La pluie n’est pas une brimade
Et c’est ainsi qu’octobre est beau.

Non ! Je me raconte une histoire,
Une histoire à passer le temps
Quand il est de pluie et de vent
Mais que personne ne peut croire ;

L’Automne est beau sous le soleil,
Le reste n’est que fariboles,
Mensonges et mauvais conseils
Et la grisaille me désole.

            ***

Automne – II. Le 11 Novembre.

Sous le ciel gris les tranchées
Qui ne tranchent plus beaucoup,
Après tant et tant d’années,
Sur le paysage et, dessous
La terre épaisse de novembre,
Des éclats de métal rouillé,
Un crâne et des fragments de membre :
Un cadavre oublié,
La bouche pleine du silence
Qui faisait tant défaut
A ses vingt trois ans d’existence
Qui dorment sans tombeau.

            ***

Automne – III.

Sous les arbres dépenaillés,
Passe un automne enguenillé
En maudissant cette grisaille.

Il fait un temps à se brouiller
Avec ce temps bien dévoyé
En maudissant cette grisaille.

Il fait un temps à s’ennuyer,
A tourner en rond, à bayer
En maudissant cette grisaille.

Un temps tout de gris barbouillé
Où l’on déambule mouillé
En maudissant cette grisaille.

Envoi :

Ceci, formé vaille que vaille
N’est pas un virelai qui m’aille,
Je ne peux vous le conseiller,
En maudissant cette grisaille.

            ***


Hiver – I.

Sur le jardin fané la pluie,
Un froid dimanche où je m’ennuie,
Et les toits détrempés, luisants,
Et le ciel gris d’hiver, lassant.
Sonorité des vers, silence,
Marquant les rimes en cadence
Afin qu’il en naisse à mon gré
L’effet que j’en ai désiré.
Arbres aux troncs noircis, humides,
Rosiers dormants, pelouses vides,
Quartier désert, morne trottoir
Où l’après-midi sent le soir,
Quand l’encre des mots sèche,
Triste, lasse et revêche.

            ***

Hiver – II. Crépuscule.

Il tombe un crépuscule d’or,
Teinté de rose et de violine
Où le jade un instant domine,
Le jour se meurt, le jour est mort.

Artifice et magnificence
A cet instant vont de concert,
Feront-ils oublier l’hiver
La nuit, le froid et le silence ?

            ***
Hiver – III. Dimanche.

Voici des nuages bleu-gris
Et des nuages noirs de pluie,
Les jours sont brefs, on l’a compris,
Les dimanches d’hiver m’ennuient.

Le brun est la seule couleur
Sur les chemins de la campagne,
Sombres, sans feuilles et sans fleurs
Où la mélancolie me gagne.

Ce sont des moments de la vie
Dont je ne puis faire le tri,
Les dimanches d’hiver m’ennuient,
Chacun, j’espère, l’a compris.

            ***

Deux Sapins.

Ils sont au début d’un chemin,
Sombres au bord du paysage,
Deux silhouettes deux sapins,
Dont je ne saurais dire l’âge.

Solitaires et majestueux
Comme deux arbres de légende
Dont les souvenirs en ces lieux
Au grand vent de minuit s’entendent.

            ***

Entre-deux.

Entre l’hiver et le printemps
Une lune encore glaciale
Par-dessus les toits et j’attends,
Entre l’hiver et le printemps.

Est-ce l’obscurité vraiment
Que ce jardin aux ombres pâles,
Entre l’hiver et le printemps
Où monte une lune glaciale ?

            ***

Printemps.

Il n’est que boue en toute ornière,
Comme aux champs que boueux sillons,
Silence et boueuse misère
Aux villages comme aux vallons
Et sur les bords de la rivière,
Alors, me direz-vous, au fond,
Pour chanter la boue aux clairières,
Une ballade c’est bien long.

Mais voyez-vous, c’est qu’aux chaumières
On voit éclore des bourgeons
Et les jacinthes font les fières
A peine sorties de l’oignon.
Quand on voudrait, une heure entière,
S’amuser de mille façons
Et profiter de la lumière,
Une ballade c’est bien long.

Car voici qu’il y a matière
A rire et à changer de ton ;
A l’heure où le printemps conquière
Jusqu’au plus humble des buissons,
Le soleil taille des croupières
Aux nuits d’angoisse et de frissons,
Pour se rappeler la dernière
Une ballade c’est bien long.

Passant, je fis à ma manière
Des vers pour chanter la saison
Mais pour tant de fleurs éphémères,
Une ballade c’est bien long…

            ***

lundi 22 novembre 2010

Utopies et Chansons. Folio 1. Vieux Strasbourg.



Je vois qu’autour de moi le monde a bien changé,
Je ne reconnais pas ce curieux paysage,
Je n’y retrouve rien et suis bien obligé
De m’étonner devant cette nouvelle image
De ces lieux autrefois pourtant si familiers,
De canaux, de vieux ponts et de hautes toitures
Où dormaient à tout vent d’innombrables greniers,
De clochers disparus ou d’anciennes clôtures (1)…

(1)Au sens de couvent, cloître.

                        ***


Au roi Henri II.

Pour nous défendre, après les anges,
Nous avons de puissants canons
Et le meilleur c’est « la Mésange »,
Il n’en est aucun d’aussi bon.
Nous tenons un peu pour l’Empire
Et beaucoup pour la liberté
Quant à ce que le roi désire
Nous ne pouvons le contenter.
La Vierge orante nous protège
Et Specklin (1) qui fit ce rempart,
Le Seigneur est notre stratège
Et nous nous ferons notre part.

(1) Daniel SPECKLIN architecte des fortifications de Strasbourg, XVI è Siècle.

            ***


Porte de Pierre.

Par la Porte de Pierre
J’aborde la cité,
Canons et pots à bière,
Je vais vous raconter !

Je parcours les ruelles
Entre chevaux et chars,
Dédales de venelles
Et de taudis épars,

Les façades avancent
Leurs murs gris de torchis
Dont les auvents offensent
Un jour pâle et soumis.

Devant moi une place
Et de hauts marronniers,
Autour de cet espace
Des logis moins grossiers,

Des étals où discutent
Dans un coin des marchands,
L’écho d’une dispute,
Et dans l’air un relent…

Puis soudain tout s’efface,
La ville disparaît,
Je retrouve à sa place
Le lit où je rêvais…

            ***



1500.

Sur une longue plaine
Les flots vont divagant
Et leurs bras se promènent
Tortueux, zigzagants…

Des bois sombres et larges
Couvrent chacun des bords
Du fleuve où quelques barges
Conjuguent leurs efforts.

Les îles sont nombreuses,
Couvertes de buissons,
Les poules d’eau, peureuses,
Y vivent sans façon.

Quinze cent c’est l’époque,
Ce fleuve c’est le Rhin,
Cet âge que j’évoque,
J’en suis contemporain.

Et voici sur le fleuve
La ville de Strasbourg,
Ses murs à toute épreuve
Et ses puissantes tours,

Sous la dentelle rose
Du plus beau des clochers,
Mes souvenirs reposent
Où Geiler (1) a prêché.

(1)Geyler de Kaysersberg : prédicateur de la cathédrale, XV è siècle.

            ***

D’aucuns aiment le vin, d’autres les belles filles,
Certains le bien manger, le peuple ce qui brille,
Le roi son sceptre lourd, le savant ses lauriers,
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Guerriers des libertés, héros des belles causes,
Je n’aime point vos cris et lis peu votre prose,
De me laisser en paix je voudrais vous prier,
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Le monde m’apparaît comme fort agréable,
Sauriez-vous seulement en bâtir un semblable ?
Moquez ces mauvais vers et s’il vous plaît riez ;
J’aime les us présents pourtant si décriés.

Conquérants vaniteux, soldats de l’inutile,
Laissez-moi liberté d’avoir des vœux futiles,
Modérez quelque peu vos diligents coursiers ;
J’aime les us présents pourtant si décriés.
***

Ne me parlez pas de justice,
De travail ou d’honnêteté,
On ne peut, à vous écouter,
Que mépriser vos artifices.

Ne me parlez pas d’aujourd’hui,
J’ai des regrets plein ma besace,
Il faudra qu’eux aussi me passent
Comme les songes de la nuit.

            ***


Tirésias.

Le vent se lève à l’horizon,
Laissez vos biens et vos maisons,
Laissez femmes et fiancées
Et souvenez-vous de l’épée.

Le temps qui vous reste est compté,
Oubliez la tranquillité
Et tout vos rêves quoiqu’ils vaillent :
Il vous vient de rudes batailles.

Croyez-vous donc avoir le choix ?
Debout une tempête arrive,
Rien ne sert de parler de droit
Quand les nécessités sont vives !

Ne comprenez-vous toujours pas ?
A l’horizon le vent se lève
Qui vous annonce le combat,
C’est tout un monde qui s’achève.

            ***

Le Jour du « Jurement » (Schwoertag).

Au parvis de la cathédrale,
Le jour dit « jour du jurement »,
Par fidélité ancestrale
Que tous et chacun soit présent
Afin que Strasbourg renouvelle
A elle-même son serment
Et que chacun lui soit fidèle,
Bourgeois, magistrats, indigents.
Vous tous, ce jour, sur cette place,
Jurez en levant haut la main
Et que Dieu vous ait en sa Grâce,
De servir nos droits souverains.
Jurez qu’en la paix ou la guerre,
Tous vous observerez les lois
Que cette ville fit naguère
Et que vous tiendrez votre foi.

            ***


L’âge d’or ?

Où donc est l’ancien temps
Ses plaisants paysages 
Et le bonheur d’antan
Dont j’ai connu l’image ?

Moi qui rêve des champs
De ces bois d’un autre âge
Je découvre, en marchant,
Les ruines qui l’outragent.

J’eus aimé parcourir
Des chemins, non des routes
Où je vois se flétrir
Tout un monde en déroute.

Qui veut le secourir
Peut le sauver sans doute,
S’il est prêt à souffrir
La peine qu’il en  coûte !

A défaut c’est la fin
Des forêts de naguère,
Demain de nos jardins
Il ne restera guère.

            ***

Le Gueux.

De qui tient pour Calvin,
De qui tient pour l’Eglise,
De qui suit Charles Quint
Ou combat avec Guise
Qu’ai-je à m’en occuper ?
Je vis et je travaille
Et tâche d’attraper
Ce que le sort me baille.

D’Erasme ou de Luther,
De Ronsard ou de Bèze
Rien vraiment ne me sert
Pour être plus à l’aise.
J’existais bien sans eux,
Que me fait leur venue ?
Je gagne toujours peu,
Ma chambre est froide et nue.

Demain sera semblable
A ce que hier était :
Trois fois rien sur la table
Et le ciel qui se tait.

            ***


Le Commis amoureux.

Il me faut départir de Toulouse la rose
Où je pris un plaisir dont je sais bien la cause,
Ne pouvant faire mieux, en guise de merci
Et pour me souvenir, je veux chanter ici
Le soleil de printemps sur les palais de briques,
Le jeu de la lumière où les ombres s’imbriquent
Et la fraicheur du fleuve aux plus longs soirs d’été
Et cet automne d’or aux brumes de beauté,
Mais plus que tout cela et la peine est cruelle,
Je vous fais mes adieux ma douce tourterelle.
Le temps nous est contraire et ne nous entend pas,
Au désir des humains s’oppose leur trépas
Et c’est ce temps hautain, à tous mes vœux contraire
Qui m’oblige à quitter ce qu’il savait me plaire.
Je m’en reviens chez moi, le cœur et le pas lourd
Vers l’ombre des sapins et l’hiver de Strasbourg.

                        ***


Neustadt. (La ville construite après 1870.)

Sur la Neustadt, temps de novembre
Et le brouillard borde les quais,
Le sort réunit ou démembre
Et le brouillard borde les quais.

Un réverbère solitaire
Veille, pensif au bord de l’eau
Que le reflet du ciel éclaire
D’un jour qui n’a rien de nouveau,
Et le brouillard borde les quais.

Cette place impériale est vide,
Le palais n’est plus un palais,
C’est l’Histoire ici qui décide
Qui se présente et qui se tait
Et le brouillard borde les quais.

            ***