jeudi 6 février 2014

Inquiétude de Saison.



Un tel soleil en févriet ?
Voilà que les arbres s'étonnent; 
Qu'ils soient chênes ou pleupliers,
Cela frémit, cela bougonne:
Un tel soleil en février ?

Dans l'hiver du calendrier,
La douceur du ciel bleu détonne,
Entre charmes et coudriers
On se récrie et l'on raisonne:
Mars pourrait être meurtrier
Juste quand les  bourgeons fleuronnent,
Un hiver qui s'est fait prier
À mai, quequefois se cramponne;
Un tel soleil en février ?
On s'interroge et l'on marmonne, 
Dans les bois, au bord des sentiers,
Voilà que les arbres s'étonnent.

                         ***

mardi 4 février 2014

Le Chèvre-feuille. Moralité.





En croisant hier un chèvre-feuille
Qu'on voyait pousser hardiment,
Je me disais:"Quoique l'on veuille,
C'est vivre dangereusement,
Nous ne sommes qu'en février.
Que s'imagine cette plante ?
Le gel, sans se faire prier,
Peut encor brûler l'insolente
Qui vient annoncer un printemps
Dont nul n'entrevoit l'existence."
Certains hommes en font autant: 
Ils manquent beaucoup de prudence.

                    



lundi 3 février 2014

Flamme et Charbon.

Cela ne dure pas une heure
Où tout n'est que flamme et charbon,
Voilà que plus rien n'en demeure
Que la nuit en toile de fond:
Cela ne dure pas une heure.

Si la majesté n'est qu'un leurre,
Peut-être bien que la raison...
Cela ne dure pas une heure. 
Où tout n'est que flamme et chardons.



dimanche 2 février 2014

La Retraite.





Comme autrefois, dans mon enfance,
J'attends le bout du mois de juin
Où l'école touche à sa fin,
Je rêve de grandes vacances.

De longs et beaux jours de loisir,
Dans la plus joyeuse insouciance,
Où les matins et les soirs dansent
Au grand jardin de mes désirs.

Combien de fois déjà, déçu,
J'ai tourné le dos à mon rêve
Pour retourner peiner sans trêve
Dans ce monde si décousu !

Voici le temps qui m'en libère,
J'ai bu la coupe à satiété,
Voici que la sérénité
Chassera les heures amères.

Le temps de l'école est fini,
Adieu mes pauvres jours ternis,
Voici que débute en avance
Le temps de mes grandes vacances !

                    ***


Sillons de Pluie.





Sillons de pluie, sillons de terre
Et flaques d'eau sur les chemins
Sous le ciel que le vent lacère,
Sillons de pluie, sillons de terre.

Le temps compose à sa manière
Et je le transcris de ma main:
Sillons de pluie, sillons de terre
Et flaques d'eau sur les chemins.

                 ***

vendredi 31 janvier 2014

Les Nuages Bleus.





Le soleil déclinant sous des nuages bleus
Illumine ceux-ci de vieil or et de rose,
Accueillant l'heure où s'allument les feux,
Il sonne à l'horizon de noirs clochers moroses.

Il danse une ombre douce aux gouttières des toits
Et un rire léger court au fond des feuillages,
Du carrefour désert aux quatre chemins cois
Le calme de la nuit est le seul paysage.

Que la paix soit sur vous et accueillez joyeux
Le soleil déclinant sous des nuages bleus.

                       ***

jeudi 30 janvier 2014

Le Conteur.





Mettez un sou dans la corbeille
Et je vous dirai les merveilles
Du pays où les pierrres poussent
Dans la nuit bleue des lunes rousses,
Je vous conterai sans mentir
Les fautes et les repentir
Duprince-héritier des groseilles,
Des scarabés, des perce-oreilles;

Mettez un sou dans la corbeille !

Je vous dirai le chardon-fleur
Qui ne veut pas pousser ailleurs
Et la douceur où l'ombre veille
Et ce que l'oubli nous conseille,
Je vous dirai la voile au vent
Et je vous dirai le torrent
Que les étoiles ensoleillent
A l'heure où les échos s'éveillent;

Mettez un sou dans la corbeille !

                   ***

mercredi 29 janvier 2014

Le Mot Chemin.





Apportez-moi le mot: chemin,
Je vous rimerai l'aventure
Mais si vous me dites: demain
Je vous rimerai l'imposture,
L'imposture et le faux semblant,
Ce qui n'est que littérature,
Ce qui commence sans talent
Et finit par une rature.
Apportez-loi le mot: destin,
Je vous jetterai en pâture
Le simple mot de "plaisantin",
Celui d'esquisse ou bien d'épure.

                  ***

La Ville.





Les quais s'en vont au grand soleil
A quelques pas de la rivière
Où la mouette tient conseil
Sur le rebord d'un pont de pierre,
D'un pont de pierre au grand soleil.

On dit que la tour était haute
Au débouché des vieux canaux,
Du temps du commerce des nautes
Qui manœuvraient de grands bateaux
Dans le dédale des canaux.

On dit que la ville était riche,
Que ses bourgeois, que ses marchands,
Pour le boire n'étaient pas chiches,
Ni pour le manger mécréants,
Comme tout bourgeois ou marchand.

Il y avait des couleuvrines,
Il y avait des fauconneaux
Sur les murailles citadines,
Des herses barraient les chenaux
Au bas des portes citadines.

Entre pavés de vieille souche
On connait ce passé par coeur
Mais vous, je ne sais s'il vous touche,
Vous l'avez peut-être en horreur
Si vous venez d'une autre souche.

                   ***


lundi 27 janvier 2014

L'Amour heureux ou....





L'amour, heureux ou malheureux,
Ne fait jamais que ce qu'il veut;
Vous le savez mieux que personne,
Il se reprend, il se redonne...

Quoique l'on veuille, on y fait peu,
Il se rebiffe ou s'abandonne;
L'amour, heureux ou malheureux,
Ne fait jamais que ce qu'il veut.

Mais qu'il murmure ou qu'il claironne,
Qu'il s'attendrisse ou qu'il raisonne,
L'amour, heureux ou malheureux,
Ne fait jamais que ce qu'il veut
Sans faire acception de personne.

                       ***

dimanche 26 janvier 2014

Aube-crépuscule.





L'aube, parfois, ressemble au crépuscule,
Ombre semblable au fil du temps enfui,
De vains regrets en peines majuscules
L'aube, parfois, ressemble au crépuscule.

L'écho se meurt, est-ce moi qui recule
Ou bien le jour qui recherche la nuit ?
L'aube, parfois, ressemble au crépuscule,
Ombre semblable au fil du temps enfui.

                        ***

samedi 25 janvier 2014

Après-midi d'hiver dans les Vosges.






Une tour de gré rose
Qui regarde l'hiver
Sur des sapins moroses
Où le jour froid se perd,
La brume sur la plaine
Où le jour va finir,
La lueur incertaine
Que le soir va ternir
Au bord du cerne mauve
Des flaques du chemin
Et dans les sous-bois fauves,
Le fût si clair des pins
Et nos pas qui cheminent
Jusqu'au terme du jour
Que déjà l'on devine
Dans chaque ombre alentour.

             ***

vendredi 24 janvier 2014

Les "Grands".





Les "Grands" sont-ils si grands
Que je me trouve infime
De n'être pas au même rang;
Les "Grands" sont-ils si grands ?

Si mon compte courant
Est plus plat que mes rimes,
Les "Grands" sont-ils si grands
Que je me trouve infime ?

               ***

mercredi 22 janvier 2014

Platanes.




L'ombre légère des platanes,
Sur les trottoirs redit l'été
Lorsque les filles s'y pavanent,
A l'ombre douce des platanes.

Sur la place qui s'enrubanne
Aux bals des dimanches fêtés,
L'ombre légère des platanes
Sur les trottoirs redit l'été,

Et les longues heures en panne
Qu'on se plaît à ne pas compter
Et ces amours en filigrane
Que l'on vit sans les raconter
Quand l'ombre douce des platanes
Sur les trottoirs redit l'été.

             *** 

Extrait du Tiers Livre des Triolets.

Banlieue d'Hiver.





Il fait un temps de vieux gilet,
Un temps de bure monacale,
De gouttières inamicales
Où le silence gris se plaît
Aux vitres sales des fenêtres
Et au demi-jour des paliers
Où montent de vieux escaliers,
Tout pareils aux vôtres peut-être.
Il fait un matin de janvier
Sur un autre siècle d'histoire
Où la brique a plus de mémoire
Que des coffres de vieux papiers,
Un matin d'un hiver humide,
Sinistre de ses arbres nus,
Du blême des mes murs malvenus
Et de rares sapins rigides.

             ***



jeudi 26 décembre 2013

Écrits.



Faute de mieux la nuit,
Une phrase après l'autre,
Je trace ce qui suit,
Faute de mieux la nuit.

Poème d'un ennui,
Ni le mien, ni le vôtre,
Faute de mieux la nuit,
Une phrase après l'autre.
        
                ***

mardi 10 décembre 2013

Les Heures de la Nuit.



 
 
 
Elles vont, lentes et profondes,
Ce sont les heures de la nuit
Et c'est le silence du monde,
L'âge que l'angoisse conduit
Quand la mémoire vagabonde
Entre d'abord et aujourd'hui.
Ce sont les heures infécondes
Et l'amertume qui les suit
Ne pouvant avoir de faconde
Prend le visage de l'ennui.
La première avec la seconde
Et la troisième qui les suit
A toutes celles qu'elles fondent
Redisent en chœur: "Je ne puis."
Ecoutez; leurs voix se répondent,
Sans fin, hier enchaîne aujourd'hui:
 
Ce sont les heures de la nuit.
 
              ***

mardi 3 décembre 2013

ESSAI.



Petit Traité de Versification Egocentrique.


Introduction.
 
Je compose des vers depuis près d’un demi-siècle, je sais donc de quoi je parle et si vous me rétorquez qu’ils ne doivent quand même pas être très bons puisque personne n’en a jamais entendu dire la moindre chose, je vous répondrai que là n’est pas la question mais que c’est une raison supplémentaire pour ne citer d’autre auteur que moi-même dans ce petit traité de versification égocentrique qui méritera ainsi pleinement son qualificatif d’ « égocentrique ».



Par ailleurs je vous fais observer qu’avant que CHAMPOLLION ne résolût l’énigme de l’écriture hiéroglyphique, personne n’avait dit la moindre chose non plus de la littérature égyptienne antique que personne ne pouvait lire. Lisez ce que je vous propose, vous verrez bien par vous-même et de toute façon au prix pour lequel vous avez acquis ces pages (c'est-à-dire rien), quelque soit la valeur que vous leur attribuerez, vous avez déjà moins perdu d’argent qu’en prenant votre voiture pour aller voter pour un homme politique, toutes tendances confondues, ces dix dernières années (ces quarante dernières années ?).

Comme il est d’usage, je tiens absolument à dédicacer cet ouvrage à :

Anselme,

Théophraste,

Frédégonde

et d’une manière générale à tous ceux qui ne m’ont jamais aidé en quoi que ce soit dans ma tâche littéraire me permettant ainsi de garder les idées claires.

***






 


Chapitre : Comment faire un Détour. De la Fabrication du Papier et Autres Eléments Indispensables.


Lorsque j’ai voulu apprendre à dessiner, je me suis acheté des livres qui étaient censés me donner les moyens de réaliser cette envie. Tous, invariablement, consacraient leurs premiers chapitres aux bases indispensables à cet apprentissage, à savoir :
comment on fabrique le papier à dessin,
comment on fabrique les crayons à papier,


le plus souvent illustrations à l’appui et références commerciales de même.

Après quoi ces manuels proposaient de fastidieux exercices consistant à tracer des droites, des obliques et des courbes d’une manière ou d’une autre pendant je ne sais combien de leçons.

Je me suis vite passé de ces conseils et si je ne dessine toujours pas très bien, en copiant les dessins des autres, j’ai suffisamment progressé pour ce que je voulais obtenir.

Ouvrez un traité de versification, poussez un soupir de soulagement en constatant qu’il ne s’occupe ni de la fabrication de la pâte à papier, ni de celle des stylos à bille, puis soupirez une seconde fois mais avec tristesse, en réalisant que là aussi un certain nombre de préalables sont jugés nécessaires et qu’il vous faudra ingurgiter au moins une demie douzaine de chapitres « explicatifs » et historiques avant de savoir quoi que ce soit sur la composition des vers.

Franchement, lorsque j’ai essayé d’écrire mes premiers vers, je n’ai pas rencontré ce genre d’obstacle car je ne possédais aucun ouvrage de cette sorte et peut-être feriez-vous mieux de vous mettre dans la même situation plutôt que de lire ce qui suit. Enfin, à vous de voir.

Tout ceci pour vous dire qu’il n’y a pas de préalables. Vous lisez des vers, vous trouvez cela beau, enthousiasmant, tentant et vous vous essayez à les imiter.

Vous avez ou vous n’avez pas le sens de l’harmonie et du rythme, bref vous avez une oreille faite pour cela ou non.

En général, si vous aimez lire des vers c’est parce que vous possédez cette oreille et dès lors, vous vous moquez bien de toutes les digressions de votre traité de versification : sur le caractère peu accentué de la langue, sur l’origine du vers, sur son histoire ou sur l’évolution du vers français du latin à nos jours.

Ecrivez !

Ensuite viendra l’envie de connaître et c’est là que vous pourrez faire vos délices du problème de l’e muet, des hiatus, des rejets, des enjambements, de l’alternance des rimes masculines et féminines, de la synérèse et de la diérèse et tous autres machins qu’il vous plaira d’étudier, d’essayer et de conserver (ou non).

Quand on se met en route pour une destination qui vous enchante, on ne fait pas de détours sur la route qui y mène mais, une fois arrivé, on flâne volontiers et plus le chemin alors est sinueux, plus il offre de points de vue nouveaux et tentants.


 

Chapitre : La Rime Inspirée.
« Inspirée » quand tout va bien et ce n’est pas tous les jours. Que faire dans cette situation pénible où l’on ne trouve pas le moindre sujet de poème ou dans cette autre, similaire, où, une fois le sujet trouvé, ce sont les rimes et/ou les vers eux-mêmes qui sont introuvables (les deux situations peuvent s’associer) ?

Certains diraient : laisser tomber la poésie et se remettre à une autre tâche (le ménage, la préparation du dîner ou la lecture par exemple). Non. Un pianiste, une cantatrice (je sais hélas de quoi je parle, j’en ai une au-dessus de chez-moi), s’exercent tous les jours, un poète aussi.

Par conséquent on se remet devant sa feuille blanche et l’on s’efforce de trouver ce sujet qui prétend fuir, au besoin n’importe quel sujet, voire même un sujet emprunté (on jette un coup d’œil aux textes d’un auteur reconnu dans le premier tome qui vous tombe sous la main). Cette étape franchie (elle finit presque toujours par l’être), il se peut que le résultat en soit très décevant. C’est sans importance, le mécanisme est amorcé, il faut continuer de composer (les olibrius -ou olibrii ?- qui taillaient les moellons du Colysée, quand ils loupaient une pierre, ne s’arrêtaient pas de tailler en attendant que l’inspiration leur revienne) et, le plus souvent, le second poème réalisé est de bien meilleure facture. La malédiction est vaincue. La confiance revient.

Mais «il y a des jours où l’inspiration s’en fout » (toutes mes excuses Monsieur BRASSENS), et tellement même que la recherche d’une rime se transforme en calvaire. Les dictionnaires de rimes sont là pour sauver la situation, mais attention, pas d’excès. C’est le sens du texte qui trouve la rime et en principe pas le contraire. Je reconnais volontiers que dans ces situations désertiques sur le plan de l’invention, je me suis laissé aller à faire le contraire de ce que je dis là, choisissant une rime ou plus ou moins « plausible » ou plus ou moins « suggestive » pour bâtir autour d’elle un vers voire toute une strophe tant j’en avais assez de buter sur une ligne blanche.

La lecture des vers de PEGUY, qu’au demeurant j’admire beaucoup, peut fournir un exemple d’un excès dans l’usage d’un dictionnaire de rimes (-mais quelle musique dans ses vers ! -). Comme le parti-pris de ce traité est l’égocentrisme voici un exemple personnel de ce qu’il faut éviter.

Flagorneries. (Note : je ne parle pas de moi.)

Vous êtes, j’en conviens, un poète adorable,

Riche de mil talents, plein d’ingéniosité,

Auteur incontesté de sonnets admirables,

De satires de même, où l’animosité

Forge au vers bien trempé des piques imparables. 

Oui, cette inspiration qui vous vient visiter,

Chacun le reconnaît, vous rend incomparable

Et chacun se demande avec curiosité :

« Comment donc s’y prend-t-il pour faire un champ arable

De l’Hélicon pentu, spectacle inusité ?

Puissance de l’esprit, don d’un dieu favorable ?

« Non » répondit l’auteur avec exquisité,

« Mais le dictionnaire est un outil secourable. »

Tout cela me fait penser aux bonnes vieilles explications de texte de ma jeunesse où un professeur dogmatique vous expliquait comment et pourquoi l’auteur célèbre qu’il commentait avait choisi de placer tel mot ou telle tournure à tel endroit. J’en souris encore aujourd’hui. Combien de fois le mot ou la tournure en question n’ont-ils du leur place dans le poème qu’au hasard et à l’embarras de l’auteur armé de son dictionnaire salvateur et d’un peu d’astuce ?


Chapitre : A quoi bon ?
Ce chapitre est à moitié une redite du précédent.

Pourquoi voulez-vous écrire des vers ? C’est le titre de poète qui vous tente. Vous tenez absolument à vous réveiller le matin et à vous endormir le soir en vous disant : « je suis poète, les autres non » et ce simple mot vous assure à vous-même :
qu’au moins vous, vous n’êtes pas une de ces brutes primitives uniquement sensibles à la matérialité des choses,
que votre monde intérieur est autrement plus riche que celui de votre voisin,
que vous participez de la noblesse d’un monde supérieur,
que Fanchon ne peut manquer de tomber sous votre charme,
qu’Evariste comprendra tout de suite qu’avec vous il aura (si vraiment il le mérite) plus que la quintessence d’une femme,
qu’un jour prochain la gloire et les anthologies vous souriront (sans compter les journalistes) parce que, à l’évidence, vous le méritez bien.

Burlesque et stupide, stupide et burlesque mais si cette forme de thérapie doit être efficace pour traiter votre névrose et vous aider à vivre, je ne formulerai aucun commentaire supplémentaire. Je fais en cela preuve de modération mais c’est uniquement par égard pour le premier métier que j’ai exercé dans la vie.

Si vous ne l’aviez pas déjà remarqué, je vous fais observer que vous aurez à faire à forte concurrence. Peu importe c’est votre problème.

Vous n’aurez évidemment jamais rien de tout ce qui est énuméré plus haut mais si vous tenez quand même à ce qualificatif de « poète » soyez certain qu’il vous faudra :
un peu de peine et pas mal de travail,
lire quand même les poètes anciens ou classiques alors que vous vous voulez résolument moderne (de grâce, pas « révolutionnaire » et surtout pas « original », cela ne veut rien dire et depuis le temps que d’autres andouilles que vous écrivent des vers c’est évidemment et voué à l’échec et la marque d’un orgueil excessif),
lire quand même les poètes modernes alors que vous voulez résolument « traditionnaliste »,
tacher de parler d’autre chose que toujours de vous,
faire de nécessité, vertu et adorer l’obscurité,
trouver un autre moyen de gagner votre vie et de financer le papier et l’informatique avec lesquelles vous essayerez d’inonder inutilement le monde et internet de vos remarquables productions.

Vous pensiez vraiment que dans un monde ou moins d’une personne sur cent mille s’avère capable de seulement lire correctement des vers, vous aviez une chance de faire apprécier les vôtres ? Inquiétant manque de jugeote !

N’abandonnez pas pour si peu. C’est le cœur du sujet. On espère toujours être lu et apprécié et on écrit avec cet espoir chevillé aux mots mais ce n’est pas POUR cela que l’on écrit. On compose des vers parce qu’il ne serait pas imaginable de vivre autrement qu’en composant des vers. Si vous ne sentez pas cela clairement je pense réellement que banquier, assureur ou avocat, tous métiers où le mot est fondamental y compris dans sa dimension proprement fantasmatique, vous conviendront mieux que l’inutile tentative de vous croire poète.

Pour terminer ce chapitre et comme il s’agit ici d’un traité de versification ficelez-moi donc un petit exercice de flagellation rythmique et versifiée en dix lignes, thème : je sais que je ne sais rien (scio me nihil scire pour ceux qui ont décidé d’être une fois pour toutes en décalage complet avec l’éphéméride).

Je ne sais rien, je ne suis rien

Qu’un souffle de vent sous la porte,

-Chacun l’entend, qui le retient ? -

Un courant d’air et de la sorte

Je ne puis rien et tout va bien.

J’ai décidé de ne pas être

Utile, important ou sérieux

Et de ne servir aucun maître

Et, plus ardu mais beaucoup mieux,

De m’amuser à disparaître !

***

 

 



Chapitre : Les Formes Fixes. –Triolet-Rondeau-Sonnet.

 

La broderie à l’aiguille est certainement beaucoup plus difficile que le canevas au crochet.

De temps en temps se résoudre au plus simple n’est pas un mauvais choix.

Les poèmes à forme fixe sont une sorte de canevas bienveillant dont la structure, quand on la respecte, vous assure presque de l’effet qui s’y attache.

Bien sûr il faut suivre la règle qui les définit et votre liberté créative répugne au carcan de la règle. Suivre la règle qui veut qu’on sorte son poulet du four tous les quart-d’heures pour verser dessus une cuillère d’eau et le retourner vous permet d’obtenir une chair délicieusement cuite et jamais desséchée alors qu’une volaille traitée n’importe comment a des chances de décevoir vos espérances gastronomiques.

C’est absolument pareil pour les vers.

Je me demande bien pourquoi je me refuserais le plaisir d’une composition heureuse sous le prétexte qu’il faut pour l’obtenir suivre un mode d’emploi précis.

Prenez le triolet (schéma : A1B1A2A1 A3B2A1B1, où les lettres désignent une consonance de la rime et les chiffres l’occurrence d’une rime particulière), cette petite pièce facile de huit vers dont trois sont des répétitions, voilà un poème qui se prête à toutes les humeurs, à toutes les circonstances, à tous les talents.

Vous débutez, vous n’avez pas le temps, vous attendez le bus ou un train ou bien l’entrée après avoir commandé votre repas, mettez-vous à un triolet :

La nappe est blanche et le service est lent,

Je meurs de faim en maudissant l’attente

Car voir manger n’est guère consolant ;

La nappe est blanche et le service est lent.

Mon verre est vide et mon assiette en plan,

De son gratin ma voisine est contente ;

La nappe est blanche et le service est lent,

Je meurs de faim en maudissant l’attente.

***

Mais oui, il suffit de trouver un premier vers qui va appeler lui-même le second ( vous avez déjà 5 vers sur les 8 du poème) , le reste vient tout seul.

Tenez :

Comment prouver ce que je dis

Sinon en prenant un exemple ?

Du coup, vous verrez bien pardi,

Comment prouver ce que je dis.

Trouver le premier vers suffit

Et tout le triolet s’assemble.

Comment prouver ce que je dis

Sinon en prenant un exemple ?

***

Je n’hésite jamais à me faire plaisir à si bon compte.

Pendant que j’écris le temps change,

L’automne le cède à l’hiver ;

Est-ce cela qui me dérange ?

Pendant que j’écris le temps change.

Non, mes raisons sont moins étranges,

C’est qu’il me faut trouver ces vers ;

Pendant que j’écris le temps change,

L’automne le cède à l’hiver.

***

Bien sûr, ces petites pièces ne sont pas systématiquement des chef-d’œuvres mais elles sonnent agréablement et ce devrait être votre exercice préféré et votre recours les jours (très fréquents) où toute inspiration vous fuit. En tout cas, c’est comme ça que je les utilise moi.

Evidemment ces exemples feraient hurler d’horreur monsieur RICHELET, auteur d’un traité de versification au XIXème siècle. La rime n’est pas suffisante, un singulier et un pluriel ne doivent pas rimer ensemble etc, etc…

Les règles sont des outils, rien que des outils, pas les dix commandements !

Il m’est arrivé, à moi qui dessine mal, d’être très satisfait d’un dessin réalisé avec un stylo de trois sous récupéré dans un quelconque congrès. Je suis sûr que je n’aurais pas trouvé mon œuvre plus belle si elle avait été réalisée avec un crayon à papier de l’une ou l’autre de ces grandes marques prestigieuses pour dessin d’art.

Ecrire des vers c’est chercher un effet, aucune règle ne doit vous priver d’en trouver les moyens.

Qu’on me traite de rimailleur,

Très bien ; je n’en ai point de honte,

D’autant que moi-même d’ailleurs

Je me traite de rimailleur.

Dès que je transgresse, railleur,

Les lois qui pour tant d’autres comptent,

Qu’on me traite de rimailleur,

Très bien ; je n’en ai point de honte.

***

Et c’est pourquoi le triolet ci-dessus est un triolet « irrégulier » puisque son 4ème vers, en principe identique au 1er,ne l’est pas.

Il me convient très bien.

Ce n’est pas tout. On peut jouer avec le triolet (c’est sans doute ainsi d’ailleurs qu’a du naître le rondeau). On peut d’abord utiliser le triolet comme strophe de base d’un poème plus long. Du coup la composition de celui-ci s’en trouve facilitée, il est en effet très simple de le reprendre à quelques jours de distance pour lui rajouter un nouvelle strophe puisque chacune constitue à elle toute seule un petit ensemble.

Je ne suis pas à vos côtés

Le jour de votre anniversaire,

N’ayant guère de liberté,

Je ne suis pas à vos côtés.

Vous m’en voyez mécontenté

Et bien tristement solitaire :

Je ne suis pas à vos côtés

Le jour de votre anniversaire.

Cela m’a beaucoup attristé

Qu’ainsi le sort me soit contraire,

Je ne fais que le regretter ;

Cela m’a beaucoup attristé.

Je vous promets de me hâter

De faire tout le nécessaire,

Cela m’a beaucoup attristé

Qu’ainsi le sort me soit contraire.

Etc…

***

On peut compliquer le jeu et, partant comme pour un triolet, laisser libre cours rapidement à toutes ses envies pour s’amuser de l’écho d’un refrain plusieurs fois répété.

De toujours et de tous chemins,

De perce-neige en feuilles mortes,

Tel fut et tel sera demain :

De toujours et de tous chemins.

Le bâton que je tiens en main

Et l’espérance me transportent

De toujours et de tous chemins,

De perce-neige en feuilles mortes,

Où je dois vivre mon destin

Et, quoique ce soit qu’il m’apporte,

Trouver mon bonheur et ma fin.

De perce-neige en feuilles mortes

Pour toujours et en tous chemins.

***

 

 

Sautons du triolet au rondeau et il n’y a qu’un quart de pas à faire, comme dit, les jeux avec le triolet y amènent très naturellement.

J’aime énormément le rondeau, son style achaïque et ses innombrables possibilités (répertoriées : rondel, rondinet, rondeau avec leur variantes, ou non répertoriées).

Dés que l’on maîtrise la confection du triolet il FAUT passer au rondeau (schéma : A1B1B2A2 A3B3A1 A4B4B5A5A1).

Verre en main, à la régalade,

D’un trait j’écrivis ce rondeau

Pour un pichet de bon Bordeaux,

Qui n’en veut point reste maussade !

Le dîner était un peu fade,

Je m’en égayais à défaut,

Verre en main, à la régalade !

Amour pardon, point d’algarade,

Les vins ne sont point tes rivaux

Mais cependant et tant s’en faut,

Leur goût n’est point une passade,

Verre en main à la régalade !

***

Note : quand on sait ce que j’ai mangé et bu le jour où j’ai écrit ceci il y a vraiment de quoi rire. C’est pour le coup que l’on peut parler de fiction dans l’écrit.

Quant à mes lointaines amours,

Plût au ciel que j’eusse encor l’âge

De me décider au voyage

Et de les retrouver un jour.

Mais si je faisais ce détour

Qu’irais-je gagner au passage

Quant à mes lointaines amours ?

La honte de me voir à court

Et de panache et d’apanages,

Juger du temps tous les ravages,

Impuissant comme sans recours

Quant à mes lointaines amours.

***

Mais pour le sonnet ce n’est pas du tout la même chose, la variété n’existe plus vraiment, la liberté se borne à quelques combinaisons de rimes et à deux mètres, le décasyllabe et l’alexandrin répartis immuablement sur deux quatrains et deux tercets (ou un sizain si l’on fusionne les deux tercets, bref un schéma du type : A1B1B2A2 A3B3B4A4 C1C2D1 E1D2E2).

Pour autant, il faut aussi écrire des sonnets, c’est dans la gradation des exercices, celui qui suit naturellement le précédent.

Sans doute le « hic «  du sonnet est-il constitué par cette fameuse « pique » que doit constituer le dernier vers. Cet artifice suppose au moins un sujet qui s’y prête, une certaine fantaisie et vivacité d’esprit que j’ai peiné plus d’une fois à trouver et qui ne doivent pas vraiment être dans ma nature quotidienne. N’importe c’est un excellent exercice de méthode et de composition puisqu’on y dispose d’un nombre de strophes conséquent mais malgré tout limité pour aboutir à la « pointe » finale.

De plus quand, par hasard en ce qui me concerne, ou autrement, vous parvenez au résultat désiré c’est une pièce qui vous emplit de contentement au point de bomber le torse devant votre miroir, un rictus satisfait aux lèvres pendant que vous vous  félicitez en aparté d’en être vraiment un (poète). Essayez, vous verrez…

Exemple de sonnet, à titre d’exercice :

Que chacun se rassure et ne désertez pas,

Il faut, quand on découvre, avancer pas à pas,

Ici, choisir sa rime et refuser « saucisse ».

On peut s’aider parfois d’un ouvrage complice,

Je le fais bien ici mais sans mea culpa

Tant ce dictionnaire a de charmes et d’appas

Quand rimer à tout prix se transforme en supplice.

Bien, la besogne avance et voici les tercets

Mais la « pointe » m’ennuie, il faut vider l’abcès,

Foin de définitions, d’ordonnée ou d’abscisse,

Nous irons droit au but d’une plume légère

Et nous affirmerons, glorieux comme Narcisse,

Que c’est en s’exerçant que le sonnet se gère.




Chapitre : Le Sens Interdit ? Vers obscurs ou Clarté XVII ème ?

 

« Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse ? » C’est bien la réponse que, sans aller plus avant, j’ai envie de donner à cette question.

Par expérience, je peux dire que le « clair-obscur » est toujours apprécié.

Par expérience également, je peux écrire qu’il est beaucoup plus aisé de composer des vers romantiques et passablement brumeux que de s’en tenir à la clarté rigoureuse qui prévalait deux siècles plus tôt. Mais qu’est-ce qui pourrait bien m’empêcher d’écrire tantôt d’une manière, tantôt d’une autre et d’adapter mon écriture à mon humeur, à mon sujet, à mon degré de fatigue, au temps qu’il fait ?

On trouvera par contre dans la « Petite Anthologie du même Tonneau », très personnelle et particulièrement fantaisiste qui termine cet ouvrage, l’un ou l’autre exemple de poème qui ne veut rigoureusement rien dire ou même rien évoquer. Ils n’ont qu’un seul intérêt : celui d’une plaisanterie plus ou moins réussie. Les ratiocinations de MALHERBE, RICHELET ou BANVILLE me cassent les pieds mais les éructations typographiquement disposées m’exaspèrent.

Tenez-vous le pour dit.

Cet homme est un grand sot et sa sottise est telle

Qu’elle met en péril tous ceux de sa maison.

En promulguant des lois sans rime ni raison

Où la naïveté se teinte de cautèle,

Il ligue contre lui détracteurs et amis

Au point d’en oublier leurs intérêts contraires ;

Pour obtenir que l’âne enfin  cesse de braire,

Chacun tombe d’accord, le chasser est permis.

Et la gazette crie et le pavé s‘anime,

Il vient un goût de fronde aux plus obéissants,

Un désir de combat, même aux plus réticents ;

La révolution naît d’un dégoût unanime…

***

J’imagine que la clarté de ces lignes ne sera contestée par personne. Elles vous ont d’ailleurs un petit côté outré ou caricatural tant elles associent de sécheresse descriptive à tant de sévérité dans le jugement (sévère, soit, mais juste).

Le vent des mauvais jours a balayé la grève,

Il court sur la bruyère et gémit aux forêts

Une plainte oubliée où des ombres se lèvent

Dont un combat perdu marque encore les traits.

Ce vent portera loin car la colère est grande,

Trahison, injustice et surtout châtiment !

Ce vent nourrit le feu d’un même sentiment

Des pavés de la ville aux sentiers de la brande !

***

Exactement le même sujet, traité différemment. A chacun de choisir la version qu’il préfère.

Quant à moi, plus j’aurai d’instruments dont je pourrai jouer plus je serai content.

 

Note : la seconde version est sans doute moins risquée en matière d’expression d’un sentiment politique, rappelez-vous en : aucun pouvoir, quelque soit sa nature (démocratique ou non) n’a le sens de l’humour ou du goût pour une contradiction qui saurait se faire entendre (en vers il y a vraiment peu de danger pour lui).

 


Chapitre : Cicéron et Annah ARENDT.

 

Et pourquoi Cicéron ? Parce que Cicéron a écrit « Fiunt oratores – Nascuntur poetae. » soit, à peu près, « On devient orateur mais on naît poète » et qu’il est certain que cela est vrai. On naît poète et on le reste.

RIMBAUD? On peut très bien venir au monde avec de très jolis yeux bleus et décider un beau jour de ne plus porter que des verres fumés qui les dissimulent.

On peut même être capable, très tôt dans l’enfance, de dessiner comme DÜRER et décider de ne se consacrer qu’à une carrière de trader international qui ne vous laisse pas une minute pour autre chose (si tant est qu’il y ait autre chose dans une vie normale que l’argent).

Naître poète et décider de ne pas ou de ne plus se consacrer à la poésie est peut-être regrettable mais tout à fait admissible. Vous verrez pour vous-même, si aujourd’hui ce n’est pas même indispensable.

Croire qu’on deviendra poète par la seule lecture des bons auteurs et des manuels appropriés est une erreur.

Se regarder dans un miroir en se déclarant poète parce qu’on a écrit quelques mots sur ses amours ou sur ses peines personnelles, éventuellement en les disposant les uns en dessous des autres, est une gaminerie.

Ecrire des graffiti à la brosse à dents électrique tout en mâchonnant des invocations rythmiques entre deux gargarismes à la pulpe de rutabaga issu de culture biologique et s’émerveiller de la capacité d’originalité sans limites dont votre talent poétique fait manifestement la preuve relève de la forfanterie (autrefois du simple hochement de tête désolé de votre médecin de famille en prenant congé de votre épouse ou de votre pauvre mère).

Et pourquoi Annah ARENDT ? Tout simplement à cause de ces quelques pages sur les œuvres d’art et la poésie dans son ouvrage : « Condition de l’Homme Moderne»   (Edition Pocket pages 222 à 226).

Je ne connais aucune définition valable de la poésie, dont il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle ne peut pas être que ce qu’elle est en en définissant les limites exactes.

Je ne connais aucune définition de la poésie mais ce qu’en dit Annah ARENDT à la page 225 de l’ouvrage cité me semble être le mieux que l’on peut en dire, dans l’expression la plus précise et la plus harmonieuse que l’on puisse imaginer mais vous n’êtes pas obligé de me croire car vous pouvez facilement le vérifier par vous-même.

Il n’y est bien sûr pas question de « technique », les règles, encore une fois, ne sont que des outils, leur outrepassement n’est jamais qu’un autre de ces outils, les outils ne sont pas l’essence de la poésie, ce n’en sont que les moyens.

Lisez Annah ARENDT et trouvez dans cette lecture une raison de plus de vous prendre autant au sérieux que moi.

 





Chapitre : Le Vers Libre de Quoi ?
 

Oui, de quoi ? De rimes ? De rythme ? D’harmonie ? D’images ? De tout à la fois ?

Non, ce serait de la prose. Ou du jargon.

Je ne crains pas la polémique sur ce sujet.

Prenez le manuel de votre machine à café, que vous le réécriviez en vers ou que vous vous contentiez de le disposer typographiquement à votre convenance, vous ne ferez pas de la poésie.

Racontez vos mécontentements amoureux ou vos vindictes en long et en large, fautes d’orthographe et de grammaire inclues, vous ne faites pas de la poésie.

Jetez au hasard et pêle-mêle sur une feuille de papier, tout ce qui vous passe par la tête, vous n’êtes toujours pas poète.

Surtout ne venez pas m’empoisonner l’existence avec vos prétendues audaces, la dissociation des syllabes d’un mot pour obtenir un effet ou une rime, vous n’en êtes pas même les inventeurs, vous en trouverez déjà un exemple, d’ailleurs aussi indéfendable que chez vous, dans le « Roman de la Rose », XIII è siècle, vers 20 910 (par conséquent dans la partie de ce misogyne verbeux de Jean de MEUN continuateur du charmant Guillaume de LORRIS, et, oui, moi aussi, j’aime bien de temps en temps étaler une culture que je n’ai pas acquise si vite que ça ).

Ne confondons pas expression et borborygme.

La rime est-elle indispensable ? Non, quoique beaucoup l’ait affirmé. Prouvant le contraire, VERLAINE fait usage de vers « monorime » (des vers qui ne riment avec aucun autre vers, cette précision pour ceux d’entre vous qui commenceraient à trouver cette partie obscure) ainsi dans le fameux « Il pleure dans mon cœur/Comme il pleut sur la ville » où chaque second vers des quatrains est de ce type. D’accord, il ne s’agit que d’un procédé technique original, tous les autres vers du poème rimant « normalement ». Le vers unique (je n’ose vraiment pas écrire « solitaire ») se trouve ainsi particulièrement mis en valeur sans que l’oreille perçoive la moindre dysharmonie dans l’ensemble. Procédé technique donc, procédé technique, soit; pour autant je maintiens que la rime n’est pas indispensable à la « rythmisation » de la phrase.

On peut rythmer à l’aide de figures de style, de la succession des images, de l’opposition des sens, du contraste des mots, si on le désire, on peut aussi revenir aux laisses assonancées de la chanson de geste (-désolé, mais ce chapitre est la dernière occasion pour moi de faire un peu sérieux dans cet ouvrage- et une laisse assonancée est tout banalement un ensemble de vers présentant la même assonance, sachant qu’une assonance est simplement la répétition, ligne après ligne, d’un même son, d’une même voyelle, indépendamment de la consonne dite « d’appui » qui la précède ou de celle qui la suit).

Il y a beaucoup de manières de composer de la poésie pour autant que l’on ait quelque chose à dire et la capacité de jouer du chant des mots avec sagacité.

Quant à ceux qui choisissent de ne trouver qu’en eux-mêmes le sens d’une expression qui demeure incompréhensible à tout autre, ce sont des clowns terriblement prétentieux.

Pas plus qu’en peinture, le titre alambiqué d’une toile ne la transforme en tableau, pas plus en poésie, la glose ampoulée de son créateur ne fait-elle d’un salmigondis de mots ou de syllabes, typographiquement disposés, un poème.

Et s’il en est certains d’entre vous qui se trouvent ignorer le sens du mot « salmigondis », un peu de participation active, s’il vous plaît, qu’ils fassent l’acquisition d’un dictionnaire ancien d’occasion, seule chance pour eux de trouver la définition imprimée de ce mot. (Pourquoi pas sur internet ? Parce que.)

Je suis un vieux poète,

Un poète acariâtre ;

Acariâtre et poète,

C’est dans l’ordre des choses

Si l’on est vraiment vieux

Et que l’on se compare

Aux plus beaux jours d’un mieux

Auquel on n’a plus part.

Acariâtre poète

Derrière une fenêtre

D’où le jour se retire,

Où le temps fait le tri

De tout ce qu’une vie

Contient.

Et c’est pourquoi je suis

Acariâtre

Et quelque part aussi,

Poète,

Selon que je l’écris

A ma façon

Ou non.

***


Chapitre : Place de la Poésie dans la Structure de la Société.

 
Aucune.

Mais oui, vous savez bien, MALHERBE disait : « un poète n’est pas plus utile à la société qu’un bon joueur de quilles », j’ajoute que les joueurs de quilles ont quasi disparu (ce n’est pas le bowling) et que l’immense majorité de mes contemporains ne sait même plus les lire ces fameux vers !

Si vous voulez faire carrière dans la littérature, section « poésie », vous avez toute la place à prendre et rien à y gagner.

Vérifiez vos espérances en matière d’héritage et/ou n’épousez qu’une richissime et stérile héritière (stérile parce que l’élevage du moindre enfant coûte cher, que vous-même ne rapporterez pas un centime au foyer et qu’il vous faut songer à l’avenir, à votre retraite notamment, puis-je vous rappeler que les enfants héritent directement l’essentiel du bien de leur mère décédée, vous ne voudriez quand même pas devenir un assassin pour rien, non ?).

Soyez de bonne foi, vous n’auriez pas donné un euro pour lire ces pages pourtant extrêmement intéressantes, pourquoi voudriez-vous que les autres ne pensent pas et n’agissent pas de même pour vos propres productions surtout quand, de surcroît, ces autres-là ignorent tout de la poésie ?

Voyez les choses en face, la publicité dispose actuellement de moyens de communication autrement efficaces qu’un quatrain de vers de mirliton pour vanter un cocktail poly vitaminé ou un ustensile de cuisine.

Même la religion qui, il n’y a pas si longtemps encore, pouvait sembler le refuge du poème, secondairement mis en musique comme chant d’entrée ou de sortie d’office, même la religion ne vous offre plus aucun débouché si j’en juge par l’extrême pauvreté stylistique et poétique de la quasi-totalité des prières postconciliaires en langue vernaculaire (pour ceux qui ne l’auraient pas compris d’emblée, les athées ou les fidèles d’un autre culte, je fais ici allusion à la religion catholique après le concile Vatican II).

Ainsi, place de la poésie dans etc… Aucune.

Mais alors, sur le plan personnel, c’est tout le contraire ! Combien de fois dans des moments de peine ou de solitude, les vers des auteurs que j’aime ou que je découvrais à cette occasion m’ont aidé. Qu’il en soit de même pour vous.

 

 





Chapitre : Les Fins Dernières. – Le Poète Inconnu.

 

Etre poète et posséder un « tempérament poétique » n’ont rien à voir.

Quoiqu’il m’en coûte, je dois bien admettre qu’un poète « inconnu » ferait bien de se résoudre à reconnaître qu’il n’est pas un poète…

Ecrire et peut-être plus encore composer des poèmes c’est se donner en spectacle, à soi-même au début et par la force des choses puis à autant d’autres qu’il sera possible et c’est là que le bât blesse.

Pauvre Van GOGH ! Car tout cela, vrai des mots et des pages, l’est aussi des pinceaux et des toiles, l’est également des arpèges et des notes.

Cela fait bien longtemps que je sais en toute certitude que je ne m’astreins pas à « produire » des vers quotidiens pour le seul plaisir de l’exercice ou celui de la collection mais dans l’espoir de les faire lire ici ou là et de préférence partout.

Vanité des vanités ? Peut-être bien !

Quand on réfléchit, l’orgueil cela fait vivre

Très souvent, cela vous console, ô combien,

Des aléas de ce monde et vous délivre

De l’inutile pudeur qui vous retient

D’apparaître enfin vous-même et sans être ivre !

Allez ! Même le peintre du dimanche est un faux dilettante ! Alors pensez, le poète !...

Le problème de ce dernier est cependant plus ardu que celui du premier. Demander à des amis, à des parents, de « jeter un œil » sur une toile essuie rarement un de ces refus « déguisés » que le poète inconnu voire « inconnaissable » rencontrera.

Que de cœurs accueillants à qui le temps ou les connaissances font défaut pour porter un jugement critique et personnel sur le volume de vers que vous leur proposez !

 


Chapitre : Les Fins Dernières et Conclusion.

 

Ne discutez pas ce qui suit, c’est la base.

Vous avez écrit des vers, vous en êtes très fiers, maintenant (ou dès que vous en aurez écrit assez) il faut les partager avec quelqu’un ou plutôt avec beaucoup. On n’écrit pas des vers pour soi, on écrit pour être poète et on ne peut l’être que si les autres ratifient la chose.

***

Si l’admiration de votre mère ou de votre compagne vous suffit vous ne devriez pas rencontrer d’obstacle pour être satisfait sauf dans deux situations :

vous n’êtes réellement pas poète et vos œuvres supposées sont en dessous de tout même pour un auditoire a priori aussi complaisant,
-vous êtes en conflit avec votre mère et/ou l’amour de votre compagne est très en dessous de vos espérances.

Si vous avez décidé de chercher la difficulté en toutes choses, ce qui vous honore, il faut aller plus loin. Vous me direz : « Comment ? » Et je vous répondrai : « Je n’en sais rien. »

Toutefois je peux ajouter que la création d’un blog n’a jamais fait de mal à quiconque dans ce domaine (sauf à vous-même si décidément personne ne vient le visiter). Les blogs bien faits ont en effet ceci de pernicieux qu’ils disposent souvent d’outils de contrôle statistique qui vous permettent de suivre au jour le jour l’absence de trafic sur vos pages ou l’irrémédiable décroissance du pic malingre qui avait suscité en vous les espoirs les plus fous. Et je ne vous parle même pas de ces pages dont les statistiques vous informent qu’elles ont été vues une fois par un lecteur du Kazakhstan ou de la Corée du Nord dont tout porte à croire qu’il a du se tromper quelque part dans la formulation de sa requête sur un moteur de recherche (à moins que le service chargé de la censure dans le pays correspondant redirige aléatoirement à chaque frappe du mot démocratie le fauteur de trouble et que ce soit cette fois sur vos pages). Pour tirer tout le parti possible de son blog il faudrait le faire connaître ce qui demande de mettre en œuvre une stratégie complexe de communication à base de mots-clés, de balises, d’indexation sur des sites spécialisés, de rédaction d’articles variés sur des sites différents du vôtre où la fréquentation est assurée et accessoirement de visibilité sur les réseaux sociaux dont certains par définition, dès que vous acceptez leurs services s’arrogent un droit de propriété intellectuelle sur vos productions y compris quand celles-ci ne sont plus présentes sur leur serveurs que sous forme de copies faites par un autre de leurs abonnés.

La fréquentation des « forums poétiques » n’est sûrement pas à dédaigner, on y trouve de tout et même d’excellents amis potentiels mais à moins d’y passer un temps conséquent à lire et commenter de façon cordiale les textes de ceux qui y sont venus un peu pour les mêmes raisons que vous, vous risquez d’être déçus par l’impact qu’ils auront sur la lecture de vos propres pages. Autre inconvénient, on peut y rencontrer des poèmes dont il est facile de se rendre compte qu’ils sont au mieux égaux aux vôtres et au pire, largement supérieurs ce qui n‘est pas bon pour l’image que l’on se faisait de soi-même.

Pendant que vous tentez tout cela et que vous essayez de maintenir cet effort suffisamment longtemps pour qu’il ait un sens, vous n’écrivez guère de poèmes ce qui pourtant vous tenait et vous tient à cœur avant toute autre occupation…

Bien sûr vous pouvez proposer vos lignes à une maison d’édition. Pour le prix d’un envoi postal plus ou moins pondéreux vous bénéficierez, au moins à vos deux ou trois premiers essais, de trois à six mois d’attente pleine d’espérance (par définition un poète ne peut pas être très réaliste) auxquels une lettre de rejet type viendra mettre un point final chaque fois identique quand bien même, saisi par le démon du jeu, vous tenteriez encore et encore votre chance. Vous vous consolerez plus ou moins en pensant qu’aujourd’hui personne n’éditerait plus Victor Hugo.

Mais alors que faire ?

Fonder le parti des Nouveaux Sujets Débattus Au Passage ou celui du Gros Rouge dont vos œuvres constitueront la bible obligatoire à acquérir spontanément par vos millions d’adhérents (ne pas oublier sur la première de couverture l’aigle avec roue dentée pour le premier et la reliure en jute bordeaux tout simple pour le second).

Faire confiance à la Providence en priant plus souvent.

Confier vos œuvres par testament à vos arrières arrières petits enfants et tout attendre de la postérité.

Devenir bouddhiste et oublier tout ça.

 

 




Petite Anthologie du Même Tonneau.

 

 


 
 
 


Marin AYHAUT seigneur d’ISSEY-Haut.

1498 St. Ybold-Duc 1449 ISSEY-Haut (Normandie).

Fragment du VIème chant du Paumier, ouvrage manuscrit en partie perdu.

Conseils à un mien parent.

Ores que suis perclus

De tous maux de vieillesse,

Le temps me navre plus

Qu’il ne selt à sagesse

D’en éprouver pesance.

Si me faut soploïer

A la commune usance

Et le Seigneur loër.

Cil donne et Cil reprend

Et qui peut L’escondire ?

Il nous faut vivre franc

Sans que rien y soupire.

***

 

Pierre Clément seigneur d’Arinnes et Orez.

 

1500 Naux-en-Bigorre 1525 devant Pavie.

Extrait du « Diadème Ailé », recueil de pièces galantes manuscrites dont on ne connaît pas la destinataire et peut-être destinées à une publication ultérieure contrariée par la mort de leur auteur à la bataille de Pavie.

 

En attendant qu’ayons le même maître,

Belle, merci, je dois le reconnaître,

Je tiens de vous un don inusité.

Quel est ce don ? L’impeccabilité.

Mon cœur pour vous fit vœu de se reclure,

L’amour de vous en borne la clôture,

Si, ne pourrais-je, au mieux qu’on m’en priât,

M’en départir ni quoiqu’on me baillât

Abandonner cette étroite porpaise

Sans celle-ci dont mon âme est éprise.

Ains attendrai, fusse même un long temps,

Passant les jours comme ami qui attend,

Priant qu’enfin vous vouliez reconnaître,

Autant que moi, l’amour comme seul maître.

***

 

Frédéric Alexandre d’EYGRES.

1825-1920 Voulaines-les-Templiers. Côte d’Or.

Fragment du poème « Champs et Guérets » du recueil « Chronologies » Editions Larfusse-Quilfut 1866.

Le vent virevoltant de clochers en chaumières

Se pique de reflets et d’étranges lumières

Qui se suivent sans cesse et meurent dans l’instant

Pour renaître plus loin et durer tout autant.

Au terme de l’allée où dorment les platanes,

Il souffle un vent violent comme une tramontane,

Un vent tourbillonnant qui vous prend à revers

Et qui gémit la nuit pour annoncer l’hiver.

Dans l’âtre qui s’éteint et que la pierre emmure

C’est un déchainement ou ce n’est qu’un murmure ;

La litanie ancienne où l’or de la saison

Danse dans la tempête où s’ouvre l’horizon.

***

 

Léopold ER-BATAV.

1893 Siacoté (Territoire des Afars et des Issas) 1969 La Ferté-Ranfin (Seine et Marne).

Extrait de « L’enfer Ailleurs » Mémoire d’une prison noire. Edition du Caïman. 1932.

 

En Cale.

Au sol des ancêtres, l’espoir,

La nuit, la liberté est noire

Et peu importe au lion

Si l’indécis aboie.

La cale des bateaux

Transite au loin l’amer

Désespoir d’un fardeau,

Les fers aux pieds.

L’écume blanche est sans défaut

Mais ma mémoire est sang.

Sue ! C’est l’unique mot

Du maître que

Je ne veux

Pas.

M’entendrez-vous mes frères,

Pour que l’homme revienne à l’homme

Et au Plus Grand qui nous appelle,

Nous les poussières,

Atomes

De Sa voix ?

***

 

Yves LESCOURSES.

1894 St. Jacqut-le-Béni 1916 Le Fort de Vaux.

Le texte ci-dessous est extrait d’une lettre de ce combattant de la guerre 14-18 à sa fiancée (le poète est mort pendant la bataille de Verdun, devant le fort de Vaux, sa correspondance contient plusieurs autres poèmes). Collection de l’auteur.

Dans la grêle de fer, dans la grêle de feu

Où se défont nos jours sans qu’une heure se lasse,

Sainte Mère, je veux qu’il Vous reste une place

Tout au fond de mon cœur et sans doute c’est peu.

Mais de penser à Vous dans le froid qui me glace

Et la mort près de moi, patiente qui m’attend,

C’est retrouver la paix au moins pour un instant

Dans l’amour et la foi que la plume entrelace.

Ayez pitié de nous qui connaissons l’enfer

Avant que de mourir et en sommes complices…

Puisqu’il m’est présenté, je boirai ce calice

Mais éloignez des miens l’horreur de cet hiver.

***

 

Jean Sébastien PULVERESSE.

1905 -1995 Sablé-de-Bretagne

Sans titre. Extrait du « Chêne Non Manquant ». Editions de « L’Aplomb »-1964.

 

 

Plus ardent que ne l’est un fauve,

A ma plume je me remets,

A l’aube et devant le ciel mauve ;

Plus ardent que ne l’est un fauve.

J’ai sur le feu ce triolet,

Je bous, le triolet se sauve ;

Plus ardent que ne l’est un fauve,

A ma plume je me remets.

***

Le savez-vous,

Il y a quelque chose

D’inutile et de fou

Dans une rose.

Dieu pouvait bien

Ne créer que l’ortie,

Ronsard n’offrait plus rien

A son amie.

***

Henri CHARTROIS.

1910 Leroybois – 1987 Troyes-Chaupines.

Extrait de « L’Usure-Hagard », long monologue introspectif qui constitue la « geste » de l’auteur aux éditions du « Fût de Chêne » 1938.

 

Allons, encore un tour

De Londres,

Dans le jour

Pâle que tamise

La brume et au plus court

Quand s’éveillent les quais,

Des pans de vieilles briques

Aux escaliers inquiets ;

Qu’ai-je donc poursuivi

De cheminées en cours ?

***

Valéry OLET.

1947 Bourré-en-Champagne –

 

Extrait de « La Tourbe Fière ». Edition Laage-Descouches-1998.

 

Justice.

Les auvents des parasols

Cachent bien la misère

Des sols

Aux confins murmurants

Des soupes populaires.

Courons, ils sont sectaires,

Et si furieux,

Si prolétaires,

Qu’ils se rapprochent du loup :

Ouvrez enfin le paradis !

Chacun vous lancera des pierres

Et moi j’écrirai sur le lierre

Comme tout poète aurait fait

Mais avec un sang d’encre :

Parfait.

***